La cagnotte est de retour... edit

1 septembre 2006

En 1999, la croissance économique battait son plein. Les Français gagnaient et dépensaient plus et, bien sûr, les recettes fiscales augmentaient. Comme par enchantement, le déficit budgétaire se réduisait et la dette publique augmentait moins vite que le revenu national. Fin tacticien mais piètre économiste, toujours obsédé par son boulot de dans deux ans, Chirac piégeait Jospin. Dans son allocution du 14 juillet, il feignait de découvrir une cagnotte et exigeait de « rendre aux Français une part de ce que l'on leur a pris ». Mais entre réductions d'impôts et augmentation des dépenses publiques, la cagnotte a bien vite disparu. La suite de l'histoire est connue. La conjoncture s'est détériorée, les recettes fiscales ont baissé et la France s'est retrouvée en violation du Pacte de Croissance et de Stabilité. Alors qu'elle était de 55.9% du PIB en 2000, la dette publique est aujourd'hui à 67.7%, soit 18.695€ par habitant (on peut suivre son évolution en direct sur http://cluaran.free.fr/dette.html). Les campagnes électorales coûtent cher...

La situation aujourd'hui est fort semblable. La croissance est enfin revenue et les recettes fiscales aussi. L'élection s'approche et nos gouvernants ne manquent pas d'idées pour séduire les électeurs en dépensant notre argent. Gageons que, cette fois-ci, c'est la gauche qui va tenter de piéger la droite. Les suggestions de dépenses ne vont pas manquer, et paraîtront irrésistibles maintenant qu'on en a les moyens : l'emploi, les écoles, les hôpitaux, la recherche, les pauvres, le logement, etc. Qui peut avoir le cœur assez dur pour refuser de tels projets?

Ce serait une erreur politique, car les Français sont ingrats : Jospin n'a rien gagné en 2002 à avoir creusé le trou de la dette publique. A gauche, on lui a reproché d'avoir utilisé la cagnotte pour abaisser les impôts des classes moyennes et aisées. A droite, on lui a reproché d'avoir aggravé la dette. Décidemment, utiliser l'argent public pour être populaire ne paie pas électoralement.

Ce serait aussi une erreur économique. Nous sommes dans la deuxième année de la reprise économique. Le chômage, enfin, recule, même s'il ne redescendra pas très loin, hélas. Surtout pas de cocorico ! Cette reprise n'a rien d'hexagonale, on l'observe partout en Europe, plus ou moins puissante. Si tout va bien - les dangers ne manquent pas - elle va se poursuivre encore un an, deux peut-être, trois avec beaucoup de chance. Mais, un jour ou l'autre, elle s'essoufflera. Il en va de même de notre budget public. Le déficit diminue et, si l'on ne nous refait pas le coup de la cagnotte, il va continuer dans cette direction. Il n'est pas impossible même que nous revenions à l'équilibre, ce qui ne s'est pas vu depuis 1980 ; à l'époque, la dette représentait 30% du PIB ; 25 ans de laxisme ont fait doubler la dette. Mais une chose est sûre, le budget recommencera un jour à se détériorer.

Bien sûr, on peut toujours dire que les nouvelles dépenses sont utiles, qu'elles vont permettre plus de croissance et donc se rembourseront par elles même. C'est vrai qu'un déficit budgétaire n'est pas mauvais par définition, pas plus qu'un verre de vin de temps à autre. Mais en matière de dette, la France a l'équivalent d'une cyrrhose. Il lui faut un traitement de fond. Si de nouvelles dépenses publiques sont utiles, il faut en établir la preuve, il faut aussi examiner si des économies ne sont pas possibles pour financer les nouvelles dépenses, bref il faut avoir une vraie stratégie de croissance. Quelques cadeaux électoraux, même s'ils sont bien choisis, ne constituent pas une stratégie. Si gouverner c'est prévoir, nous avons devant nous un peu de temps pour assainir nos finances publiques. C'est dans les bonnes années que l'on rembourse ce que l'on a dû emprunter dans les années difficiles, chacun le sait bien.

Au cas où ces principes élémentaires seraient oubliés, nos partenaires européens nous le rappelleront. Lorsque fin 2003, la France et l'Allemagne auraient dû être sanctionnées pour violations répétées du Pacte de Stabilité, elles ont utilisé tout le pouvoir des grands pays pour « suspendre » le pacte. Un nouvelle version a été approuvée l'an dernier. Elle tire les leçons de la débâcle en renforçant son volet préventif. Auparavant, le pacte s'appuyait principalement sur le volet dissuasif, les sanctions en cas de dépassement du plafond de déficit, établi à 3% du PIB. Le volet dissuasif agit durant les mauvaises années, quand le déficit se creuse du fait de la conjoncture. Il est alors trop tard pour réagir. Ce n'est pas dans une mauvaise année que l'on adopte une politique budgétaire stricte. Le volet préventif, lui, s'applique dans les bonnes années, donc maintenant. La logique en est simple : la politique budgétaire n'a pas besoin d'être expansionniste en période d'expansion. On peut, en fait on doit, profiter de cette période pour apurer les erreurs passées. La France a signé cet accord. Ses partenaires, agacés depuis 2003, suivent la situation de très près.

On peut espérer que les leçons du passé et la vigilance de la Commission Européenne décourageront les tentations. Mais espérer n'est pas croire.