Sale temps pour la nouvelle Europe edit
Les nouveaux membres de l’UE ont vocation à adopter l’euro dès que possible. La définition du mot « possible » est claire : comme les pays de la vieille Europe, ils doivent satisfaire aux critères de convergence de Maastricht. Or la Commission a récemment publié son évaluation de la situation. Un seul pays, la Slovénie, peut envisager d’adopter l’euro en 2007, la date la plus rapprochée prévue. Recalées l’Estonie et la Lituanie qui ont adopté l’euro de facto depuis plusieurs années. Recalés tous les autres pays qui, pourtant, souhaitaient devenir des membres à part entière de l’Union.
Deux critères posent problème dans l’un ou l’autre de ces pays. Le premier est le taux d’inflation, qui ne doit pas excéder de plus de 2 % la moyenne des trois plus bas taux observé dans les pays de la zone euro. Or la grande différence entre veille et nouvelle Europe c’est que cette dernière a un fort taux de croissance – ce qui explique le peu d’empressement de ses citoyens à venir s’installer en France ou en Allemagne où les perspectives économiques sont tristounettes. Cette croissance rapide est la conséquence d’un processus de rattrapage économique semblable à celui que nous avons connu durant les trente glorieuses. Un aspect de ce phénomène est qu’il tend à générer de l’inflation. La raison est simple. Le niveau de vie (prix, salaires) en Estonie est beaucoup plus bas qu’en France. Si, comme les critères de convergence le lui imposent, l’Estonie fixe son taux de change vis-à-vis de l’euro, le seul moyen pour les prix et les salaires de rattraper un jour ceux de la France est qu’ils augmentent plus vite. Simple, non ? Et bien, non, pas pour nos autorités qui exigent de ces pays un taux de change fixe et le même taux d’inflation que nous.
L’autre critère, c’est celui qui concerne les déficits budgétaires, les fameux 3% que 10 des 12 pays membres de la zone euro n’ont pas respecté en 2005. La vertu se montre à l’entrée, même si plusieurs des membres actuels de la zone euro (dont la France et l’Italie) ont, en leur temps, fait preuve d’une grande inventivité comptable pour passer sous la barre des 3%. Or la plupart des pays de la nouvelle Europe sont sortis de quatre décennies de planification centralisée avec des infrastructures publiques dignes de pays en développement. Depuis, ils essaient de rattraper le temps perdu. Evidemment, ça coûte cher. Doivent-ils tout payer comptant ou peuvent-ils emprunter ? Un principe élémentaire est que vous empruntez si vous prévoyez une augmentation de votre niveau de vie. C’est ce que voudraient faire les pays de la nouvelle Europe, mais non, c’est interdit.
Comment de telles erreurs techniques sont-elles possibles ? Certes, la plupart des hauts responsables politiques ne se préoccupent pas de comprendre de tels détails. Mais ils ne manquent pas de conseillers pour leur signaler le problème. Une explication est qu’il faudrait remettre en cause les critères de Maastricht et traiter différemment les nouveaux pays membres. Les esprits légalistes s’offusquent d’une idée aussi saugrenue. D’autres, adeptes des rites initiatiques, considèrent que, pour vraiment apprécier leur élévation au sein de la zone euro, les nouveaux membres doivent tout faire pareil que les anciens. Mais, au fond, l’explication la plus probable est que, vus de Paris ou Berlin, ces questions sont sans importance.
Vue de Tallinn ou de Varsovie, la situation est bien différente. Adopter l’euro impose de conduire des politiques économiques excessivement restrictives. Déjà la Hongrie, la République Tchèque et la Pologne ont fait savoir qu’ils n’estiment pas que le jeu en vaille la chandelle. Leurs populistes et anti-européens se réjouissent du cadeau que leur fait la vieille Europe et ne se privent d’en engranger les bénéfices électoraux, comme ce fut le cas en Pologne tout récemment. La désillusion à l’égard de l’Europe croît, annonçant des positions plus dures lors de négociations, comme on l’a vu récemment au sujet du budget européen. Pour amadouer les Polonais, désormais peu enclins à faire des concessions, Angela Merkel a même dû sortir son chéquier.
Petit à petit, ces mauvais traitements sapent la construction européenne parce qu’ils alimentent le ressentiment. Elargir l’Europe était un véritable défi. La constitution représentait une tentative bancale d’améliorer le processus de prise de décision. Mais quelles que soient les modalités de la prise de décision, au final les négociations reposent sur une volonté politique de répartir équitablement les avantages et les inconvénients des uns et des autres. Il ne coûterait rien à la vieille Europe d’admettre les nouveaux pays membres dans la zone euro, sinon un petit effort de réflexion et d’imagination. En retour la cohésion, aussi bien économique que politique, de l’Union serait grandement accrue. Ce n’est pas dans l’air du temps. Sale temps pour les Européens.
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