Quel avenir pour les relations algéro-européennes? edit

17 juin 2019

L’histoire des relations entre l’Algérie et l’Union européenne ont commencé en 1976 avec le premier accord de coopération Algérie/CEE. Un Accord d’association a été signé entre l’Algérie et 15 pays membres de l’UE à Valence en avril 2002. Il est entré en vigueur, pour la partie algérienne, en septembre 2005. Son bilan mitigé pose une question : l’Algérie et l’Europe ont-elles la volonté et les moyens de construire un partenariat stable et durable, mutuellement bénéfique, à un moment où la mondialisation libérale (nonobstant la crise que traverse le multilatéralisme) remet en cause les traditionnelles configurations régionales, comme les zones de libre-échange ou  les unions douanières ?

L’Accord d’association visait l’instauration d’un partenariat pour une prospérité partagée qui se déclinait en quatre phases :
1. Le renforcement des institutions et des infrastructures économiques,
2. Le développement des ressources humaines,
3. La consolidation de l’Etat de droit et la bonne gouvernance,
4. Le développement durable et la sauvegarde du patrimoine.

La responsabilité de l’Algérie dans l’échec de l’Accord d’association est lourde

Sans verser dans un pessimisme de mauvais aloi, force est d’admettre qu’aucun de ces objectifs n’a été atteint, alors que l’étape ultime du partenariat était la création d’une vaste zone de libre-échange à l’horizon 2020. Lorsqu’un projet échoue, en règle générale, la responsabilité de l’échec est partagée. S’agissant du partenariat algéro-européen, l’Algérie porte une lourde part de responsabilité dans la mise en œuvre très partielle de cet accord, en raison du fait qu’elle n’a accompli aucune des réformes de structure qui eussent pu garantir l’effectivité des principales stipulations de cet accord. Ces réformes étaient d’autant plus indispensables qu’il fallait assez rapidement remédier à l’asymétrie originelle de cet Accord. D’un côté, l’Algérie dont l’économie est très fortement dépendante des hydrocarbures et qui est contrainte d’importer produits de base, biens de production, biens intermédiaires, biens de consommation pour faire tourner son industrie et ses activités de services. De l’autre côté, un ensemble d’États à économie de marché solidement imbriqués dans une Association politico-économique dont les linéaments furent posés en 1957.

Il est impossible, dans le cadre étroit de cette contribution, d’évoquer l’ensemble des domaines où l’AA n’a pas rempli son office. Nous en retiendrons les trois  qui oblitèrent toute avancée significative dans le domaine de la coopération pour les années à venir : deux empruntés aux relations économiques et un à l’État de droit et à la gouvernance. Ces trois exemples illustrent  chacun à sa manière l’absence de volonté politique de la part des responsables algériens de mettre à niveau l’économie du pays qui passait par le rattrapage de nombreux retards en conséquence de l’ajustement structurel des années 1994-1998 et de la tragédie nationale (1992-1999). La question du respect de l’Etat de droit renvoie à la détermination du pouvoir algérien à ne faire aucune concession ni à l’opposition politique ni à la société civile quant à l’émergence d’une démocratie reposant sur la séparation des pouvoirs, le respect des prérogatives du Parlement, le contrôle de la constitutionnalité des lois et l’indépendance la justice.

L’absence de réformes de structure en Algérie depuis 20 ans

En ce qui concerne l’économie, la mise en œuvre de l’Accord d’association était conditionnée à des réformes de structure portant notamment sur le redimensionnement du secteur public économique. L’Algérie s’était engagée à privatiser une banque publique (le Credit Populaire algérien) et ouvrir le capital de deux autres (la Banque de l’Agriculture et du développement rural et la Banque de développent local, BDL). L’objectif était d’améliorer l’intermédiation financière qui se trouvait en totale inadéquation avec une économie de plus en plus ouverte et complexe, en raison de l’intervention de plusieurs acteurs économiques. En 2019, cette intermédiation est totalement défaillante, comme le prouve le nombre de PME/PMI qui devaient être mises à niveau, aux termes de l’Accord d’association et qui se sont trouvées évincées des circuits financiers, alors que 95% d’entre elles disposent de fonds propres insuffisants. À quoi il faut ajouter l’indigence du marché financier, mis en place en 1996 et qui ne rassemble que cinq entreprises (dont une publique et deux à capitaux mixtes), ce qui ne permet pas aux emprunteurs de se procurer des ressources financières à long terme. Quant à la gouvernance des banques publiques, la Banque d’Algérie, depuis 2003, ne contrôle guère (à travers sa commission bancaire) la conformité des engagements des banques de la place aux ratios prudentiels édictés par ses soins. Last but not least, les banques publiques accordent d’autant plus volontiers des crédits à court terme aux entreprises publiques (avances en compte courant, facilités de caisse ou découverts, crédit d’exploitation) que le Trésor public est instruit depuis des décennies de racheter leurs dettes (principal et intérêts) aux banques créancières, ce qui représente une moyenne de 4 à 5% du PIB, chaque année.

Il est clair, dans de telles conditions, que les entreprises européennes ne prendront pas de risques en nouant des partenariats avec des entreprises structurellement déficitaires pas plus qu’elles ne pourront accéder aux ressources financières des banques publiques qui disposent d’une liste limitative de clients. Elles devront s’adresser aux banques privées, filiales de banque étrangères dont le siège social se trouve à l’étranger, lesquelles depuis 2014 obligent leurs dépendances en Algérie à limiter leurs engagements, dès lors que le risque de crédit pour l’Algérie a été relevé par l’ensemble des agences de notation et des organismes d’assurance-crédit, depuis cette date. Autre obstacle : l’accueil  des investissements directs étrangers (IDE) et européens en particulier. L’environnement des affaires a toujours constitué un frein en Algérie en raison de quatre lourdes hypothèques, lesquelles n’ont pas été levées, à ce jour.

Contrairement à une idée répandue, le cadre juridique et réglementaire reste instable. Il est revu, de façon récurrente, au fur et à mesure que son inefficacité, son ineffectivité et son inefficience génèrent des contentieux, dont la plupart, heureusement, sont résolus à l’amiable.

Les modalités de paiement, notamment dans les marchés publics, sont lentes, tatillonnes er bureaucratiques, cependant que le recouvrement des créances se heurte à l’inertie de magistrats quant à la mise en œuvre des voies d’exécution dont les modalités sont définies de façon précise dans le Code de Procédure civile et administrative.

Les entreprises publiques économiques (EPE) qui sont soit des sociétés par actions soit des SARL et soumises, à ce titre, au code de commerce, ne sont pas susceptibles d’être mises en  faillite car leur capital social, entièrement public, est inaliénable, imprescriptible et insaisissable.

Il reste très difficile de faire exécuter des décisions de justice, fussent-elles revêtues de l’autorité de chose jugée définitive (arrêts de la Cour Suprême ou arrêts du Conseil d’Etat), ce qui nourrit la prévention de l’ensemble des entreprises européennes qui auront accepté la compétence des juridictions locales pour le règlement de leurs différends avec les entreprises algériennes et avec les autres entreprises qui possèdent leur siège en Algérie.

Un des économistes algériens les plus connus, A. Benachenhou, regrette dans son dernier ouvrage¹ que les pays européens (l’Allemagne surtout) marquent un désintérêt croissant à l’égard des pays du Maghreb et singulièrement de l’Algérie qui a commencé, dès 2015, à introduire de sérieuses restrictions aux importations en provenance de l’UE arguant de la baisse significative du niveau des réserves de change et feignant de découvrir, en la circonstance, que la relation commerciale avec l’Europe était par trop déséquilibrée. Du reste, l’évaluation de l’Accord d’association intervenue en 2016-2017 a fait apparaître que l’UE devait faire davantage pour contribuer à la diversification de l’économie algérienne, à la colocalisation des IDE et à la modernisation de l’agriculture. Il est permis, d’une part, de  s’étonner de la tardivité de la prise de conscience algérienne de la forte inégalité des termes de l’échange, alors que, faut-il le rappeler, l’Accord d’association a été signé 15 ans plus tôt. D’autre part, tout se passe comme si les lois et règlements et surtout leur application en Algérie même étaient l’affaire de l’UE et non celle des responsables algériens.

Le  renforcement du partenariat algéro-UE est également hypothéqué pour les années qui viennent en raison de l’absence d’un État de droit  en Algérie et de la persistance de pratiques de mauvaise gouvernance, alors que le pays est appelé à disposer de ressources financières de plus en plus limitées pour satisfaire les besoins d’une population de plus en plus nombreuse. Nous en sommes qu’à l’orée d’une course d’obstacles dont les principaux sont les suivants.

Restriction des libertés individuelles et collectives en violation d’une Constitution qui a été révisée deux fois depuis l’entrée en vigueur de l’Accord d’association et qui paradoxalement étend le champ des droits du citoyen.

Corruption à l’état endémique qui a contaminé tous les tissus sociaux, notamment depuis l’ouverture tous azimuts du commerce extérieur, permettant à des agents de l’administration et aux importateurs de se constituer des fortunes colossales sans jamais s’acquitter d’aucune de leurs obligations vis-à vis du Trésor. L’Office central de répression de la corruption, créé en 2006, n’a jamais été en situation de jouer son rôle.

Paralysie des institutions chargées d’effectuer les contrôles a posteriori sur l’utilisation des deniers publics (IGF, Cour des comptes), lenteur délibérée de la part de l’Administration dans la numérisation et la digitalisation des relations entre usagers du service public et les différentes institutions de l’Etat aux seules fins de préserver l’opacité des opérations économiques et les dissimuler au contrôle des institutions habilitées, trop lente modernisation des administrations qu’elles soient régaliennes ou en charge des affaires économiques et sociales, alors que l’UE a fourni une assistance technique, accordé des subventions de projets et installé le système TAIEX² et SGIGMA³.

Inféodation de la justice au pouvoir exécutif, à des forces extra constitutionnelles et aux puissances des oligarques dont un grand nombre sont inculpés aujourd’hui de délits financiers gravissimes.

Absence d’une politique de gestion des ressources humaines, en conséquence  de quoi quelque 20 000 algériens, diplômés de l’enseignement supérieur, parmi les plus brillants, quittent chaque année définitivement leur pays.

L’Algérie devra s’engager résolument dans l’économie de marché

Dans de telles conditions, comment s’étonner que l’Algérie ne soit pas à l’UE, ce que furent le Brésil, le Mexique et le Chili aux États-Unis d’Amérique, jusqu’à la crise du multilatéralisme de 2018 ? Et comment vouloir comparer la dynamique régionale en Asie où des pays comme le Japon, Taiwan, Singapour ont servi de locomotives à de pays comme la Chine, la Malaisie et l’Indonésie avec la banalité creuse de l’Accord d’association ? L’Europe se désintéresse de plus en plus du Maghreb en général, de l’Algérie et de la Tunisie en particulier. L’argument principal mis en avant par l’UE est la lenteur anormale avec laquelle s’accomplissent les réformes de structure et la dominance d’une fausse économie de marché.  Le grief d’indifférence ne cessera que du jour où l’Algérie se donnera les moyens de faire émerger une véritable économie de marché, fondée sur la liberté de la concurrence, le recul de la corruption et l’indépendance de la justice et des autres autorités de régulation. Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

NOTES

  1. L’Algérie des années 2030 de notre jeunesse, Alger, sans indication de la maison d’édition, 2018, p.174 et ss.
  2. Instrument efficace d’assistance technique et d’échange d’informations permettant la diffusion rapide de savoir-faire et de bonnes pratiques
  3. Appui à l’amélioration de la gestion et de la gouvernance des administrations et des services publics