La religiosité rend heureux, mais les églises se vident edit

15 novembre 2011

L’économie du bonheur suggère que la religiosité est corrélée avec le bonheur. Néanmoins, dans le même temps, on constate que les habitants des pays développés, qui ont les indicateurs de satisfaction de vie les plus élevés, continuent à déserter les églises. Est-ce durable? On aurait tort de négliger le rôle de réassurance joué par les Églises, qui leur offre aujourd’hui un avantage comparatif vis-à-vis de l’État et du secteur économique.

Les personnes religieuses se disent plus heureuses que leurs contemporains. Ceci est l’un des résultats émanant de la recherche effectuée par les économistes spécialisés dans l’analyse du bonheur. Plus précisément encore, la causalité semble aller de la religion au bonheur. L’une des études examinant ce lien entre la religion et le bonheur a été conduite par Headey et al. (2010) et se fonde sur les données du panel socio-économique allemand (SOEP). Les auteurs montrent que, toutes choses égales par ailleurs, les individus qui s’orientent vers la religion voient leur degré de satisfaction augmenter, tandis que ceux qui lui tournent le dos le voient diminuer. De même, une analyse multidimensionnelle des facteurs du bonheur indique que la foi est fortement corrélée positivement avec la satisfaction de vie dans tous les pays – même après avoir pris en compte d’autres influences (cf. Frey et Stutzer 2002, Dolan et al. 2008, Frey 2010). Aux États-Unis, par exemple, 48% de ceux qui se disent « très heureux » vont à l’église au moins une fois par semaine, contre 26% des personnes qui n’y vont jamais (Pew Forum on Religion and Public Life 2007).

Mais la portée de ces résultats ne se limite pas à l’échelle individuelle. À l’échelle de pays entiers, toutes choses étant égales, le repli de la religiosité pourrait même être un indicateur de baisse de qualité de vie. Étant donné que la satisfaction de vie influe également sur la productivité, il apparaît clairement que ce sujet pourrait être source d’intérêt pour les politiques.

C’est sur la base de ces réflexions que se pose la question des statistiques sur la religiosité. On pourrait être incité à conclure que les masses envahissent les églises, d’autant que des études ont montré que – en effet – la grande majorité de la population mondiale est religieuse : 70%, soit 4,5 milliards de personnes, considèrent la religion comme étant « un aspect important de leur vie quotidienne » (cf. ici et dans ce qui suit Diener, Tay et Myers 2011). Néanmoins, il y a des différences considérables entre les pays. Alors que la religion est un pilier solide de la société dans les pays en développement, la plupart des habitants des pays riches ne considèrent pas qu’elle soit une composante fondamentale de leurs vies.

À cet égard, il est instructif de contraster les taux suivants, qui indiquent le pourcentage de personnes déclarant que la religion fait partie intégrante de leur quotidien. En Égypte, au Bangladesh et au Sri Lanka, le taux s’élève même à 99%. De l’autre côté du spectre se trouvent notamment les pays scandinaves, dont la Suède et le Danemark, avec des taux respectifs de seulement 16 et 19 %. L’aperçu général du monde francophone est diversifié, reflétant en gros les différents niveaux de développement. Des pays comme la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Congo-Kinshasa et le Djibouti sont en tête de liste avec 98%, suivis par la Guinée (97%), le Cameroun (95%) et les autres pays du Maghreb: le Maroc (94%), la Tunisie (92%) et l’Algérie (90%). Les pays développés francophones, en revanche, ont des taux plus bas. Néanmoins, en comparaison avec le reste du monde développé, ces pourcentages sont encore relativement élevés : le Canada y figure avec 45%, la Suisse avec 43%, le Luxembourg avec 40%, la Belgique avec 39% et la France avec 27%. Ces comparaisons démontrent très clairement le fossé important en ce qui concerne la religiosité entre les pays développés et ceux en développement.

En outre, on observe une baisse notable de l’importance de la religion organisée dans les pays riches au cours de l’histoire. Cela a conduit à une situation où la plupart des habitants de ces pays sont athées ou du moins non religieux. Comment peut-on alors expliquer l’apparente contradiction qui en résulte : la religion rend heureux ; toutefois, les personnes vivant dans les pays avec la plus grande satisfaction de vie lui tournent de plus en plus le dos?

En regardant les données, on peut distinguer une tendance nette : la situation économique d’un pays a une influence cruciale sur la religiosité de ses habitants. Les personnes vivant dans des conditions difficiles avec un faible revenu par tête et avec peu de satisfaction de vie sont plus susceptibles d’être religieuses. Et la religion va, à son tour, accroître leur satisfaction de vie. En effet, la religion peut être considérée comme une « assurance ». La croyance aide les individus (au moins dans une certaine mesure) à faire face aux difficultés de la vie. En outre, elle offre des institutions qui soutiennent leurs membres et leurs offrent des opportunités d’intégration sociale. Or ces contacts avec d’autres personnes, facilités et renforcés par les Églises, sont cruciaux. L’économie du bonheur a montré que l’interaction avec autrui est d’une importance primordiale pour le bien-être subjectif. Diener et al. (2011) ont même montré que ces résultats sont valables pour toutes les grandes religions mondiales – le christianisme, le bouddhisme, l’hindouisme et l’islam.

Nous pouvons alors en tirer les conclusions suivantes : les Églises perdent des membres lors des périodes stables et économiquement prospères ; cette tendance se renverse quand les conditions économiques, politiques et sociales se durcissent. L’avantage comparatif des Églises consiste à offrir du soutien et de la stabilité dans les temps d’insécurité – une fonction que ni l’État, ni l’économie n’assument. Ceci s’applique particulièrement au stress psychologique dont beaucoup de personnes souffrent de nos jours. L’économiste britannique Richard Layard rappelle dans son livre Le Prix du bonheur. Leçons d’une science nouvelle que l’un des problèmes essentiels de la vie moderne consiste en ce que beaucoup de personnes ne sont plus capables de s’orienter, ni dans l’économie, ni dans la société. À cet égard, les Églises peuvent jouer un rôle fondamental.

Une version allemande de cet article est publiée sur le site de notre partenaire Oekonomenstimme et une version anglaise est disponible sur VoxEU, avec toutes les références.