Italie: ce qui attend Prodi edit

May 9, 2006

Comme tous autres pays européens, l’Italie est confrontée à la mondialisation et au vieillissement de sa population. Sauf que sur ces deux plans sa situation est particulièrement délicate. Sa spécialisation commerciale quelque peu obsolète la rend particulièrement vulnérable à la concurrence des pays émergents et aucun autre pays ne va autant vieillir durant la première moitié de ce siècle. Pour faire bonne mesure, l’économie italienne est plombée par une dette publique qui représente 106% de son PIB. Tout ceci va se traduire inéluctablement par d’importants transferts de revenus. En fait, le processus est déjà en route, et les tensions sociales qui s’accumulent vont s’exacerber dans les années à venir. Face à un tableau si peu réjouissant, que va pouvoir faire le nouveau gouvernement italien ?

Il n’a guère le choix. Il doit faire repartir à la hausse le potentiel de croissance de l’économie italienne. Il doit compenser les transferts de revenus qui s’annoncent ; en fait il doit même commencer par corriger ceux qui ont déjà eu lieu ces dernières années. Il doit, enfin, s’attaquer rapidement aux déficits publics, avant que la génération du baby boom ne parte massivement à la retraite durant la prochaine décennie.

Le défi du potentiel de croissance passe avant tout par une augmentation de la main d’œuvre. La participation des femmes à la vie active est un premier levier qu’il va falloir actionner. Le deuxième levier est celui de l’immigration. Une remise à plat de la politique d’immigration est inévitable ; elle devra avant tout permettre aux immigrants de mieux organiser leurs vies professionnelles et personnelles. Le troisième levier est celui de la mobilité du travail, essentielle pour que les entreprises puissent se repositionner dans des secteurs porteurs face à la concurrence mondiale. La réponse pourrait être le décloisonnement du système actuel d’assurance-chômage.

Comme bien d’autres pays européens, l’Italie a pris du retard dans l’adoption des nouvelles technologies d’information et de communication. Ces technologies, qui ont donné un coup d’accélérateur à la croissance dans les pays qui les ont intégrées, se développent surtout dans le secteur des services. La réponse devrait être d’injecter plus de concurrence dans le commerce de gros et de détail aussi bien que dans les services publics nationaux et locaux. Pour qu’une telle politique produise ses effets, il faut que l’investissement dans les équipements informatiques suive.

Un élément crucial du dispositif est la baisse de cinq points de pourcentage de la fiscalité sur les salaires. Le défi de la redistribution des revenus ne pourra pas être relevé sans une accélération de la croissance potentielle, mais il exige aussi un traitement spécifique de la fiscalité. La fiscalité sur les salaires des emplois temporaires est plus basse que celle qui affecte les emplois permanents. Comme la réduction prévue de la fiscalité sur les salaires n’affectera que les emplois permanents, on peut logiquement escompter que le nombre d’emplois précaires va diminuer au profit d’emplois stables, ce qui devrait profiter aux jeunes peu qualifiés. D’autres mesures de justice sociale sont prévues : une augmentation des allocations familiales, financées par une hausse des impôts sur les revenus les plus élevés, ainsi qu’un accroissement des impôts sur les revenus du capital qui passeront de 12,5% à environ 20%. Enfin, les aides aux personnes les plus âgées seront fortement accrues.

Cette stratégie repose sur un diagnostic important : la faiblesse de la demande interne, constatée ces dernières années, n’est pas due à une pression fiscale trop lourde. D’après ce diagnostic, l’anémie de la demande est plus probablement associée à une polarisation des revenus – plus de revenus élevés qui sont largement épargnés, et plus de bas revenus à faible pouvoir d’achat – et à une hausse générale de l’épargne qui résulte de l’inquiétude face à un allongement de la durée de vie. Il reste à vérifier que ce diagnostic est le bon.

Le troisième défi est celui de la baisse des déficits publics. Mais si les mesures concernant les deux premiers défis sont conformes aux engagements pris durant dans la campagne électorale, en ce qui concerne la réduction des déficits les discussions en cours au sein de la coalition semblent moins fermes que ce qui avait été annoncé. La raison est simple, et classique. Le rythme promis de réduction des déficits impose de choisir entre les différentes mesures prévues pour relever les deux premiers défis. La priorité ira sans doute à la promesse-phare de la campagne, la baisse de la fiscalité sur les salaires. Il est possible, cependant, de moduler cette mesure, en commençant par l’appliquer seulement aux salaires les plus faibles. La mesure pourrait également être financée par une augmentation des contributions sociales prélevées sur les revenus des travailleurs indépendants.

Il reste que le plus difficile et le plus important sera de rétablir le contrôle sur deux catégories de dépenses qui ont explosé ces dernières années : les dépenses de santé et celles des communes. Comme les dépenses de santé sont à la charge des autorités régionales, ce qui est en jeu c’est la volonté et le pouvoir politique du gouvernement central. Cette reprise en main est d’autant délicate que la tendance est à la décentralisation et que le gouvernement ne disposera que d’une majorité des plus étroites.

Une autre voie reste à explorer. Le souhait exprimé durant la campagne est d’économiser autant grâce à une gestion performante de la dette publique que par les autres mesures de contrôle des dépenses et d’augmentation des impôts. Mais le gouvernement Berlusconi a déjà avancé dans cette voie ; que reste-t-il à gagner ? Ce qui est sûr, c’est que le gouvernement Prodi n’utilisera pas, lui, les gains obtenus en vendant ou en mettant en location le patrimoine immobilier du gouvernement pour augmenter les dépenses de fonctionnement de l’Etat, comme l’a fait son prédécesseur.

Dans le cadre du Pacte de Stabilité, l’accord le plus favorable que le gouvernement pourra obtenir avec la Commission devrait prévoir une baisse du déficit de 0,5% du PIB chaque année pendant trois ans. Cet objectif semble atteignable mais, pour y parvenir, il faudra restructurer les dépenses et la fiscalité chaque année. L’Italie ne pourra plus se permettre de s’offrir une cagnotte, comme ce fut le cas en 1997 et, euro oblige, le gouvernement ne pourra pas jouer sur une crise monétaire pour dramatiser la situation, comme en 1992. La situation est inédite et aucun antécédent ne permet aujourd’hui de prévoir si cette stratégie réussira.