Le président et l’Algérie edit
Pour tout président de la République française, l’Algérie est un sujet d’importance. La sécurité de la France dépend pour une part de ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Une guerre civile en Algérie, un conflit algéro-marocain, une poussée djihadiste auraient des effets directs et indirects : afflux en France d’exilés algériens, manifestations, attentats. Un rapprochement accru de l’Algérie avec la Russie et Chine pourrait menacer notre approvisionnement en gaz et l’ensemble de nos échanges commerciaux, qui restent significatifs, même si notre position relative ne cesse de baisser. L’influence de l’Algérie en Afrique a reculé, mais une dégradation de nos relations affaiblirait encore plus nos positions sur tout le continent (sauf avec le Maroc). En politique intérieure, les réactions contradictoires des millions de Français liés à l’Algérie : doubles nationaux, descendants des pieds-noirs, des harkis ou dans une moindre mesure des soldats contingent, pèsent sur la vie politique, élections comprises et elles évoluent en fonction de l’état de nos relations.
Un président conscient de l’extrême sensibilité du sujet peut prendre le parti de la prudence et de la discrétion. Les échanges, à un haut niveau, seront fréquents et rarement publics, même si des manifestations officielles et protocolaires, rarement suivies d’effet, se tiennent à une fréquence régulière. Le président fait un voyage à Alger durant son mandat, sans chercher à séduire la population. Les problèmes concrets, notamment dans le domaine de la sécurité, sont traités en priorité. Des rapprochements discrets se font dans les enceintes internationales. Cette approche modeste repose sur la conviction que tous les mouvements passionnels sont à éviter et qu’une réconciliation est affaire d’une ou de plusieurs générations. Sur le plan intérieur, les injustices les plus flagrantes liées à la guerre d’Algérie sont corrigées dans la mesure du possible et des « gestes » d’apaisement proposés.
À la vérité, nos présidents s’en tiennent rarement à cette politique pragmatique des petits pas. À un titre ou à un autre, jusqu’à Jacques Chirac ils ont tous été impliqués dans la guerre d’Algérie. Ils ont une vision personnelle même si leurs connaissances sont très inégales, et veulent être les acteurs majeurs d’une nouvelle ère entre les deux pays. Ils évoquent la signature d’un Grand Traité ou le début d’une nouvelle histoire. Ils tentent par des bains de foule en Algérie d’accroître leur popularité et leur capacité à négocier.
Pendant ce temps, les contentieux anciens et nouveaux ne se règlent pas, même si les ministres français qui défilent à Alger sont ravis de l’accueil qui leur est fait, tout en repartant les mains vides. Les Algériens pratiquent une hospitalité généreuse mais s’en tiennent là. Au bout de quelques mois, plus personne ne parle des grands projets et des tensions réapparaissent.
Le choix macronien de la séduction et de l’audace
Emmanuel Macron, du fait de son âge, n’a pas de passé algérien. Il a considéré dès le début qu’il jouerait un rôle majeur. En campagne, le candidat fit un premier déplacement à Alger et sur une radio algérienne dénonça la colonisation comme un crime contre l’humanité. Ce propos provocant jeta un doute sur sa maturité politique et faillit lui faire perdre l’élection. Le ralliement simultané de François Bayrou lui sauva probablement la mise. Élu président, il a multiplié les déplacements en Algérie, les contacts personnels et les initiatives. Emmanuel Macron a sans nul doute séduit par sa jeunesse, son langage direct, la rapidité de ses réactions et sa maîtrise des joutes verbales son public algérien. Il a, au moins un temps, bousculé les vieillards qui tiennent les commandes à Alger. Le « vieux pays » dirigé par des jeunes, s’impose au « pays jeune » commandé par des vieux.
Ce dynamisme, cette jeunesse, cette accumulation des initiatives permettront-elles à cette approche « par le haut » de changer le cours des choses ? On peut en douter.
L’obstacle principal est Alger. Le régime des généraux , depuis l’Indépendance, est fondé sur la dénonciation permanente du colonialisme français. La France doit rester le bourreau et l’Algérie la victime. La France doit demander pardon et indemniser. La lutte anticoloniale n’est pas achevée, elle se poursuit en raison des nouveaux méfaits de l’ex-puissance coloniale. Les Généraux n’ont aucun autre fondement sur lequel il appuyer leur légitimité, plus de soixante ans après l’Indépendance : ni un régime démocratique , ni un régime islamique dur, ni un développement économique équilibré. Comme l’a très bien dit Emmanuel Macron : il est beaucoup plus rentable, au moins à court terme, d’exploiter la rente de l’anticolonialisme pour justifier les échecs. C’est plus facile, et plus populaire, en particulier chez les jeunes de plus en plus hostiles à l’ex-puissance coloniale, comme dans de nombreux pays africains.
Le constat des dirigeants algériens depuis 1962 est que la France finit toujours par céder (ou presque), quelle que soit la revendication algérienne. De Gaulle n’a obtenu gain de cause ni sur le monopole politique du FLN, ni sur les garanties pour les pieds-noirs ou les harkis, ni sur le Sahara. Pompidou s’est incliné sur le prix du pétrole et Mitterrand sur un prix du gaz très supérieur à celui du marché. Sur de petits contentieux financiers, sécurité sociale, transferts, confiscations, Paris obtient rarement gain de cause.
Reconnaissons que le plus souvent la France est une piètre négociatrice. Le négociateur français cultive une mauvaise conscience héritée de la guerre et est un homme pressé. Son homologue algérien prolonge indéfiniment les discussions, modifie les dates, il a le temps pour lui . Il sait changer d’argumentation selon les phases de la discussion : rationnelle, bienveillante, conciliante, puis colérique et menaçante, déstabilisant son partenaire. La vérité est que dans de nombreux cas le responsable algérien a une bien meilleure connaissance d’un homologue décontenancé par les différences culturelles.
Même sur les visas qui sont le moyen de pression français, notre politique résiste difficilement aux pressions algériennes, comme le montre notre récent et dernier recul. À la suite du refus de l’Algérie de récupérer ses ressortissants ayant commis des crimes ou des délits en France, les délivrances de visa avaient été fortement réduites (comme avec le Maroc et la Tunisie). Or le gouvernement vient de renoncer (peur pour nos approvisionnements gaziers ?).
Pourquoi les dirigeants algériens ne continueraient-ils pas sur une voie qui leur a réussi depuis 1962, quitte à faire preuve d’un réalisme discret sur les nombreuses questions qui continuent de lier les deux pays et à accepter des solutions pragmatiques ?
La vérité est que l’Algérie n’a que faire de la réconciliation officielle et de celle des mémoires. Un manuel d’histoire sérieux ferait apparaître les crimes de la « victime » : élimination sanglante du MNA, assassinats de Français après l’indépendance, exécution des harkis. La publication d’un tel livre est loin d’être d’actualité à Alger.
Les obstacles à Paris sont moindres mais réels. Beaucoup de Français, liés à l’Algérie, ne souhaitent nullement que des relations exemplaires se nouent entre les deux pays (opposants algériens, harkis, pieds noirs…) sans oublier les lobbys marocains. Quant à la population française, elle souhaite principalement que les passions ne soient pas rallumées, sans être hostile à quelques initiatives dénonçant des erreurs et des mensonges du passé. La marge de manœuvre est étroite. Le président peut présenter des excuses pour les assassinats de Maurice Audin et d’Ali Boudmendjel. Mais quid pour les centaines, voire les milliers de « suspects » qui ont subi le même sort ?
Le président semble vouloir avancer sur sa « voie par le haut », qui, selon lui, pourrait déboucher sur un événement de portée historique, politiquement exploitable.
Une visite d’État du président algérien Abdelmadjid Tebboune est prévue au mois de mai. Il semble que ce vieillard de 78 ans ait été séduit, comme bien d’autres, par cet homme jeune au franc parler. Nul doute que le président préparera avec soin ce voyage[1], qu’il y aura des moments émouvants, par exemple à Amboise auprès des tombes de compagnons d’Abd el-Kader morts dans l’isolement et le froid. Abd el-Kader est le seul héros nationaliste algérien qui ait été admiré, voire aimé, par les Français. Des accords seront peut-être signés et des flots de discours scanderont le voyage.
Et après le voyage ? Alger sera flatté par l’accueil fait à son président. Le passage à Amboise sera apprécié, même si la tentative de partager Abd el-Kader avec la France agacera. Mais les rapports entre la France et l’Algérie ne seront pas fondamentalement modifiés. Même si le président Tebboune en avait la volonté, il ne dispose pas du pouvoir nécessaire. Un incident et les pressions des milieux hostiles viendront rappeler que pour Alger la France reste officiellement l’ennemi héréditaire avec lequel on ne peut transiger.
Une politique plus modeste et plus progressive, impliquant la société civile, serait moins visible mais plus efficace. La richesse à exploiter, ce sont les multiples liens – y compris sentimentaux – qui unissent des millions de Français et d’Algériens, liens qu’il faut consolider et enrichir. Les échanges de toute nature doivent être accrus : échanges économiques, culturels, éducatifs, et un jour touristiques. Chaque opération serait conçue afin d’être avantageuse pour les deux parties. Les institutions non strictement étatiques tiendraient un rôle moteur dans cette densification des échanges : collectivités locales, universités, chambres de commerce, associations… L’Etat serait plus un facilitateur qu’un acteur, en particulier pour ne pas prêter le flanc au reproche de la recolonisation.
C’est ce franco-algérien quotidien et diversifié qui faciliterait la réconciliation officielle des Etats à une date… indéterminée, lorsque les circonstances seront favorables. Le rôle principal de l’Etat serait d’éviter ou de limiter les crises.
La limite à une telle approche n’est pas financière. Il s’agit des visas. La question est d’importance nationale, et les points de vue sont contradictoires et passionnels. Un compromis stable est nécessaire. On en est encore loin. Les facteurs à prendre en compte sont multiples. D’un côté, les accords particuliers qui nous lient dans ce domaine, les demandes pressantes exprimées par les Algériens, dont les jeunes et ceux de France, la souplesse nécessaire si l’on veut multiplier les rencontres (colloques, conférences, stages). De l’autre, les questions de sécurité (il existe des djihadistes en Algérie) une opinion en majorité hostile en France, les détournements de procédure par les Algériens (les étudiants qui ne rentrent pas) .
C’est probablement notre capacité à parvenir à un équilibre toléré par le plus grand monde qui déterminera l’intensité et la qualité des relations franco-algériennes dans les prochaines années.
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[1]. Ne pourrait-on conseiller au président de relire l’Ecclésiaste ? Il est un temps pour tout et confondre les temps est une erreur. Une présidence, c’est le temps de l’action puis viendras le temps du commentaire. En lisant l’interview de dix pages sur les relations franco-algériennes dans Le Point, la confusion est évidente. Un président a certes à expliquer son action mais avec concision et prudence. L’action est en cours, elle pourra se modifier en fonction du contexte et de l’expérience acquise. Les longs discours n’évitent pas les contradictions et sont prématurés. Espérons que le Président évitera les excès de prolixité lors de la visite de son homologue algérien.