Financement des universités: le tabou des frais d'inscription edit

12 février 2007

S’il est un secteur exposé à la concurrence internationale, c’est bien l’enseignement supérieur et la recherche. Or, la France consacre moins que les autres pays de l’OCDE à l’enseignement supérieur. Pour rejoindre non le groupe de tête, mais simplement la moyenne, il faudrait dégager des moyens supplémentaires à raison de 0,3% du PIB. Cet effort doit être en priorité dirigé vers les universités, parent pauvre de l’enseignement supérieur français. Un financement plus divers et une participation accrue des ménages sont seuls à même de relever ce défi. Une telle réforme n’a rien d’impossible, dès lors qu’on s’attache à comprendre les réalités économiques sur lesquelles se fondent certains tabous politiques

Si les vertus incitatives du droit d’inscription sur l’ensemble du fonctionnement du système universitaire sont rarement contestées, une mise en œuvre effective semble difficile. Pourquoi ? Au-delà des questions idéologiques, l’opposition à une augmentation des droits d’inscription prend racine dans deux dysfonctionnements actuels de l’économie générale des universités.

La première raison objective des étudiants tient aux difficultés financières que connaît déjà une grande majorité d’entre eux. La France vit sur le mythe de la gratuité de la poursuite des études supérieures en raison de la quasi-absence de frais d'inscription. Pourtant, les aides financières consenties aux étudiants par la puissance publique sont bien modestes dans l'absolu et au regard de nos voisins. Cette aide représente 0,2% du PIB contre 0,6% en Suède, 0,5% au Royaume-Uni et 0,4% aux Pays-Bas. Dans ces conditions, 45% des étudiants travaillent pour financer leurs études dont 15% à plein temps et les revenus d’activité constituent la première ressource des étudiants. Aussi, il ne faut pas s’étonner de ce que 25% des étudiants français déclarent rencontrer des difficultés financières, essentiellement en raison des frais d'hébergement, leur premier poste budgétaire. La hausse des loyers dans les centres des villes universitaires n'y est pas étrangère mais l’allongement de la durée des études, un effet du système LMD, est de nature à renforcer le besoin de financement des étudiants. Les difficultés financières des étudiants concernent au premier chef les universités car la France se distingue des autres pays européens sur un point essentiel : nos universités accueillent surtout des élèves provenant de milieux sociaux peu favorisés (étant bien entendu par ailleurs qu’une bonne partie des enfants issus des classes populaires n’y accède même pas).

Les problèmes des uns (les étudiants) rejaillissent sur les problèmes des autres (les universités). Toute augmentation des droits d'inscription qui ne s'accompagnerait pas d’une aide accrue aux étudiants les plus nécessiteux se heurtera à une opposition très forte reposant, certes, sur des a priori idéologiques, mais aussi sur une réalité économique tangible. Augmenter les droits d'inscription, dans la situation actuelle, reviendrait à obliger les étudiants à augmenter leur nombre d'heures d'activité au détriment de leurs études. Si l’on a en tête qu’une partie des problèmes des universités peut être résolue par une hausse des droits d’inscription, la priorité dans ces conditions consiste à desserrer la contrainte budgétaire étudiante en relevant le niveau des bourses pour les plus nécessiteux et en permettant à tous d'avoir accès au marché du crédit dans des conditions avantageuses.

A cet égard, une aberration française réside dans l'absence de prêts étudiants permettant, notamment aux moins fortunés d'entre eux, d’assumer les dépenses liées à l’investissement dans leurs études et par la même occasion de lisser leur consommation dans le temps. Le système de prêt à remboursement contingent au revenu expérimenté dans de nombreux pays dont l’exemple emblématique est l’Australie semble bien adapté au contexte français. Les remboursements n'interviennent que dans les « bonnes années », celles où l'ex-étudiant dispose d'un travail rémunérateur et non dans les « mauvaises » années où il rencontre des difficultés à s'insérer sur le marché du travail.

Un tel système peut facilement être mis en place dans les pays où l'administration fiscale fonctionne bien, ce qui est le cas de la France. Il ne serait pas exorbitant que l'État consacre 1,2 milliard d’euros à ce programme de prêt, soit 1% des 120 milliards d’euros qu’il empruntera cette année sur le marché obligataire ! Le taux d'intérêt appliqué pourrait être celui dont bénéficie justement l'État pour ses obligations à moyen ou à long terme, 3,5%. Ce système serait réservé aux étudiants les plus nécessiteux et donc sous conditions de ressources personnelles et parentales. A l'heure actuelle, 500 000 étudiants environ reçoivent des aides financières universitaires. Par tête, le prêt représenterait une somme égale à 2 500 € par année d'études, une somme équivalente au montant moyen des aides en espèces actuelles. Ce programme, tout modeste qu’il soit, permet de doubler l’aide financière apportée aux étudiants les plus démunis ! Il pourrait monter en régime graduellement et être étendu à tous les étudiants les années suivantes.

L’opposition des étudiants à toute augmentation des frais d’inscription tient aussi à un second dysfonctionnement du système universitaire. On sait en effet que cette opposition part immanquablement des facultés de lettres et sciences humaines. Or, si elles sont souvent plus politisées, ce sont aussi et surtout celles dont les étudiants sont les plus inquiets sur les débouchés offerts à l’issue de leur formation. Tant qu’il subsistera des formations universitaires qui ne s’inquiéteront pas du devenir professionnel de leurs diplômés, il en sera ainsi. La tâche la plus urgente du prochain ministre de l’Enseignement supérieur doit être de remédier à cette anomalie de filières universitaires sans réels débouchés à la hauteur des effectifs des étudiants inscrits.

Comment faire ? Le système actuel de financement de l’université présente le défaut de pousser à la fuite en avant en matière de création de diplômes. En revanche, il ne prévoit aucune reconnaissance de l’action des universités à offrir des débouchés sur le marché du travail. Il convient donc de réformer ce système en incluant une prime importante aux établissements qui se préoccupent d’un placement correct de leurs étudiants et en pénalisant les autres. Des indicateurs statistiques ou une évaluation conduite sur d’autres bases permettraient de tenir compte des différences (de filières, de territoires et de bassins d’emploi) sans pour autant renoncer à l’essentiel : une comparaison des performances des établissements en matière d’insertion professionnelle qui permette aux bailleurs de fonds d’activer ces politiques. Et aux étudiants de mieux faire leur choix.

Ces deux réformes permettraient à moyen terme de mettre sur la table la question des droits d’inscription, en ayant enfin levé les réserves de nature économique qui empêchent aujourd’hui une discussion sur le fond.