Rêve américain : plus dur est le réveil edit

16 septembre 2008

La chute du marché immobilier outre-Atlantique n'est pas encore arrivée à son terme. Cela a poussé deux institutions financières centrales du secteur au bord de la faillite, nécessitant une intervention substantielle du gouvernement. Ces institutions, Freddie Mac et Fannie Mae, sont des piliers du marché immobilier des Etats-Unis, avec un mandat explicite de faciliter l'accès au rêve américain d'être propriétaire de son logement.

Afin d'y voir plus clair dans le débat autour du sauvetage de ces deux institutions par le contribuable, la situation peut être articulée autour de trois questions. Les deniers publics doivent-ils être utilisés pour la promotion de la propriété immobilière ? Si oui, comment convient-il de procéder ? Finalement, quels sont les choix se présentant dans la situation particulière des Etats Unis, et quels sont les erreurs à éviter ?

La première question renvoie à ce que les économistes appellent une externalité. Une intervention de l'État n'est justifiée que lorsque les mécanismes de marché ne reflètent pas la totalité des conséquences des comportements. L'exemple le plus connu est celui des taxes sur les carburants : en conduisant ma voiture je génère une pollution qui nuit à tout le monde. Bien que je prenne en compte ma propre nuisance lorsque je décide de faire un long voyage, je ne prends pas en compte celle que j'inflige aux autres. En imposant une taxe sur l'essence, les autorités me forcent à penser au-delà de mon propre intérêt.

Comment ce concept s'applique-t-il au cas de la propriété immobilière ? Un premier argument est que lorsque les gens sont propriétaires de leur logement, ils en prennent mieux soin, générant alors un cadre de vie plus agréable pour eux, mais aussi pour leurs voisins. Si ce point semble valide, son ampleur demeure discutable. Il suffit de penser à la Suisse qui ne donne pas vraiment l'impression d'un pays à l'abandon, bien que la proportion de propriétaires y soit très basse. Un second argument est que la propriété est une forme d'épargne à encourager. Plusieurs études ont en effet montré que les gens ont tendance à sous-estimer leurs besoins d'épargne : si le bénéfice est dans un futur lointain, le coût est immédiat, et par conséquent il est facile de se dire que certes l'on épargnera, mais demain. Mais favoriser l'épargne ne se limite pas à l'immobilier. En fait, les biens immobiliers représentent des inconvénients non négligeables, tels que des frais substantiels lors de ventes et achats. Il vaudrait dès lors mieux promouvoir l'épargne en tant que telle, plutôt que certains investissements en particulier.

Un troisième argument est que les marchés financiers ne sont pas suffisamment développés pour financer la propriété à grande échelle. Il s'agit là de la raison d'être de Freddie et Fannie. Lorsque les banques accordent des prêts hypothécaires, elles les revendent à ces deux institutions ce qui leur permet de libérer des fonds et d'accorder des prêts supplémentaires. De leur côté, Freddie et Fannie transforment ces hypothèques en obligations qu'elles revendent aux investisseurs. Cet argument est-il valide ? Il l'était certainement lorsque ces institutions furent établies après la Grande Dépression. Toutefois, les marchés financiers ont bien changé depuis, et il est difficile de croire qu'ils ne pourraient pas remplir leurs fonctions tous seuls. Certes le fait que Freddie et Fannie transforment la moitié des hypothèques américaines semble indiquer que leur rôle est cruciale. Cela dit, en leur absence, les institutions financières privées auraient très bien pu se développer et remplir ces fonctions.

Admettons que l'État a un rôle à jouer dans la promotion de la propriété immobilière. Cela nous amène à la seconde question : comment procéder ? Des incitations fiscales sont possibles, telles que la possibilité de déduire les intérêts hypothécaires de sa facture d'impôts. Concentrons-nous toutefois sur le dernier argument, à savoir l'appui aux marchés financiers, qui est au cœur du débat actuel. Il faut avant tout éviter de faire les choses à moitié. Lorsque les deniers publics sont engagés, il est de la responsabilité des autorités de veiller à ce qu'ils soient utilisés de manière prudente est responsable. Freddie et Fannie devraient dès lors être soumise à une supervision étroite, voire faire partie intégrante du gouvernement. La situation à éviter est que ces institution puissent opérer à leur guise tout en bénéficiant d'une garantie du contribuable. Dans un tel cas la tentation est grande de prendre des risques inconsidérés. Les institutions gardent les gains lorsque tout va bien, et le contribuable essuie les pertes lorsque tout va mal.

Dans les faits il en fut tout autrement. Même si les comptes de Freddie et Fannie étaient contrôlés par une agence du gouvernement, les deux institutions étaient passées maîtresses dans l'art du lobbying au Congrès. Mettant l'accent sur leur rôle de soutiens du rêve américain, elles ont acquis une liberté d'action substantielle, tout en bénéficiant d'une garantie implicite du contribuable. Cela était tout bénéfice pour ces institutions, mais aussi, à court terme, pour le Congrès dont les membres pouvaient leur demander de promouvoir l'accès à la propriété pour des groupes cibles, telles que les gens de revenu modeste. La question ne porte alors pas sur la validité de ce but, mais sur la manière de l'atteindre. Les autorités devraient explicitement viser cet objectif, et surtout en supporter le coût dans le budget public, plutôt que de déguiser ce coût en faisant appel à des institutions qui ne figurent pas sur le budget public, mais engagent la garantie du contribuable. Les conséquences de cet arrangement mi-privé mi-public étaient prévisibles. Freddie et Fannie ont grossi en s'exposant à des risques substantiels. Les inquiétudes de plusieurs de ses responsables ont été ignorées.

Le coût de cette stratégie est maintenant évident. Les deux institutions subissent de lourdes pertes financières, et seule une garantie explicite du gouvernement a empêché leur faillite, aux frais du contribuable. À court terme une telle intervention est la bonne stratégie, car une faillite de Freddie et Fannie aurait gelé le marché hypothécaire, ce qui auraient eu de fâcheuses conséquence pour une économie qui peine déjà suffisamment. À plus long terme, il va falloir éviter de commettre à nouveau les erreurs passées. La première étape devrait être une réduction de la taille de ces institutions, dont la nécessité est discutable. Si les pouvoirs publics décident que la raison d'être de Freddie et Fannie demeure, il faudra aller au bout de la logique et en assumer explicitement les coûts.