Les chiffres du chômage sont-ils tronqués ? edit

12 décembre 2005

Si dans le langage de tous les jours, le terme de « chômage » ne prête guère à confusion, sa réalité économique est pourtant très difficile à mesurer, tant les frontières entre chômage et inactivité sont floues et poreuses. On compte pas moins de sept mesures de chômage, allant de la plus stricte à la plus généreuse, les dernières incluant des catégories de travailleurs découragés, ne cherchant que des emplois à temps partiel ou ayant travaillé un petit nombre d’heures dans le mois précédent la publication des chiffres.

Lorsque ces indicateurs évoluent de façon divergente, il est difficile de se faire une opinion sur l’amélioration ou la détérioration du marché du travail, et la publication des chiffres officiels donne lieu à de multiples controverses sur la comptabilité. Cette difficulté d’appréhender correctement la réalité est un obstacle au débat démocratique, car les gouvernements sont jugés à l’aune de ce seul chiffre, supposément révélateur de leur qualité à gérer l’économie.

Les commentaires que peuvent susciter une hausse ou baisse de 20 000 du nombre de demandeurs d’emplois (soit 0,06 pourcent de la population active, qui est de 27 millions), doivent cependant être fortement relativisés : l’arbitraire de certaines définitions présidant à la comptabilité du chômage permet diverses interprétations qui peuvent amener à des écarts considérables, de l’ordre de 250 à 300 000. En conséquence, et dès lors qu’existent à la fois diverses catégories de chômeurs qui relèvent de l’une ou l’autre définition, mais une seule mesure faisant l’objet de l’attention médiatique, les tentations sont grandes de faire basculer progressivement et au cours du temps les chômeurs d’une catégorie visible à une catégorie invisible

Les méthodes sont multiples et pas uniquement comptables. Toutes exploitent la définition officielle du chômage, au sens du Bureau international du travail. Est en effet considéré comme chômeur toute personne :

a) n’ayant pas travaillé au cours de la semaine de référence ;

b) disponible pour travailler dans un délai de deux semaines ;

c) qui a effectué une recherche « active » dans le mois précédant la période de référence.

On le voit, ne sont donc pas comptabilisées comme relevant du chômage, parmi de nombreux autres exemples : les personnes ayant travaillé un nombre réduit d’heures par exemple en free-lance ; les personnes qui pour des raisons d’organisation matérielle, souvent familiales, ne peuvent immédiatement démarrer un emploi ; les personnes découragées, qui souhaiteraient travailler et accepteraient un emploi si on le leur proposait mais qui pour des raisons diverses ne pensent pas que leur démarche de recherche sera couronnée de succès ; enfin, les personnes qui, selon l’administration ou l’enquêteur, ne réalisent pas un « effort de recherche » suffisant, ce caractère suffisant relevant jusque tout récemment, avant l’application du règlement européen (1897/2000), d’un certain arbitraire.

Toutes les personnes des exemples ci-dessus sont en fait considérées comme « inactives ». Or, pour se rendre compte de l’arbitraire de ce classement, on peut citer quelques chiffres marquants.

Premièrement, les enquêtes emploi de tous les pays indiquent de façon récurrente que le nombre de transitions entre l’inactivité et l’emploi est deux à trois fois supérieur à celui des transitions entre le chômage et l’emploi. L’interprétation la plus plausible, au delà des biais statistiques aisément corrigeables liés aux transitions inframensuelles, est que de « vrais » chercheurs d’emploi étaient considérés comme inactifs et sont de fait oubliés des statistiques officielles.

Deuxièmement, le stock de personnes relevant de la catégorie des découragés (ceux qui souhaitent travailler mais ne pensent pas qu’il existe d’emploi pour eux) représentent, dans un pays comme le Canada, un nombre équivalent à 25% des chômeurs officiels. Une étude internationale du Bureau of Labor Statistics américain datant de 1995 indiquait qu’en France en 1993, la prise en compte des temps partiels pour raisons économiques et des chômeurs découragés faisait passer le taux de chômage de 11,5 à 14,7% de la population active. En novembre 2005, le chômage US passerait de 5,3% à 8,7% en incluant les mêmes catégories.