Les présidentielles en Ukraine et le futur de l’Europe edit

15 mars 2019

Le 31 mars, les Ukrainiens se rendront aux urnes pour élire leur président. Cela lancera un cycle politique qui conduira à un deuxième tour des présidentielles le 21 avril, à l’investiture du président le 31 mai puis au renouvellement de la Rada Suprême, la seule chambre du  Parlement, à l’automne. À n’en pas douter, les élections européennes du 26 mai seront également un moment fort pour la vie publique, même si les électeurs ukrainiens n’y prendront pas part.

La campagne ukrainienne rappelle ce que les Européens oublient trop souvent : l’Europe fait encore rêver. Elle est bien souvent le principal horizon économique et politique des voisins de l’est parties au Partenariat oriental : la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie ainsi que, dans une moindre mesure, le Belarus, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Au moment où ils commémorent avec douleur leurs morts dans le mouvement Euromaïdan et l’annexion de la Crimée le 18 mars 2014, les citoyens ukrainiens espèrent en l’Europe pour lutter contre leurs fléaux quotidiens : corruption, guerre, absence de perspectives économiques. À Rome, à Paris comme à Budapest, l’Europe est l’accusée. À à Kiev, elle est la solution. L’horizon. Un vivant paradoxe – ukrainien et européen à la fois.

Le fléau de l’abstention, à Kiev comme dans l’Union

Les élections ukrainiennes partagent avec les élections européennes le risque d’une forte abstention. En 2014, elle avait dépassé les 40% lors de l’élection de Petro Porochenko face à Ioulia Timochenko. De même, aux élections européennes de 2014, elle avait dépassé 56%. Mais le parallèle cesse ici, et pas simplement parce qu’on comparerait des incomparables. Dans l’Union, les élections européennes mobilisent peu et les institutions européennes sont invariablement accusées de déficit démocratique. C’est même le cas du Parlement européen pourtant élu au suffrage universel direct et à la proportionnelle. En Ukraine, au contraire, l’Europe galvanise et mobilise ; c’est la scène politique nationale qui décourage.

En 2013 et en 2014, une grande partie de la société civile ukrainienne s’était mobilisée en faveur de l’accord de partenariat avec l’Union et contre la corruption de l’administration et des élites politiques. D’où les manifestations populaires contre la présidence Ianoukovitch, sensible à l’influence russe et éclaboussée par les scandales. Tout aujourd’hui favorise l’abstention domestique et la mobilisation pour l’Europe.

Une offre politique en renouvellement progressif

Les Ukrainiens espèrent en l’Europe car ils désespèrent de leur classe politique. Échauffourées fréquentes entre parlementaires à la Rada ; corruption endémique ; incapacité à réformer la Constitution ; crise économique prolongée, etc. Les réformes réelles semblent patiner. Le renouvellement des élites politiques est lui aussi bloqué : les principaux candidats à la présidentielle ont entamé leur carrière politique il y a bien longtemps. Ioulia Timochenko a été Premier ministre de 2007 à 2010. Anatolii Hrytsenko, candidat du parti de centre-droit Position citoyenne, a été ministre de la Défense de 2005 à 2007. Quant à Iouri Boïko, il a été vice Premier ministre de 2012 à 2014. Et Oleh Liachko, plus jeune, a déjà été candidat en 2014. Ces parcours pourraient démontrer le sérieux de leurs candidatures respectives. En réalité, le non-renouvellement de la classe politique décourage des Ukrainiens. Ils ont depuis longtemps assimilé positions de pouvoir, prébendes économiques et capture des positions.

C’est ce qui explique le succès d’une nouvelle figure, Volodymyr Zelesnki, un acteur comique crédité aujourd’hui de 25% des intentions de votes. Aujourd’hui, tous redoutent un deuxième tour identique à celui de 2014 entre le sortant, Porochenko, et la revenante, Timochenko. Si les regards des Ukrainiens se tournent aujourd’hui vers la Pologne, les États baltes ou l’Allemagne, c’est tout à la fois parce que la classe politique nationale n’a pas su se renouveler pour porter le développement économique et donner un nouvel élan à cette nation en guerre larvée depuis 2013. Le contraste avec l’Union est aujourd’hui éloquent : la scène politique des européennes est aujourd’hui bouleversée par un profond renouvellement des leaders (Macron, Biedron, Salvini, Di Maio, Kurz) et des partis (LaREM, Ciudadanos, Mouvement 5 Etoiles, Wiosna, etc.) De là à considérer que le véritable débat politique est dans l’Union… le pas est vite franchi.

L’Ukraine, passerelle ou ligne de front entre Europe et Russie?

En Ukraine, comme toujours, les élections présidentielles de mars et les élections législatives de l’automne seront surplombées par le positionnement du pays entre Europe et Russie.

Aujourd’hui, la plupart des candidatures aux présidentielles sont ouvertement favorables à une perspective d’adhésion du pays à l’Union européenne et à un rapprochement avec l’OTAN. Ainsi, le président sortant, Petro Porochenko, en difficulté dans les sondages, promet une adhésion à l’OTAN et l’UE dès 2024 et met en avant tous les éléments nationalistes de son bilan comme le résume son slogan « armée, langue, foi ». L’obtention du temnos auprès du patriarcat œcuménique de Constantinople et la création d’un patriarcat orthodoxe à Kiev, détaché du patriarcat de Moscou, est un élément essentiel de son discours de campagne. Il en va de même du non renouvellement du traité d’amitié avec la Russie. C’est ce qui fait du président sortant la cible des critiques du président russe. L’ancrage de l’Ukraine dans le monde russe est durablement affaibli, d’autant plus qu’une partie des électeurs de l’est de l’Ukraine et de Crimée ne pourront sans doute pas prendre part au scrutin. De plus, en annexant la Crimée et en soutenant les séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine a rendu la fracture presque indépassable entre l’ancienne République soviétique d’Ukraine et l’actuelle Fédération de Russie.

L’Europe constitue donc, presque malgré elle, l’horizon de toutes les attentes ukrainiennes. Les forces de modernisation de l’Ukraine s’appuient essentiellement sur les accords conclus avec l’Union européenne. Les finances publiques y sont soutenues par l’Europe. La circulation avec l’Union est garantie par le partenariat européen. Et la promotion de l’État de droit permet de lutter contre l’arbitraire et la corruption.

Que les électeurs européens en soient conscients au moment du choix : les Ukrainiens mais aussi les Géorgiens ou encore les Moldaves, comme on vient de le voir aux élections législatives, considèrent les élections européennes aussi comme leurs élections.