Voter Sarkozy ? Une réponse à Olivier Blanchard * edit

28 mars 2007

Olivier Blanchard a exprimé son choix pour Nicolas Sarkozy, considérant son programme comme le plus compatible avec un agenda réformiste. Tout dans ce programme n'est pas négatif. Mais dans le domaine de l'emploi, la cohérence des propositions ne saute pas toujours aux yeux.

Il est curieusement assez difficile de se faire une idée précise du programme du candidat Sarkozy. Celui de l'UMP, nous dit-on, n'engage pas directement son président. Le citoyen à la recherche d'un programme en est réduit à ceci. De deux choses l'une : soit le candidat dispose d'un projet précis qu'il n'affiche pas, soit il fonde son programme non sur un diagnostic et une analyse de fond réalisés avant la campagne, mais sur des annonces qu'il juge bon d'égrener au fur à mesure des débats et de l'actualité.

Essayons quand même de faire le tri.

La suppression des droits de mutation en cas de mobilité professionnelle est une bonne mesure. Elle conduirait à réduire un impôt portant sur une mauvaise assiette (les transactions, plutôt que la valeur du logement ou le revenu), tout en accompagnant les mobilités géographiques. Cela peut se révéler utile pour éviter la concentration du chômage dans certains bassins d'emplois quand d'autres sont quasiment au plein emploi.

La défiscalisation des emplois de service à la personne aurait sans conteste un effet statistique massif : tout le travail non déclaré serait déclaré, et c'est autant de gagné pour les comptes sociaux. Mais l'exonération aurait gagné à être ciblée sur les emplois les moins qualifiés. Dans la version proposée par Nicolas Sarkozy, elle concernerait autant les nounous des salariés modestes qui n'auraient pas créé d'emploi sans exonération que les masseurs et les cuisiniers des plus aisés, qui sont déjà professionnalisés. Une chose est d'utiliser la fiscalité pour stimuler l'emploi à domicile, une autre chose est de faire des cadeaux fiscaux.

Le programme de stimulation de la croissance basé sur des baisses d'impôts massives (impôt sur le revenu, TVA sur la restauration, baisse de l'impôt sur la fortune via le bouclier fiscal, baisse des droits de succession) créerait probablement de l'activité, mais au détriment des Français les plus modestes, premiers bénéficiaires de dépenses publiques qu'il faudra bien réduire pour financer ce programme.

Les jeunes se voient proposer une allocation de formation, auquel le candidat ajoute un « droit à un premier emploi » que l'on peut interpréter comme une offre de stage. Cela peut avoir un effet positif à deux conditions : que cette allocation s'accompagne d'un renforcement des moyens de l'accompagnement des demandeurs d'emploi et d'une réforme du système d'enseignement et d'orientation. La création d'un « grand service public de l'orientation » ne suffit pas à faire une réforme, mais l'intention d'y consacrer plus de moyens est un élément positif.

Le développement de la formation tout au long de la vie aurait certainement un effet positif, sous réserve d'une mise en place cohérente et d'une meilleure articulation entre formation initiale, orientation et accompagnement des demandeurs d'emploi.

La création d'une « zone franche globale » dans les départements d'outre-mer aurait certainement un effet positif sur l'emploi. Mais il tout aussi probable que le coût de chaque emploi serait plus élevé qu'une simple exonération sur les bas salaires. Il est vrai que ces exonérations ne sont pas l'outil le plus pertinent à l'échelon territorial et que les DOM requièrent un traitement spécifique. Mais pour les avoir expérimentées on connaît les limites des formules de type « zone franche », et les solutions passent par d'autres moyens, en particulier l'accompagnement et la formation.

Nicolas Sarkozy promet également une amélioration du dialogue social et affiche la volonté louable de demander l'avis des partenaires sociaux avant de faire une loi. Mais on notera que cette disposition figure déjà dans les engagements de la loi Fillon de 2004. La majorité UMP qui l'avait votée, et à laquelle appartient Nicolas Sarkozy, s'est empressée de l'oublier lors de l'aventure du CPE.

A côté de ces mesures dont l'effet économique plutôt positif demande simplement à être ramené à sa juste mesure, on en relève d'autres qui auront au mieux un effet purement statistique, au pire un effet négatif.

La création de prêt à taux zéro ou la caution de l'Etat aux entrepreneurs sans ressources reviendrait à prendre en charge une partie du risque des créateurs d'entreprise. Est-ce vraiment une bonne idée ? Un bon projet et un entrepreneur motivés trouvent toujours un financement, et si on veut encourager la création d'entreprise il faut explorer d'autres pistes : simplification des démarches, formation à la création et au développement d'entreprise, amélioration de la couverture sociale en cas d'échec, éventuellement réduction de certaines charges. Mais il n'est pas sain économiquement de demander à l'Etat d'assumer le risque de projets privés.

L'exonération du travail des étudiants ne ferait sans doute pas de mal à leurs revenus, mais comme il s'agit de « petits boulots » on notera que ce sera au détriment des non-étudiants qui auraient pu occuper ces postes. Au total, cette mesure pourrait même augmenter le chômage des jeunes.

La défiscalisation des heures supplémentaires aurait mécaniquement un effet négatif sur l'emploi : plus d'heures supplémentaires, c'est évidemment moins d'embauches. Mais cette mesure aurait également un effet de « distorsion » qui polluerait les choix des entreprises. Au lieu de choisir entre heures supplémentaires et embauches en fonction de critères économiques (et donc de faire un choix qui crée de la valeur économique), les entreprises feraient leur arbitrages sur des considérations fiscales en raisonnant en termes de baisses d'impôts et non de création de valeur. Au final, on aurait ainsi moins d'emplois et plus d'heures supplémentaires, y compris dans des cas où les entreprises préféreraient recruter. Certes, en baissant les impôts, on crée un peu d'activité, mais il est évident, pour des raisons déjà évoquées à propos des emplois Bayrou, qu'on créera moins d'emplois que si on avait alloué les mêmes sommes aux exonérations sur les bas salaires ou pour accompagner la recherche active d'emploi. Autrement dit, si Nicolas Sarkozy veut vraiment créer le plus d'emplois possibles, il se trompe de voie. Cette mesure est un exemple parfait de mauvais dispositif économique, et il ne faut pas se laisser égarer ici par les modèles de Rexecode, qui sont calés sur des paramètres selon lesquels toute baisse d'impôt crée des emplois et n'interrogent pas les différents usages possibles de ces baisses d'impôts. Le principal avantage de cette proposition n'est pas économique, mais politique, avec un côté très consensuel : c'est un cadeau fiscal aux salariés et aux entreprises. Cela peut plaire aux électeurs, mais il est difficile d'y voir une volonté de réforme économique.

Tout aussi démagogique, l'idée de conditionner les exonérations de cotisations aux augmentations de salaire revient à détourner une partie de l'argent public actuellement consacré à un objectif prioritaire avec des effets prouvés (augmenter l'emploi peu qualifié en réduisant son coût), au profit d'un objectif qui peut sembler illusoire. Si les entreprises sont rationnelles, et en général elles le sont, l'augmentation de salaire de représentera qu'une fraction minimale de l'argent que l'Etat leur offrira. Rien ne peut justifier un tel détournement et ce n'est pas de cette façon qu'on règlera le problème du pouvoir d'achat.

L'idée du contrat unique, proposée par certains économistes, figure au programme du candidat de l'UMP. Il n'y a pas d'estimation précise de son impact global en termes d'emploi. L'OCDE estime dans certaines de ses publications que le cadre légal français n'a pas d'impact significatif sur le niveau d'emploi, mais sur sa distribution. Une partie des arguments théoriques émis en faveur de ce contrat sont d'ailleurs questionnés par les praticiens du social. Nul ne niera que notre code du travail est complexe et que cela induit des coûts qui pénalisent l'activité. Mais un toilettage de notre droit peut apparaître tout aussi efficace économiquement que la création d'un nouveau contrat, sans en avoir les inconvénients en termes de droits sociaux.

Au total, le programme social de Nicolas Sarkozy forme un curieux cocktail, alliant des mesures dont l'intérêt économique est peu contestable avec des propositions guidées par des enjeux plus électoraux.

* Le point de vue de Vincent Champain n'exprime en aucune façon celui de Telos qui ne soutient aucun candidat mais donnera à ses auteurs la possibilité de faire valoir leurs préférences argumentées.