Élections grecques: un «dégagisme» libéral contre un Syriza populiste qui résiste edit

8 juillet 2019

Avec un agenda libéral et une identité réformatrice de centre-droit, mais aussi en ayant intégré dans son discours une dimension rhétorique d’identité nationale, la droite de la Nouvelle Démocratie est sortie vainqueur des élections législatives du 7 juillet 2019 avec 39,9% des voix, score qui lui assure la majorité absolue au Parlement (158 sièges sur 300). Syriza, battu comme prévu, a pu néanmoins résister en obtenant 31,5% (86 sièges) des suffrages, en réactivant un imaginaire anti-droite toujours présent dans la culture politique grecque.

La première conclusion qui ressort des résultats électoraux, qui nécessitent bien entendu une analyse plus approfondie, est la constatation qu’il s’est constitué deux pôles sociopolitiques opposés : un pôle «libéral» exprimé par la Nouvelle Démocratie et un pôle «populaire» essentiellement incarné par Syriza.

Notons également l’échec électoral qui a laminé les néonazis d’Aube dorée, qui ne seront plus représentés au Parlement, mais aussi l’entrée dans celui-ci du nouveau parti d’extrême droite dirigé par Kyriakos Velopoulos, la « Solution grecque », qui a obtenu 3,7 % des suffrages (10 sièges). Sur le terrain du centre-gauche, le Kinal (« Mouvement du changement », les socio-démocrates du Pasok), avec 8,1 % des voix (22 sièges), n’a pas réussi à entamer le Syriza, tandis que le parti de Yanis Varoufakis (MeRA 25, Front de désobéissance réaliste européenne), avec 3,4 % des suffrages (9 sièges), parvient à donner une représentation parlementaire à une opposition située à gauche de Syriza.  

Les principaux slogans de la Nouvelle Démocratie étaient le « Non à la discorde » –  une discorde cultivée au cours de toutes les années précédentes par la « démagogie » dz Syriza et qui avait divisé la société sur la base du clivage entre « nous » et « eux » – mais aussi la promesse essentielle d’une baisse drastique des impôts pour la classe moyenne, promesse assortie de la volonté d’attirer les investisseurs étrangers et de combattre la bureaucratie dans la fonction publique, et enfin la réforme de l’enseignement supérieur et un intérêt particulier pour les questions sécuritaires. La Nouvelle Démocratie a réussi à proposer une image de l’avenir à une large partie de la société grecque qui, à l’issue des mémorandums, a voulu croire que sa nombreuse classe moyenne pourrait regagner le temps perdu.

Dans un tel cadre, la Nouvelle Démocratie a incorporé une grande partie du centre, et même certaines personnalités du centre-gauche, ainsi qu’une partie des électeurs de l’extrême droite. Une grande partie de la dite « droite populaire » a été présente tant dans ses listes électorales que dans le vote de rejet de Syriza. Cet élargissement sur ses flancs lui a donné la possibilité de devenir une force électorale hégémonique, capable de fédérer autour d’elle une alliance centrale sur la base d’un « dégagisme » libéral-centriste face à Syriza.

De son côté, pendant toute la période de la campagne électorale, Syriza s’est retrouvé sur la sellette, à tenter de justifier une politique sociale fragmentaire, et même clientéliste, de prestations envers les couches les plus défavorisées de la population, ce que naguère il appelait lui-même, quand il revendiquait une physionomie de parti de la gauche radicale, une politique de « partialité de classe ». Bien que s’étant éloigné d’une fraction importante de la société, comme l’ont montré les résultats des élections européennes du 26 mai 2019 (marquées aussi par le refus de la majorité du corps électoral de l’accord sur la Macédoine du Nord)[1], il n’a pas cessé de manifester son social-populisme, malgré les politiques d’austérité mises en œuvre par son gouvernement depuis 2015. Cela s’est très éloquemment exprimé dans l’un de ses courts spots télévisés où Tsipras déclare : « Je ne suis pas né politicien. J’ai grandi dans un quartier d’Athènes. J’y ai appris que ce sont les gens qui comptent, pas les chiffres. Dans ce but, j’ai manifesté, lutté, je me suis impliqué dans la politique. En tant que premier ministre, les gens sont mon premier souci. Pour une Grèce faite d’humanité et de justice. Le 7 juillet, nous décidons de notre vie. »[2]

Cet appel aux « pauvres », les efforts déployés par Tsipras pour montrer qu’il appartient, lui aussi, aux classes populaires et qu’il ne s’est pas éloigné d’elles (formule oratoire basique des populistes : « Je suis des vôtres ») sont plutôt révélateurs de sa faiblesse, de son incapacité à nouer une alliance avec toute la masse des couches moyennes qui ont été particulièrement frappées pendant la crise économique. Les accusations qu’il a portées contre la Nouvelle Démocratie en disant que derrière ses politiques sociales se cache du « sang humain »[3], au-delà de leur expression diabolisante de l’adversaire politique, ont été plutôt un aveu de son isolement social, une sorte de mouvement défensif de panique face à une large défaite annoncée, due aux promesses non tenues de redressement social et national rapide.

Cependant, et contrairement à l’attitude adoptée pendant la campagne électorale des élections européennes, Syriza a tenté de présenter aussi un profil de force  « patriotique » et d’intégrer à son discours des références à la nation et à la patrie.  Quelle meilleure preuve de cela que le besoin qu’a eu Tsipras de ressortir, pendant la dernière semaine de sa campagne, le slogan nationaliste par excellence du fondateur du Pasok Andreas Papandreou, dans les années 1970 et 1980, affirmant que « la Grèce appartient aux Grecs »[4] ? Ou son effort de souligner que la Grèce, pour lui, « n’est pas une région sur la carte, mais c’est notre âme »[5], formule qu’on peut interpréter comme l’écho d’un célèbre slogan du début des années 1990, quand quelques intellectuels grecs (dont Melina Mercouri ou le poète Odysseas Elytis, prix Nobel 1979) ont manifesté vivement leur rejet du nom de Macédoine pour le pays voisin au nord de la Grèce, en déclarant : « notre âme est notre nom » ; mais aussi comme une affirmation de Tsipras que sous son gouvernement, le pays a reconquis sa « souveraineté nationale » face à ses créanciers. S’inscrit aussi dans ce cadre la reprise à son compte de l’autre slogan du leader socialiste toujours présent dans l’imaginaire « anti-droite » grec, que « le peuple n’oublie pas ce que signifie la droite ». Tsipras a tenté d’instrumentaliser un sentiment réel de crainte sociale, de maquiller le déficit « national-populaire » de sa politique, car si les mémorandums sont terminés, la crise, elle, n’est pas dépassée et ses effets restent actuels.

Il semble que la Grèce entame un nouveau cycle politique, dans lequel le retour à une nécessaire normalité politique et la modernisation de certaines de ses structures devenues archaïques, et avant tout celle de l’administration publique, devront être combinés avec une réponse crédible aux besoins réels des classes populaires. Et cette combinaison ne sera pas aisée.

 

[1] Andreas Pantazopoulos, «L’autre défaite du populisme de gauche», Telos. Eu (6/6/2019).

[2] https://www.iefimerida.gr/ekloges/o-tsipras-protagonistis-sto-neo-spot-toy-syriza (30/6/2019, en grec).

[3]  https://www.cnn.gr/ekloges/story/181680/al-tsipras-sto-cnn-greece-kryvetai-aima-piso-apo-tis-metarrythmiseis-mitsotaki (22/6/2019, en grec).

[4] https://www.iefimerida.gr/ekloges/neo-proeklogiko-spot-syriza-me-tsipra-kata-apohis (2/7/2019, en grec).

[5] https://left.gr/news/ta-nea-tileoptika-spot-toy-syriza-proodeytiki-symmahia (3/7/2019, en grec)