Matteo Renzi, un homme politique nouveau? edit

Jan. 27, 2015

Avec la fin de la présidence italienne du semestre européen (qui n’aura pas marqué l’Histoire) et la démission du président de la République Giorgio Napolitano intervenue le 14 janvier, une nouvelle phase s’est ouverte pour Matteo Renzi. Celui-ci n’est à l’évidence pas un homme politique comme un autre. Depuis sa large victoire aux primaires organisées le 8 décembre 2013 par le Parti Démocrate (PD), qui lui ont permis de devenir secrétaire de cette formation, puis sa nomination à la présidence du Conseil de la République, le 22 février 2014, Renzi fascine, intrigue ou, à l’inverse, suscite une vive hostilité. Il y a eu en Italie durant près de deux décennies un « phénomène Berlusconi » ; il y a désormais un « phénomène Renzi ».

Matteo Renzi est d’abord le prototype du leader engendré par la montée en puissance de la démocratie du public, pour reprendre la fameuse notion de Bernard Manin. Il n’est pas le seul ni le premier en Europe et en Italie, puisqu’il a été précédé, par exemple, par Tony Blair, Nicolas Sarkozy ou Silvio Berlusconi.

La comparaison avec ce dernier est souvent faite, en particulier par les adversaires de gauche de Renzi, pour tenter de le dénigrer. À l’évidence, il présente des traits communs avec « Il Cavaliere » : la manière de se présenter comme un homme nouveau, la mise en avant systématique de sa propre personne, le soin apporté à son « hexis corporel », sa maestria télévisuelle, sa communication incessante, la composante populiste, la volonté de parler directement aux électeurs en ignorant les corps intermédiaires (syndicats de salariés, organisations patronales, groupes d’intérêt les plus variés etc.), le goût de la provocation, le désir d’agir vite ou encore l’exaltation d’une certaine fierté nationale.

Mais des différences notables existent également : l’âge (Renzi a quarante ans, Berlusconi soixante-dix-neuf),  son utilisation magistrale des réseaux sociaux et pas simplement de la télévision, l’absence de conflit d’intérêt de la part d’un homme qui n’est pas, lui, un milliardaire, son engagement pro-européen et, évidemment, sa localisation au centre-gauche.

Emblématique du triple processus de personnalisation, de médiatisation et de présidentialisation de la politique qui affecte l’ensemble des démocraties occidentales, Renzi se veut avant tout pragmatique et post-idéologique. Quand bien même il a fait adhérer le PD au Parti socialiste européen, il estime, à l’instar de celui qu’il présente comme son modèle, Tony Blair, que le clivage gauche-droite est dépassé ; à ses yeux, le vrai antagonisme est celui qui oppose les réformateurs aux conservateurs, les modernes aux anciens, les innovateurs aux traditionnalistes. N’hésitant pas à recourir au registre de l’anti-politique, en surfant sur la défiance des Italiens envers les institutions politiques et la classe politique traditionnelle, Matteo Renzi se comporte néanmoins en vrai professionnel de la politique.

À peine devenu secrétaire de son parti, il a décapité la vieille garde, issue soit de l’ancien Parti communiste soit de l’ex-Démocratie chrétienne, et s’est entouré de jeunes  fidèles et dévoués. Il a essayé de procéder de même pour les ministres PD de son gouvernement de coalition formé avec divers petits partis centristes. Il joue en effet à fond les cartes de la jeunesse et de la féminisation, dans un pays profondément gérontocratique et machiste. Il transforme son parti en un instrument à son service exclusif, au point que le politiste Ilvo Diamanti qualifie le PD de PDR (Parti de Renzi).

Doté d’un flair politique exceptionnel, il a une réelle capacité à saisir en un instant les opportunités qui se présentent. Il n’hésite pas non à prendre des risques (par exemple en scellant un pacte avec Silvio Berlusconi pour la réforme électorale et peut-être pour l’élection du président de la République, ce qui accroît l’hostilité de ses adversaires de gauche), à trancher dans le vif, et, en bon lecteur de son ancêtre florentin Machiavel,  à « tuer »  ses concurrents, ses rivaux et ses adversaires. En ce sens, bien qu’ayant été socialisé dans sa jeunesse dans le Parti populaire italien, l’une des formations issues de la décomposition de la Démocratie chrétienne, il ne partage pas la culture de la médiation propre à cette famille politique.

Mais surtout, en profitant de son extraordinaire succès aux élections européennes où il a obtenu près de 41% des suffrages, Matteo Renzi s’efforce d’occuper un vaste espace allant de la gauche au centre : d’ailleurs, c’est aussi, voire surtout, à l’aune de cet objectif que s’explique la réforme du marché du travail et son affrontement avec certaines confédérations syndicales. Il marginalise l’aile gauche de son parti, laquelle, en dehors des critiques incessantes qu’elle lui porte, affiche ses divisions à la fois sur la stratégie à adopter (faut-il rester dans le PD ou scissionner ?) et son leadership. Il vampirise les petites formations centristes, celle des amis de Mario Monti et le Nouveau Centre droit, qui regroupe les ex-berlusconiens modérés. Il parie sur l’affaiblissement inexorable de Forza Italia, effectivement en perte spectaculaire de vitesse et que son fondateur, Silvio Berlusconi, ne contrôle plus complètement. Il cherche également à accentuer l’érosion du Mouvement 5 Étoiles de Beppe Grillo, secoué par des conflits internes. De ce fait, la seule et vraie opposition est incarnée par la Ligue du Nord, emmenée par Matteo Salvini, qui s’inspire maintenant en partie de la politique du Front National.

Mais que dire de l’homme d’État Renzi ? Il a pointé avec clarté les grands problèmes et enjeux pour le futur de l’Italie comme la croissance, le chômage,  notamment celui des jeunes et des femmes, le pouvoir d’achat, la faible compétitivité et productivité des entreprises, la situation désastreuse de l’école, de la justice et de l’administration publique, le poids de la fiscalité, le fléau de la corruption. Il a néanmoins peu parlé de la situation du Mezzogiorno, du désastre démographique et du retard abyssal accumulé par l’Université et la recherche au regard de la compétition internationale.

Sur le plan strictement politique, il est en passe de réussir à mettre fin au bicaméralisme intégral grâce à une réforme du Sénat qui sera réduit à cent membres, la plupart désignés par les conseils régionaux et les maires, et doté de pouvoirs réduits. Il est en passe également de faire adopter une nouvelle loi électorale proportionnelle à deux tours avec une prime majoritaire dont les modalités d’attribution sont en cours de discussion.

Toutes les réformes qu’il a engagées sont, à ses yeux, indispensables pour le futur et lui permettent de plaider en faveur d’un changement des orientations économiques au niveau européen. Des questions pourtant demeurent sur l’effectivité et la réalité de ses politiques publiques qui se heurtent, entre autre, à la formidable inertie d’une administration publique sclérosée et pléthorique.

Le bilan effectif de Matteo Renzi, moins d’un an après son arrivée au Palais Chigi, est donc mitigé. Beaucoup de chantiers ouverts, peu encore de réalisations qui ont effectivement bouleversé la vie des Italiens. Et c’est pourquoi, le jeune président du Conseil traverse une zone de turbulences à cause, notamment, de  la persistance, pour ne pas dire l’aggravation de la situation économique et sociale (203 000 chômeurs en plus en neuf mois portant le nombre total des sans-emploi à plus de 3 470 000). Son intégrité a été quelque peu écornée par une disposition introduite en catimini dans un texte de loi au moment de Noël manifestement à l’avantage des intérêts personnels de Berlusconi et par un déplacement pour des vacances familiales à la neige aux frais de l’État. Résultat : sa popularité enregistre une baisse significative.

L’élection du successeur de Giorgio Napolitano revêt à cet égard une importance cruciale. Pour l’Italie, pour l’Europe mais aussi pour Matteo Renzi. Une personnalité un peu faible lui permettrait d’accentuer la personnalisation du pouvoir exécutif, ce que dénoncent nombre de responsables de gauche et Beppe Grillo. Une personnalité forte, à l’instar du démissionnaire, l’obligerait à composer avec l’occupant du Quirinal (siège de la Présidence de la République). Dans les deux cas néanmoins, il lui faut continuer les réformes engagées et en promouvoir d’autres tant l’Italie en a dramatiquement besoin (le Président du Conseil a notamment annoncé des mesures de type sociétal et une réforme de l’accès à la citoyenneté).

Pour ce faire, Matteo  Renzi a une grande carte en mains : aucun rival sérieux ne le menace ni dans son camp, ni chez ses adversaires. De ce fait, une lourde responsabilité pèse sur ses épaules : pour reprendre une distinction classique, l’homme politique ingénieux qu’il est, qui, par définition, ne pense qu’à la prochaine élection, saura-t-il démontrer avoir les capacités de devenir vraiment un homme d’État, qui, lui travaille pour les générations futures ?