L’avenir incertain du mouvement démocratique hongkongais edit

Sept. 15, 2017

Depuis le mouvement des parapluies en 2014, le fossé est grandissant entre la population hongkongaise et les autorités chinoises. La stratégie de Pékin ne laisse rien augurer de bon pour l’avenir du mouvement démocrate dans la cité. Au-delà de la situation des droits de l’Homme et du respect de l’État de droit dans la Région administrative spéciale (l’appellation officielle de Hong Kong au sein de la République populaire de Chine), le débat sur la démocratie à Hong Kong se révèle avoir une portée plus large car il nous éclaire sur la vision qu’ont les autorités chinoises quant à la gouvernance du pays et aux valeurs qui sous-tendent leur politique. Ce débat pourrait n’être que très circonstancié. Mais compte tenu de la place croissante que la Chine entend jouer sur la scène internationale et de l’importance que Pékin accorde à la question du soft power, on décèle très vite que l’avenir du mouvement démocratique à Hong Kong fait figure de test pour le modèle politique de demain.

Montée en puissance de la contestation

Si le ressentiment et l’inquiétude sont allés crescendo depuis la rétrocession à la Chine en 1997, on peut néanmoins considérer que les manifestations de l’automne 2014 (de fin septembre à mi-décembre) ont marqué un tournant pour le mouvement pro-démocratique. C’était à l’origine une initiative des étudiants de la Chinese University of Hong Kong qui entendaient dénoncer la décision du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire à Pékin de limiter la portée du suffrage universel pour l’élection du chef de l’exécutif de Hong Kong (et ce, dès les prochaines élections de 2017). Mais étaient également reprochés le fait que les candidats à cette élection étaient de plus en plus des hommes de Pékin, mais aussi - et d’une manière générale - le recul de l’État de droit dans la cité et un ajustement sur les pratiques du continent en termes politiques et judiciaires. Ce mouvement, connu depuis comme la « révolution des parapluies », aurait rassemblé autour de 900 000 personnes.

Si ces manifestations ont retenu l’attention des médias internationaux, le mouvement démocratique s’est également nourri de l’enlèvement à Hong Kong, par la police politique chinoise, de libraires et d’éditeurs hongkongais. Leur crime était d’avoir publié  ou diffusé à Hong Kong -  comme la loi hongkongaise les y autorise - des ouvrages critiques envers le régime chinois. Cela n’empêcha pas les forces chinoises de les enlever et de les emmener en Chine où des mises en scène de confessions télévisuelles furent organisées. D’une manière générale, la mainmise de plus en plus visible et assumée de Pékin sur la vie de la cité, et notamment sur sa vie politique, a joué dans la défiance grandissante de la population hongkongaise vis-à-vis de la Chine. Ce sentiment est particulièrement marqué au sein de la jeunesse de Hong Kong.

Le ressentiment à l’encontre de Pékin est lié à sa volonté permanente d’imposer à Hong Kong une politique identique à celle du continent, en limitant les acquis démocratiques des résidents hongkongais, en faisant taire les critiques et en accélérant l’assimilation de Hong Kong à la Chine. Or, si la population était, dans son ensemble, lassée par les manifestations des pro-démocrates, elle ne se sent pas pour autant en phase avec le projet que Pékin a pour elle. Ce fossé est très marqué au sein de la jeune génération. D’après un sondage de l’université de Hong Kong, seuls 3% des 18-29 ans se sentent Chinois (le seuil le plus bas depuis 1997), quand 65% se déclarent Hongkongais. Symétriquement la confiance accordée par la population hongkongaise au gouvernement chinois ne cesse de chuter depuis la rétrocession (et ce malgré des indicateurs économiques plutôt bons ces dernières années). Si bien que certains n’hésitent plus désormais à militer pour l’indépendance de la cité.

L'élargissement du fossé culturel avec la "mère patrie"

Paradoxalement la contestation la plus virulente de la Chine émane d’une jeunesse qui a grandi et été éduquée dans une cité redevenue chinoise. Il ne s’agit donc pas d’une forme de nostalgie de la période britannique. Constat d’autant plus surprenant quand on sait que l’éducation « patriotique » est devenue depuis une vingtaine d’années un élément primordial pour les dirigeants chinois. Si Hong Kong n’est pas autant exposé que le reste du continent chinois au renouveau de la propagande et à la modification des programmes scolaires (notamment ceux qui ont trait aux sciences sociales), la cité n’y échappe pas complètement pour autant.

Deux éléments sont à prendre en compte pour saisir les développements politiques hongkongais. Les réactions contemporaines aux velléités de Pékin résultent pour partie de l’évolution du système politique, et d’une manière générale, des libertés à Hong Kong par rapport à la période britannique, mais aussi de l’évolution politique en Chine.

Depuis la guerre de l’opium (1839-1842) jusqu’en 1997, Hong Kong fut une colonie britannique. Les Britanniques y installèrent un corpus législatif développé qui garantissait la liberté de commerce, la validité des contrats et les libertés individuelles. Pendant toute cette période, le pouvoir exécutif était confié à un gouverneur nommé par Londres. Hong Kong ne fut jamais, à proprement parler, une démocratie. Mais progressivement la chambre de commerce fut davantage impliquée dans l’administration économique de la cité. Puis une assemblée locale (LegCo) fut associée à la gestion de la cité. Cette tendance fut accélérée sous le mandat du dernier gouverneur britannique de Hong Kong (Christopher Patten). Il déclencha l’ire de Pékin, notamment à cause de la réforme électorale de 1994 qui élargissait le corps électoral au LegCo et accordait plus de pouvoir à l’assemblée locale. Ces réformes visant à la démocratisation de la cité furent cependant incorporées à la Basic Law, la « mini Constitution » en vigueur à Hong Kong après la rétrocession.

Certains à Pékin virent dans ces réformes le reniement de l’accord signé en 1984 entre la Grande-Bretagne et la Chine car, à l’époque, il n’était nullement question de démocratiser Hong Kong. Pékin, qui s’était engagé à conserver le statut autonome de la cité, ne put s’ingérer de front et rapidement dans la vie politique de la cité, mais exigea d’emblée que le chef de l’exécutif fût un « patriote », autrement dit, un candidat pro-communiste. Les élections du chef de l’exécutif de Hong Kong se transformèrent dès lors en une nomination par Pékin d’un candidat, souvent issu des milieux d’affaires, favorable à la stabilité économique donc politique de la cité. Les atteintes croissantes à la liberté politique ont porté un coup à la confiance, déjà très relative, que les Hongkongais portaient aux dirigeants chinois. La décision de 2014 mit le feu aux poudres d’une jeunesse qui voyait dans la gouvernance chinoise une régression en termes de libertés par rapport aux dernières années de la période coloniale.

Cette attitude de Pékin s’explique aussi par l’évolution propre de la politique chinoise. Depuis 1989, on assiste à une montée en puissance d’un nationalisme orchestré par un pouvoir en panne d’idéologie dans un monde post-guerre froide. Les années Hu Jintao (2002-2012) ont été celles de l’affirmation croissante du nationalisme, le tout présenté dans un cadre politique faisant vaguement appel aux principes confucéens et à la culture chinoise. Avec l’arrivée de Xi Jinping (en 2012), s’y sont ajoutés un retour en force de l’héritage communiste, l’orthodoxie politique et surtout la fidélité au Parti.

Martin Lee, député démocrate au LegCo, pensait que la Chine allait se démocratiser depuis Hong Kong. Amer, il a tiré, dans la presse, la conclusion que c’était l’inverse qui était en train de se produire. Lee n’est sans doute pas le seul à faire ce constat et nombreux sont ceux qui partagent ses craintes. Dans une société hongkongaise, traditionnellement peu politisée, où les débats politiques n’ont été ouverts au grand public que dans le courant des années 1990, il semble que ce soit cette crainte de voir Hong Kong devenir une société autoritaire qui ait mobilisé une nouvelle génération d’activistes.

Hong Kong reste un enjeu important pour la Chine !

Rétrospectivement, le pari de Martin Lee de voir Hong Kong irradier la Chine de sa culture et de ses valeurs démocratiques était sans doute trop optimiste. C’était sans compter sur la vision qu’ont les dirigeants chinois de la politique et de la stratégie qu’ils ont patiemment mises en place pour assurer la survie et le renforcement du Parti. Lors de sa visite à Hong Kong en juillet pour commémorer les vingt ans de la rétrocession, Xi Jinping a pris soin d’insister sur le devoir de loyauté envers le Parti et la patrie. Et, très vite, nul n’a pu ignorer la poigne de fer dans le gant de velours. Le secrétaire général du Parti ne prit d’ailleurs pas la peine de s’entretenir avec les députés de l’opposition ou les leaders du mouvement démocrate.

Ceci s’explique par la ligne directrice de Xi depuis qu’il est au pouvoir : la sécurité nationale. La pierre angulaire de son projet est « la grande renaissance de la nation chinoise » (中华民族伟大复兴). Il faut entendre par là un renforcement de l’autorité du Parti sur la société, la défense de valeurs traditionnelles (communisme orthodoxe, nationalisme et confucianisme), une nation riche et une armée forte. Xi ne veut absolument pas qu’une Hong Kong démocrate et libérale ne dégénère en « base de subversion » contre la mère patrie socialiste. Les élites chinoises, qui mettent la stabilité politique comme une priorité pour garantir le développement économique, ne peuvent voir que d’un mauvais œil un mouvement démocrate qui, non content de déstabiliser les autorités, les remet en question.

Au fond, on pouvait se demander si le PCC allait jamais respecter la spécificité démocrate de Hong Kong. Dans la formule « un pays, deux systèmes », la population locale y voyait la garantie du respect des libertés individuelles quand les dirigeants communistes y voyaient surtout le respect de l’économie capitaliste et du droit des affaires. Mais pour une génération de dirigeants qui estiment que l’heure de la Chine est revenue (et non arrivée), la question du modèle de société influençant toute l’Asie ne peut se permettre d’être mis à mal, en interne, par les démocrates de Hong Kong. La mise au pas du mouvement démocrate est donc autant une question de sécurité intérieure que de soft power pour nourrir la nouvelle ambition globale des cadres du Parti.