Égypte: replâtrage ou révolution ? edit

14 mars 2011

Alors que le roi du Maroc vient de proposer une refonte globale de la constitution, les amendements constitutionnels égyptiens paraissent bien modestes. Ils portent sur les conditions de participation à l’élection présidentielle, la limitation de la durée du mandat du chef de l’État – deux fois quatre ans au plus, la réglementation de l’état d’urgence et les modalités de la révision constitutionnelle. Pour l’essentiel, il s’agit des réformes proposées par Hosni Moubarak avant qu’il ne soit forcé de quitter le pouvoir. La temporalité envisagée est également la même que celle qu’il avait avancée : dans les quelques mois qui viennent, une élection présidentielle puis parlementaire.

Certes, la modestie de cette réforme a été critiquée, mais le but poursuivi n’était pas de proposer une nouvelle constitution ; il était de permettre des élections sur une base suffisamment ouverte pour qu’elles ne soient pas entachées de soupçons. Le véritable changement viendra, s’il doit venir, après les élections. Amr Moussa, candidat à la prochaine présidentielle, a déclaré que les réformes constitutionnelles n’allaient pas assez loin, mais ce n’était qu’une posture de candidat. Personne – du moins, parmi ceux qui pensent avoir une chance de tirer leur épingle du jeu – ne prendra véritablement fait et cause pour une réforme plus approfondie. L’urgence, en effet, n’est pas d’accroître la démocratie, mais d’éviter que les choses ne s’embrasent sans raisons.

Avec des délais aussi courts pour mettre en place les élections, la question se pose forcément de l’ampleur des changements que le processus constitutionnel actuel peut produire. Pour que de nouvelles forces émergent ou que les différents courants libéraux de la place Tahrir puissent se former en parti, il faudrait plus de temps. Si les élections ont lieu rapidement, les choix s’avèreront limités. Somme toute, il n’y a en Égypte que deux partis ou quasi partis possibles : les Frères musulmans et les notables, pour l’essentiel, naguère au PND, qui peuvent y rester ou se faire élire comme indépendants. Les uns et les autres voudront paraître « révolutionnaires », mais sont, au total, foncièrement conservateurs. S’agissant des notables, ils représenteraient la continuité dans le changement. Certes, des conservateurs dans un système démocratique produisent plus de mouvements que des conservateurs dans un système autoritaire, mais ce mouvement n’est tout de même pas un bouleversement.

Reste l’élection présidentielle. Pour l’instant, deux candidats se sont fait connaître, Amr Moussa, que l’on vient d’évoquer, longtemps ministre des Affaires étrangères de Moubarak, auréolé de ses positions critiques à propos de la Palestine, et Mohammed El Baradai, connu des manifestants de la place Tahrir, mais probablement pas de l’Égypte, et qui, venu à la politique sur le tard, ne possède ni réseaux ni accointances ni expérience. On peut penser que, si Amr Moussa est élu, il verra se recomposer sur son nom une majorité faite de notables, en d’autres termes fondée pour une large part sur l’ancien PND. L’avantage serait que tout le monde se retrouverait finalement en terrain de connaissance. En revanche, si El Baradai est élu – ce qui, pour l’instant, ne paraît pas probable –, il aura plus de mal à jouer, tant avec les notables qu’avec les Frères musulmans (qui, du reste, comptent aussi des notables). Nous nous trouverions alors face aux aléas d’une cohabitation entre un outsider soutenu par des libéraux sans assises partisanes et des habitués de la vie politique auxquels se joindraient les Frères musulmans. Certes, l’habileté ou la chance pourraient amener des recompositions favorables à El Baradai, mais rien n’est moins sûr. Un dernier scénario est possible, celui d’un Parlement ivre de son indépendance et qui tenterait de s’imposer à l’exécutif.

Ce que suggère la phase actuelle, ce n’est nullement quelque chose qui ressemblerait à une révolution ; ce que suggère la phase actuelle, c’est plutôt, pour reprendre la distinction opérée par Raymond Aron au lendemain de la Libération, alors que tout le monde parlait de révolution, une rénovation. Ni plus, ni moins. L’armée n’est pas seule à ne pas vouloir quitter la place ; les élites égyptiennes occupant des positions importantes dans l’administration comme dans le monde des affaires ne le souhaitent pas davantage. Beaucoup de ses membres n’appréciaient pas le tour qu’avaient pris les choses durant les dernières années de la présidence d’Hosni Moubarak. Ce ne sont pas pour autant des révolutionnaires. Ils ne croient pas au « Peuple », tout au moins pas à ses composantes concrètes. Ils souhaitent que les choses rentrent dans l’ordre, afin qu’ils puissent s’établir durablement aux commandes. Ils peuvent parfaitement s’entendre avec l’armée – qui semble souhaiter conserver ses acquis plutôt que le pouvoir – et, jusqu’à un certain point, avec les Frères musulmans, à condition qu’ils ne leur demandent pas plus qu’ils ne sont prêts à leur concéder.

De ce point de vue, il existe une large majorité favorable à des réformes de moyenne portée qui s’accompagneraient d’une redistribution raisonnable des rôles. Visiblement, les Frères musulmans ne souhaitent pas autre chose. Leur participation à la commission qui a proposé la réforme constitutionnelle, et qui était présidée par un juriste connu pour être favorable à la réislamisation, suggère qu’ils entendent asseoir leurs positions plutôt que se livrer à une surenchère. Bref, on observe, chez les principaux protagonistes, un désir de rénovation du régime n’impliquant pas de véritables bouleversements sociaux. Du reste, il est probable que la majorité des Égyptiens – cette majorité qui n’est pas descendue dans les rues, mais qui a très probablement apprécié que les choses finissent par bouger dans un pays finalement plus gangrené par l’immobilisme que par la corruption – que cette majorité, donc, ne souhaite pas davantage de tels bouleversements et espère, au contraire, un retour au calme et à la stabilité. Une telle évolution, d’abord préoccupée de refermer la boîte de Pandore des insatisfactions et des espoirs, a, bien sûr, ses adversaires, et tous n’ont pas de mauvaises raisons à faire valoir, mais serait-il raisonnable de la contrecarrer ?