CPE : post mortem edit

11 avril 2006

Ainsi la courte vie du CPE a pris fin. Les lycéens et étudiants vont, difficilement, rentrer au bercail. Les organisations syndicales vont savourer leur victoire. Les parlementaires vont voter le texte qui leur a été concocté pour remplacer l'article 8 de la loi sur l'égalité des chances. Et maintenant ?

Il reste évidemment des inconnues. Le calme ne reviendra pas aussi vite que l'on pourrait le souhaiter. Des incidents sont possibles. La grande unité syndicale ne durera probablement pas longtemps : les congrès de la CGT et de la CFDT, à venir dans les semaines qui viennent, vont permettre à chacun de retrouver ses marques. Le gouvernement aura peut-être du mal à recoller les morceaux, car la défaite des uns est la victoire des autres.

Certains leaders de mouvements étudiants demandent la remise en cause de la loi sur l'égalité des chances. Ils ont peu de chance d'être suivis, mais cette intervention met en lumière l'existence des autres composantes de cette loi. Adoptée par le biais du 49.3, ce texte fourre-tout, annoncé par le chef de l'Etat à la fin des émeutes de l'automne dans les cités, comprend des mesures très diverses, dont on s'est malheureusement dispensé de faire l'analyse. Comme d'habitude (ce fut le cas de la loi de modernisation sociale de Jospin dont les nombreux éléments positifs ont été occultés par quelques articles sur les conditions de licenciement), on ne retiendra de ce texte que l'article 8 abandonné dans la crise. C'est le lot de ces trop fréquents projets de loi malles-postes, où l'on enfourne sous un nom élégant (quoi de mieux que l'égalité des chances ou la modernisation sociale ?) des objets hétéroclites quand ce ne sont pas des restes. Cette loi mériterait un examen plus approfondi, celui que le gouvernement a refusé à l'Assemblée nationale par le jeu du 49.3.

Certains syndicalistes demandent la remise en cause du Contrat nouvelles embauches. Ce serait pour le moins prématuré, alors que l'on ne dispose guère d'évaluation. Le Président de la République a lui-même fait état d'une prétendue évaluation, que tout le monde a repris, mais dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle est sujette à caution. Le Contrat nouvelles embauches a certes un grave défaut commun avec le CPE : il a introduit dans le code du travail l'idée " neuve ", venue des siècles passés, suivant laquelle on peut licencier sans motivation. Mais il existe ; il ne fait pas de différence entre les vieux et les jeunes ; il ne s'applique qu'aux entreprises de moins de 20 salariés, qui sont effectivement, contrairement aux grandes, très sensibles aux avantages que crée cette souplesse. Des milliers de contrats ont été déjà signés. Quoi que l'on pense de cette innovation, il ne serait pas raisonnable de revenir en arrière avant qu'une réforme de plus grande ampleur n'intervienne.

Les dispositions qui se substituent au CPE n'ont rigoureusement rien à voir avec lui. Il ne s'agit pas d'une modification des relations entre employeur et employé, mais d'un peu plus de moyens mis à la disposition du ministère de la Cohésion sociale pour la mise en place de contrats aidés : on est dans le " traitement social du chômage " par la multiplication des aides directes aux employeurs qui embauchent - des jeunes non qualifiés en l'occurrence. C'est ce que souhaitait M. Borloo, soucieux de développer le plan de cohésion sociale qu'il a lancé et qui rencontre bien des résistances. On ne se plaindra pas que pour une fois on renforce les dispositifs existants plutôt que de rajouter des tuyaux à l'usine à gaz actuelle.

Au-delà des péripéties tumultueuses que la France vient de vivre, la vraie question est celle de la réforme en profondeur qui se fait attendre : sur le fond, on devrait pouvoir, dans une société pacifiée, mettre tout le monde d'accord sur une réforme qui comporterait deux volets aussi inséparables que les deux faces d'une médaille :d'un côté un contrat de travail unique, souple mais conçu de façon à rendre les ruptures coûteuses, remplaçant les flexibilités sauvages actuelles par une flexibilité assumée et organisée, de l'autre une gestion du marché du travail, des services de l'emploi et de l'éducation, du chômage et de la recherche d'emploi qui assure, à l'instar de ce qu'ont réussi certains pays scandinaves, des " parcours professionnels sécurisés ", comme dit Jacques Chirac, ou une " sécurité sociale professionnelle ", comme dit la CGT.

Les uns se battent sur la flexibilité, les autres sur la sécurité et tout le monde sait bien que c'est leur combinaison qui nous sortira d'affaire. A quand le débat, la discussion, la négociation sur ces sujets ? On peut craindre que la crise du CPE repousse à plus tard la grande mise à plat. On peut aussi faire preuve d'optimisme et penser que tout ce qui s'est dit, derrière les slogans, au cours de la crise, aura fait émerger les bases de ce débat et donc d'un futur consensus. La difficulté vient du calendrier. Lorsque les cendres de l'éruption seront retombées, que l'année universitaire sera terminée et que les congrès syndicaux seront passés, on sera à l'automne, au démarrage de la campagne électorale.

Les candidats seront-ils assez sages pour nous parler de ce sujet et pour engager de vraies dialogues sur la base d'une approche " flexsécuritaire " équilibrée. Ou feront-ils, toue honte bue, assauts de démagogie ? C'est la démocratie qui est en cause.