Pourquoi le papy-boom ne fera pas exploser les dépenses de santé edit

17 mars 2006

La menace d'une explosion des dépenses de santé liée au vieillissement de la population est très souvent invoquée. Sur un ton alarmiste, on dénonce la passivité générale, alors qu'une vague démographique serait sur le point de submerger nos systèmes de santé. Cette inquiétude est-elle fondée ?

On peut s'interroger sur la fonction d'une telle rhétorique. A tout le moins elle fait apparaître la croissance à venir des dépenses comme une évolution inéluctable. Les interprétations sont toutefois diverses et contradictoires. Pour les uns, il s'agirait de convaincre les seniors que des sacrifices sont nécessaires sur la couverture des dépenses par l'assurance maladie. Les associations d'actuaires et les assureurs s'engouffrent dans cette brèche pour promouvoir l'idée de " comptes d'épargne médicaux " qui permettraient d'échapper à la logique de transferts intergénérationnels en individualisant les contributions au financement. Pour les autres, cette rhétorique viserait à convaincre le public que tout effort de maîtrise des coûts de la santé est voué à l'échec, les dépenses étant essentiellement déterminées par les évolutions démographiques.

Toujours est-il que l'idée d'une menace démographique emporte l'adhésion du public. Cette idée trouve sa puissance de persuasion dans un raisonnement simple et intuitif, facile à comprendre par tous. Les dépenses de santé d'un individu augmentent fortement avec son âge. La population vieillit. Il y aura donc un choc à la hausse sur les dépenses de santé. Ce syllogisme est rigoureux et sa conclusion exacte. Mais ce raisonnement laisse de côté les autres facteurs d'augmentation des dépenses, notamment les innovations en matière de médicaments et de procédures. Il y a une question d'ordre de grandeur dans cette affaire : l'impact du progrès technologique dépasse très largement l'effet des changements démographiques.

Une analyse sur données microéconomiques permet de préciser les ordres de grandeur : on a étudié les dépenses de santé des assurés sociaux pour les années 1992 et 2000. Bien sûr, le profil de dépenses est croissant avec l'âge : on consomme plus à 70 ans qu'à 30 ans. Mais le plus intéressant réside dans la comparaison des profils: le profil obtenu pour l'année 2000 est toujours situé au-dessus de celui de 1992. Il y a une dérive vers le haut des dépenses de santé : à âge donné, on dépense plus en 2000 qu'en 1992. Cette dérive correspond sans conteste à une meilleure réponse aux besoins de la population.

Concernant l'utilité de la dépense, on peut prendre l'exemple convaincant de la cataracte : en quinze ans le taux de chirurgie de la cataracte a triplé ; Entre 1993 et 1998, le taux d'interventions est passé de 40 % à 55 % pour les personnes de 75 ans et plus. On pourrait considérer quantité d'autres exemples d'innovations technologiques ou de diffusion de procédés nouveaux qui améliorent les performances sanitaires tout en conduisant - aussi - à une augmentation de la dépense de soins par personne, à âge et pathologie donnés. D'ailleurs nul ne conteste que les progrès réalisés dans les pays développés en matière de longévité et d'état de santé des populations sont en rapport avec ces innovations technologiques.

C'est cette évolution qui explique la croissance des dépenses de santé, beaucoup plus que le vieillissement de la population : les impacts sont sans commune mesure. En analysant rétrospectivement la croissance des dépenses de santé en France entre 1992 et 2000, on trouve une augmentation de 65 %, dont la moitié est due au progrès technologique et un dixième seulement aux changements démographiques. Des analyses rétrospectives menées pour les Etats-Unis sur la période 1965-2002 aboutissent au même constat : les changements technologiques expliquent la moitié de la croissance et la démographie joue un rôle très marginal.

Ces analyses rétrospectives peuvent elles suffire à nous rassurer pour l'avenir ? Sans céder à une panique infondée, il importe quand même de mesurer l'effet potentiel de l'arrivée des générations du baby-boom aux âges de grande consommation médicale. En ce début d'année 2006, l'OCDE et l'Union Européenne viennent de livrer leurs prévisions à l'horizon 2050. L'impact prévu est non négligeable. Pour les pays de l'OCDE pris globalement, on prévoit que la part dans le Produit Intérieur Brut des dépenses consacrées à la santé et à la prise en charge de la dépendance devrait passer de 5,7 % en 2005 à 7,7 % en 2050. Si l'on intègre l'hypothèse réaliste que le progrès technique médical suivra un rythme équivalent à celui connu dans les dernières décennies, on trouve que cette part devrait passer de 5,7 % en 2005 à 9,6 % en 2050. Là encore, le progrès technique joue un rôle tout à fait crucial sur les prévisions.

Nous devrions donc consacrer une part plus importante de notre richesse à la santé. L'avenir est-il sombre pour autant ? Pas véritablement. Certes, une part plus importante du PIB sera dévolue à la santé. Mais la taille du " gâteau " augmente continuellement et rien de permet de penser qu'il faudra se restreindre pour financer les soins. David Cutler, professeur à Harvard, produit à cet égard le chiffre le plus convaincant : pour l'OCDE, à l'horizon 2050, la consommation des ménages en excluant les dépenses de santé devrait augmenter de 150 % entre 2000 et 2050, dans l'hypothèse où le progrès technique médical suivrait un rythme comparable à celui observé jusqu'à présent. S'il s'accélère et va deux fois plus vite que dans le passé, la consommation des ménages hors santé devrait encore augmenter de 100 % d'ici à 2050.

Le fait que nos économies développées puissent encaisser cette vague démographique sans grand dommage ne signifie pas qu'il faille rester passif devant les évolutions à venir. Nous avons vu que la rhétorique démographique peut être exploitée au service d'un rejet de toute démarche visant à maîtriser les coûts de la santé. Le rôle majeur joué par les innovations technologiques rend cette démarche plus cruciale que jamais. Concernant le progrès médical, en effet, l'avenir est à la fois radieux et orageux. De très nombreuses d'innovations sont anticipées pour les proches décennies, toutes aussi efficaces pour les soins qu'elles seront coûteuses pour la collectivité. Il est urgent que l'assurance maladie, les médecins, les partenaires sociaux et les associations de patients réfléchissent collectivement aux mécanismes à mettre en place pour favoriser ces innovations et effectuer les bons arbitrages.