Salaires: encourager la négociation collective edit

20 octobre 2021

Les termes du débat actuel sur les salaires peuvent surprendre. Nous sortons tout juste d’une crise sanitaire exceptionnelle, qui a abouti à une baisse du PIB en France de près 8% en 2020, baisse sans précédent en période de paix depuis 1848. Et si la France alors ne combattait pas des puissances étrangères, cette année était heurtée par une révolution interne et une grave crise agricole… Grâce aux mesures de soutien à l’économie déployées par l’Etat, le pouvoir d’achat du revenu disponible des ménages n’a pas baissé en 2020, et il pourrait progresser de plus de 1,5% en moyenne en 2021. L’emploi a déjà retrouvé un niveau supérieur à celui d’avant crise et l’activité devrait faire de même en fin d’année. Les dispositifs déployés dans la crise, et par exemple celui de l’activité partielle, ont protégé l’emploi et le revenu des salariés et tout particulièrement des personnes au SMIC. Le soutien aux entreprises a contribué à éviter des vagues de défaillances et de licenciements. Tous ces soutiens ont été réalisés au prix d’une hausse de l’endettement public de près de 20% du PIB, ce qui représente un lourd héritage pour les générations futures.

Des revendications salariales en hausse…

Dans le contexte de la reprise en cours, la soudaine hausse de l’inflation des derniers mois, poussée par celle, brutale, des prix de l’énergie, a remis fortement dans l’actualité les revendications salariales. Certes, l’inflation globale reste contenue : selon l’INSEE, l’évolution sur un an de l’indice des prix à la consommation (l’IPC) serait en septembre (dernier indice connu) pour le ménage moyen de 2,1% (2,7% pour l’indice harmonisé IPCH suivi par la BCE). Mais certains ménages dont la part des dépenses en énergie dans les dépenses totales est plus forte que la moyenne, et qui font souvent partie des ménages à revenu moyens ou faibles, ont pu subir une inflation plus élevée, les prix de l’énergie augmentant en moyenne de 14,4% sur la même période. Et cette hausse des prix de l’énergie, certes transitoire mais rapide, s’est poursuivie en octobre. Des mesures fortes et ciblées, comme par exemple la revalorisation significative du chèque énergie dont bénéficient, sous conditions de ressources, environ six millions de ménages, n’ont pas suffi à éteindre les feux de la contestation. Et les propositions opportunistes de relèvement du pouvoir d’achat, souvent via des mesures fiscales non financées, se multiplient désormais à quelques mois des échéances électorales majeures que sont les présidentielles.

La revalorisation automatique du SMIC au 1er octobre dernier protège le pouvoir d’achat des salariés les moins payés. Sur les douze derniers mois, le salaire minimum aura ainsi été revalorisé de 3,2%. Rappelons ici que les rapports du Groupe d’experts sur le SMIC ont par ailleurs montré qu’une hausse du SMIC n’est pas un levier efficace pour réduire la pauvreté, y compris laborieuse, dont les deux premiers facteurs explicatifs, bien devant le salaire horaire (le SMIC est le salaire horaire minimum), sont le nombre d’heures travaillées dans l’année et la configuration familiale (les familles monoparentales sont ainsi sur-représentées parmi les ménages pauvres). Ces rapports ont également montré que des dispositifs comme la prime d’activité (PA) sont des outils mieux adaptés pour lutter contre la pauvreté laborieuse, sans effets préjudiciable sur l’emploi, et la PA a d’ailleurs été fortement revalorisée en 2019.

… et de nombreux minimas de branche inférieurs au SMIC

Mais cette hausse du SMIC a eu pour effet d’augmenter considérablement le nombre des branches d’activité dans lesquelles des minimas salariaux, définis par les conventions collectives de branche, sont inférieurs au SMIC. Le nombre de ces branches atteindrait maintenant un maximum. La hausse du SMIC a relevé le salaire des salariés payés à ce niveau, et si les minimas de branches sont inférieurs au SMIC, les salariés concernés sont bien sûr payés au SMIC et bénéficient d’une hausse de salaire. Mais la hausse du SMIC a aussi mécaniquement relevé les barèmes des exonérations de contributions sociales employeurs qui sont calées sur lui et, dans ces branches qui n’ont pas ajusté leurs grilles salariales, ont donc tout aussi mécaniquement augmenté le nombre des salariés et la masse salariale bénéficiant de ces exonérations.

On peut légitimement trouver déplaisant qu’un comportement non vertueux (laisser des minimas de branche devenir et demeurer inférieurs au SMIC quand celui-ci augmente) aboutisse à un gain financier pour les entreprises, au frais de la collectivité.

Dans des circonstances comparables d’inflation à la hausse et d’une augmentation du nombre de branches non conformes (où des minimas sont inférieurs au SMIC), en décembre 2008 le législateur avait décidé que le barème des exonérations de contributions sociales employeurs pourrait être calé sur les minimas de branche et non plus sur le SMIC, lorsque ces minimas étaient inférieurs au SMIC (article 27 de la loi du 3 décembre 2008). La loi avait cependant prévu un mécanisme permettant de différer la mise en œuvre de cette disposition, en fonction du nombre de branches non conformes et de la baisse de ce nombre. Le nombre de branches non conformes avait alors fortement baissé, cette baisse s’expliquant par un relèvement des minimas aidé par une forte diminution de l’inflation dès 2009. Le dispositif n’est donc jamais entré en vigueur et il a été abrogé depuis.

Ce dispositif pourrait être restauré, ce qui demanderait une nouvelle décision du législateur. Un tel dispositif gagnerait d’ailleurs à être pérennisé. Cela constituerait une forte incitation financière adressée à la partie patronale des négociations de branches pour éviter la non-conformité des minimas de branche, et donc pour négocier le relèvement de ces minimas lorsqu’ils deviennent inférieurs au SMIC comme c’est actuellement le cas dans de nombreuses branches.

Ne pas désinciter la négociation collective de branche

C’est à la négociation collective et donc aux partenaires sociaux qu’il revient de dynamiser les salaires. Laisser ce rôle au SMIC, outre les inconvénients précédemment évoqués, aboutit à un écrasement des hiérarchies salariales sur ce dernier. Les ordonnances Travail de septembre 2017 et la loi Pénicaud de mars 2018 ont considérablement élargi le rôle décisionnel de la négociation collective dans les branches et les entreprises. Dans cette logique, il serait utile d’aller plus loin et de rétablir la bonne incitation financière envisagée en 2008. On ne peut se satisfaire de constater que des branches bénéficient, via un comportement non vertueux consistant à laisser les minimas de branche devenir et demeurer inférieurs au SMIC lorsque celui-ci augmente, d’une augmentation des exonérations de contributions sociales employeurs. Le rétablissement de l’incitation financière conçue en 2008 ne peut à cet égard être vue comme punitive, mais comme responsabilisante.

Compte tenu des difficultés de recrutement devenues très fortes dans certaines activités, les syndicats de travailleurs sont dans une position favorable pour y négocier une amélioration de l’attractivité des emplois. Cette amélioration concerne les conditions de travail, les perspectives professionnelles mais aussi les minimas salariaux. Mais il est important que la partie patronale ne soit pas financièrement incitée, par les barèmes actuels d’exonérations patronales de contribution sociales, à la non-conformité, et à conserver des minimas de branches inférieurs au SMIC. L’Etat et donc la collectivité ne doivent pas inciter financièrement des comportements non vertueux ! La neutralité de l’action publique serait ici de transférer pleinement la responsabilité de la négociation collective à ses acteurs, sans inciter financièrement les comportements non vertueux de non-conformité et donc de refus de la négociation.

Il est temps de rétablir rapidement le dispositif conçu en 2008 et de le rendre pérenne, afin de responsabiliser pleinement les partenaires sociaux et de renforcer le rôle de la négociation collective en matière salariale.

Gilbert Cette, prochainement professeur à NEOMA Business School, est par ailleurs président du Groupe d’experts sur le SMIC. Ce billet n’engage que son auteur.