Et si la Grèce s’en sortait?…. edit

4 octobre 2017

Reprise de la croissance, excédent primaire significatif, retour sur les marchés… Et si le redressement grec était en train de réussir ? La question est à présent de débloquer la question de la dette. Les conditions sont-elles réunies?Reprise de la croissance, excédent primaire significatif, exécution du plan d’économies avec une nouvelle baisse des pensions, retour sur les marchés, un FMI prêt à rejoindre le train du plan d’aide en oubliant ses objections sur la solvabilité grecque… Et si le redressement grec était en train de réussir, et si l’intransigeance allemande et l’obéissance du Premier ministre Alexis Tsipras aux desiderata des créanciers étaient la solution pour débloquer la question de la dette ? Les élections allemandes passées et la Chancelière probablement reconduite, Tsipras n’a pas attendu pour revendiquer à nouveau la restructuration de la dette pour prix du sérieux grec, soutenu par Emmanuel Macron dans son discours du Pnyx.

Un alignement de planètes favorable

La reprise de la croissance semble avérée, on l’attend à 1,8% en 2017 après sept ans de récession et une perte de PIB de 25%. On décèle même une amorce de décrue du chômage même si le taux reste à 21,7%. Les résultats budgétaires sont meilleurs que prévu gâce à une meilleure collecte des impôts et à une certaine modération dans les dépenses ; l’excédent primaire a même été de 3,9% en 2016. Même si les privatisations restent en-deçà des objectifs, la meilleure tenue des budgets permet d’entrevoir une inversion de la courbe de la dette qui devrait passer de 179% du PIB en 2016 à 174,6% en 2017. Pour couronner le tout, le retour sur les marchés de la Grèce le 28 juillet a été un succès, près de 3 milliards d’euros ont pu être levés.

Même si les incidents de parcours se sont multipliés entre la Grèce et l’Eurogroupe, le gouvernement Tsipras voulant reprendre l’initiative en matière budgétaire et sociale et l’Eurogroupe réaffirmant avec intransigeance ses demandes de réforme et de modération, le résultat d’ensemble confirme l’obéissance de la Grèce à ses créanciers avec notamment une nouvelle réforme des retraites à la baisse, de meilleures collectes fiscales et une expulsion des ménages insolvables de leurs résidences principales.

À ces facteurs économiques devenus plus favorables viennent s’ajouter des facteurs plus politiques. L’élection d’Emmanuel Macron, après la défaite des populistes en Autriche et aux Pays-Bas, est le signe qu’il est à nouveau possible de tracer des perspectives pour l’Europe. Avec les élections en Allemagne s’achève le cycle électoral européen et, on peut l’espérer, la question de la restructuration de la dette grecque cessera d’être tabou.

Dans son discours du Pnyx, Emmanuel Macron ne se contente pas de réaffirmer le traditionnel soutien de la France à la Grèce au nom de l’histoire, de la démocratie et de la solidarité, il souligne la spécificité de la double crise grecque et européenne : celle-ci n’est pas le seul fait d’errements des gouvernements grecs, mais aussi de défauts constitutifs de la zone euro et d’erreurs dans la gestion de crise. Les citoyens grecs ont subi, seuls, les effets de cette double crise. Il critique également le rôle du FMI, leader de la Troika qui n’aurait jamais dû être sollicité, donneur de leçons à l’Europe en matière de dette, et comptable intransigeant des sacrifices infligés au peuple grec. Emmanuel Macron, entouré d’industriels et d’investisseurs français, comme pour mieux souligner  les exigences de l’heure, plaide tout à la fois pour la restructuration de la dette grecque, pour la souveraineté européenne, le retour de la confiance et l’exigence démocratique trop souvent bafouée par les instances européennes.

C’est dans ce contexte que les « institutions » vont devoir reconsidérer la question de la dette grecque, s’interroger à nouveau sur la sortie du troisième plan d’aide et trancher la question de la solvabilité, faute de quoi la BCE ne pourra pas acheter de la dette dans le cadre des opérations d’assouplissement quantitatif (QE) et la Commission européenne devra probablement envisager une suite au troisième plan d’aide. Le problème n’est pas tant l’exigibilité de la dette à court et moyen terme que le signal envoyé aux investisseurs : le Grexit est-il vraiment exclu, peut-on à nouveau investir ?

Gestion de crise et sortie du plan d’aide

Or la manière dont on a géré le dernier incident Institutions-Grèce ne manque pas d’inquiéter. En juin 2017, à l’occasion de la libération d’une tranche du plan d’aide, on a assisté au ballet traditionnel des créanciers. Le FMI a refusé de monter dans le train du troisième plan d’aide arguant que la Grèce n’était pas solvable et qu’il devenait indispensable de restructurer la dette, ce qui passait nécessairement par des abandons de créances détenues par les États ou les institutions européennes. Wolfgang Schäuble répondait dans la foulée qu’il n’était pas question d’abandon de créances, que le FMI devait réaffirmer sa participation au plan d’aide et que la Grèce devait se préparer à sortir du plan mi-2018. Timide signe d’ouverture, côté allemand, le même Schaüble traçant des perspectives pour l’avenir esquissait un nouveau mécanisme de solidarité avec la transformation de l’ESM en FME. Comme d’habitude, la Grèce après avoir dénoncé l’inhumanité des exigences du FMI et tenté de faire remonter la question au niveau politique, a fini par céder, entérinant les mesures réclamées et acceptant le maintien du FMI parmi les tuteurs. Ainsi, même si le FMI refusait de débourser le moindre centime tant que la question de la restructuration de la dette grecque n’était pas concrètement engagée par les autorités européennes, il gardait ses prérogatives éminentes de membre de l’ancienne Troika. La crise de juin évitée, l’ensemble des acteurs, créanciers et débiteurs, sont renvoyés à la fin de l’année quand il faudra envisager les modalités de sortie du troisième plan d’aide en juillet 2018.

La prochaine revue du programme pourrait elle mieux se passer ? Le contexte politique et économique paraît plus favorable mais cela suffira-t-il ? Parmi les points positifs nouveaux il faut citer le ralliement de l’Eurogroupe à la restructuration de la dette sous forme de différés de remboursement et de baisse de taux…. Le seul problème subsistant est celui de la calibration des mesures (durée, taux, différé de remboursement…). Après le ralliement de l’Eurogroupe, du FMI, et de l’UE, seule l’Allemagne résiste encore. Dans la course au retour à la solvabilité, un point contentieux majeur subsiste, celui du réalisme de l’objectif d’excédent primaire fixé à la Grèce. Pour les quatre prochaines années un excédent de 3,5% est requis (2018 à 2022) après quoi et jusqu’en 2060 un excédent primaire de 2% est imposé.

Sur de telles bases il est raisonnable de penser que la stratégie de retour à la solvabilité ne se réalisera pas. Il n’existe pas en effet de précédent d’un plan de consolidation financière nécessitant un tel effort sur une période aussi longue pour un pays sortant d’une décennie de crise. L’hypothèse d’un quatrième plan d’aide, sans l’aide du FMI, est donc à considérer. Wolfgang Schäuble a déjà esquissé les contours d’un plan nouveau où le MES transformé en FME prends le relais, veille au respect de la conditionnalité et transforme de facto la Grèce en colonie européenne pour le demi-siècle qui vient.

L’analyseur grec

En fait il est frappant de constater que plus les choses changent moins les fondamentaux évoluent. Ils sont au nombre de cinq :

1. L’Allemagne ne veut pas d’une restructuration de la dette grecque, un accord politique domestique assez large sur cette question s’observe.

2. Le FMI ne croit pas à la soutenabilité de la dette grecque, il n’y a jamais cru et a moins de raisons que par le passé de taire ses convictions.

3. La faiblesse de l’État grec, les pressions européennes et les contraintes de l’agenda électoral conduisent les gouvernements successifs à privilégier les coupes dans les dépenses sociales plutôt que les réformes structurelles de longue haleine.

4. La menace du Grexit, étant assumée de part et d’autre, la seule perspective est celle d’un plan d’aide maintenu reproduisant à l’infini l’impasse grecque.

5. Un pays sous plan d’aide doit abdiquer toute autonomie politique même en cas d’alternance ce qui revient à mettre entre parenthèses la démocratie.

Il est aisé d’illustrer chacun de ses points.

Sur la gestion de la dette, il suffit d’évoquer l’accord donné du bout des lèvres par les Allemands sur les accommodements techniques, les maturités, les différés de remboursement… immédiatement suivis par la réaffirmation de l’impossible défaut d’un État membre sur sa dette souveraine voire même sur un abandon partiel de créances.

Sur la stratégie du FMI, les palinodies récentes illustrent notre point : le FMI n’a cessé de répéter solennellement qu’il ne pouvait apporter son aide à un État insolvable sans restructuration préalable de sa dette et sans plan d’ajustement conséquent ce qui aurait dû le conduire à se retirer de la Grèce… Et pourtant il vient d’inventer l’intervention sans participation !

Les palinodies récentes de Tsipras, pourtant élève modèle du programme austéritaire communautaire, s’accompagnent de la démonisation du FMI et de la mise en cause permanente de Bruxelles source de tous les malheurs de la Grèce et d’un agenda politique complaisant en faveur de son électorat. Ce faisant il reproduit les pratiques du gouvernement Samaras et nourrit le procès en irresponsabilité instruit par Schäuble.

Ce ballet gréco-allemand nourrit la défiance à l’égard de la pérennité de l’euro en Grèce et gonfle les voiles du Grexit en Allemagne et ailleurs.

Sur l’empire de la règle et le biais conservateur des institutions européennes, il suffit d’évoquer la multiplicité des parties prenantes, la diversité des agenda politiques, les conflits internes, le rôle des institutions supranationales, pour comprendre la difficulté de déplacer les lignes une fois qu’un accord fondateur comme le premier plan d’aide a pu être obtenu (le fameux MOU).

La crise grecque a ceci de saisissant qu’on y lit comme dans un livre ouvert les défauts de conception de l’eurozone, la piètre gestion de la longue crise, les pistes de refondation mais aussi les fragilités d’un État défaillant, la tyrannie des échéances politiques de court terme et les petits calculs des banques en difficulté.

Dans une série d’ouvrages publiés récemment on redécouvre les dynamiques à l’œuvre depuis le début de la crise malgré les habillages opportunistes, la constance des stratégies déployées au delà des proclamations sonores, l’étonnante convergence d’analyses basées sur des prémisses différentes. On y apprend en particulier que la gestion de crise aggrave les défauts initiaux de construction de la zone euro.

Dans The Euro Trap, Hans Werner Sinn explique comment l’intégration dans la zone euro de pays comme la Grèce qui n’y étaient pas prêts ne pouvait qu’induire des bulles de crédit provoquées par les afflux de capitaux du Nord, susciter une croissance artificielle nourrie par la consommation la spéculation immobilière et les politiques clientélistes de l’État avec comme résultat prévisible la perte de compétitivité et l’envolée de la dette.

Dans son ouvrage Adults in the Room, Yanis Varoufakis revient sur les conditions de la mise en place du premier plan d’aide. Il montre de manière convaincante que la question de la solvabilité grecque a d’emblée été évoquée et écartée par les autorités européennes pour des raisons qui tiennent à l’idéologie – un État membre de la zone euro ne saurait faire défaut sur sa dette – mais plus encore à la volonté de protéger les banques allemandes et françaises fortement chargées en dettes grecques. Il rejoint ainsi les thèses défendues par Hans Werner Sinn dès les débuts de la crise dite des dettes souveraines.

De même dans son ouvrage consacré au rôle du FMI dans les crises européennes, Laid Low, Paul Blustein décrit avec minutie les mille et un débats consacrés à la question de la solvabilité grecque, tous débouchant sur la nécessité d’une restructuration de la dette et tous conclus par la participation du FMI à des plans d’aide fondées sur l’illusion du retour à la croissance, sur la crise de liquidité et sur la soutenabilité de la dette grecque. « Extend and Pretend » est devenu le logo de cette politique.

Enfin Georges Papaconstantinou dévoile dans Game Over le rapport de forces brutal établi entre la Grèce et l’Allemagne aux moments cruciaux de la crise lorsque les jeux politiques domestiques prennent le pas sur les nécessités de résolution des difficultés, lorsque des élections locales ou des conflits intra-partis allongent les délais de traitement des crises au prix de plus de chômage, de misère et de dissolution de l’idéal européen.

Si bien que s’il devient facile de faire la liste des dysfonctionnements d’un système mal conçu, des erreurs des politiques menées, il est plus difficile de faire la part dans l’échec final de ce qui relève des défauts de conception du système, des erreurs de politique économique des gouvernements grecs avant la crise ou des mesures d’austérité imposées à la Grèce par ses créanciers.

Pierre-Olivier Gourinchas, Thomas Philippon et Dimitri Vayanos se sont essayé à cet exercice dans un article de Vox, « The Greek Crisis : an autopsy ».

Pour eux la moitié de la chute du PIB entre 2009 et 2015 s’explique par la consolidation budgétaire, inévitable compte tenu de la situation des finances publiques grecques et de la dérive insoutenable des déficits et de la dette.

Mais le reste s’explique par la hausse du coût de financement dû à l’arrêt brutal des mouvements de capitaux du Nord au Sud et à ses effets sur le financement de l’État et du secteur privé.

Si l’économie avait été moins endettée, en particulier si le levier d’endettement n’avait pas autant crû, alors l’adaptation aurait été moins brutale. La chute du PIB aurait été de un tiers inférieur.

Enfin une plus grande flexibilité des salaires et des prix aurait réduit la chute de croissance de 40 % (entre les points haut et bas).

L’analyse de Pierre-Olivier Gourinchas, Thomas Philippon et Dimitri Vayanos a le mérite de montrer comment les défauts initiaux de conception de l’euro et les conditions d’entrée de la Grèce ont produit leurs effets pendant la crise mais les trois auteurs suggèrent aussi que les autorités grecques n’ont rien fait pour s’attaquer aux déséquilibres induits par l’afflux de capitaux et pire encore comment elles en ont profité en développant la dépense publique au service d’une politique clientéliste. Dans un pays qui émergeait, les investisseurs ont certes afflué, mais l’État grec a distribué de faux droits sans s’attaquer aux rigidités d’un système exposé à l’ouverture économique.

L’analyseur grec se révèle donc au total particulièrement éclairant sur les effets de l’euro. Il livre les pistes d’une réforme qui en corrigerait les dysfonctionnements majeurs, il révèle aussi la profondeur des antagonismes. La relance européenne que préparent les Allemands et les Français peut lever certains obstacles… Faute de quoi un quatrième plan d’aide à la Grèce constitue l’horizon probable avec son cortège de débats sur les risques et vertus du Grexit.