Sur l'Europe au moins Sarkozy n'est pas partisan de la rupture… edit

13 septembre 2006

Vendredi 8 septembre, Nicolas Sarkozy a présenté à Bruxelles sa « nouvelle vision française pour l'Europe ». Un discours placé, comme souvent pour le candidat putatif de l'UMP à l'élection présidentielle, sous le signe de la rupture. Mais Nicolas Sarkozy est-il vraiment l'homme de la rupture ? Rien n'est moins sûr. Son propos s'inscrit en réalité dans la continuité des positions tenues par la France. Pour le meilleur et pour le pire.

Qu’a proposé le candidat putatif à la présidence de la République ? Essentiellement un agenda en deux temps. Premier temps : la négociation d’un mini-traité. Reprenant « les trois-quarts » des propositions institutionnelles du traité constitutionnel repoussé l’an dernier, il serait ratifié sous présidence française de l’Union, autrement dit avant fin 2008. Cela revient à demander aux Français de lui confier un mandat pour négocier avec les autres Etats membres de l’Union européenne la reprise de pans entiers d’un texte contre lequel ils ont voté. Ce qui dénote un certain courage.

Deuxième temps : l’aggiornamento des structures actuelles de l’Union, après les élections européennes de 2009 et autour de quatre axes. La Commission serait transformée en véritable gouvernement européen (son président, choisi par les Etats, composerait librement son équipe sous réserve d’obtenir l’investiture du Parlement), le vote à la majorité étendu et couplé au développement des coopérations renforcées (ce qui permettrait de passer outre les veto britannique, polonais ou autre pour avancer sur le terrain fiscal ou celui de la sécurité), le budget renforcé en affectant plus de ressources nationales aux politiques européennes, et enfin l’élection parlementaire « européanisée » avec la possibilité notamment d’apparenter des listes de différents pays.

Toutes ces propositions ont été un jour ou l’autre formulées, en général par des formations de gauche ou plus « fédéralistes » que ne l’est habituellement l’UMP, comme l’UDF. Toutes, à l’exception de celles concernant le budget qui sont directement inspirées du travail du député européen Alain Lamassoure dont on a senti la patte dans le discours du 8 septembre. En ramassant tout cela en un tout cohérent, M. Sarkozy ne rompt pas seulement le silence assourdissant de la France sur la scène européenne depuis plus d’un an, il se positionne également comme l’un des plus européistes des Européens. C’est nouveau pour un président du parti gaulliste.

Cependant, vu de Bruxelles, ces propos s’inscrivent dans la grande tradition française. Pour deux raisons principales.

D’abord, ils replacent la France dans sa position habituelle à l’articulation entre l’Allemagne et le Royaume-Uni. Au dernier sommet européen, le président Chirac avait suggéré qu’à l’occasion de la présidence allemande, la chancelière Angela Merkel relance la réforme institutionnelle interrompue par les referendums. M. Sarkozy va plus loin, il lui indique ce qu’il serait opportun de proposer : un mini-traité qui est, en somme, une mini-constitution. Le problème est que Mme Merkel n’a jamais laissé entendre qu’elle se contenterait en lieu et place du texte ratifié par le Bundestag d’une mini-constitution. Dans la matinée du 8 septembre, M. Sarkozy avait passé une heure et demi avec le plus en vue des Allemands (et futur président) du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering. L’a-t-il convaincu de renoncer à la Constitution ? Rien ne permet de le dire pour l’instant. Comme souvent en matière franco-allemande, Paris prend l’initiative… unilatéralement.

Les plans du président de l’UMP n’embarrassent pas seulement les Allemands mais également les Anglais. Pour d’autres raisons. Si les propositions de M. Sarkozy ont une qualité, c’est bien leur précision. Or « tout ce qui mène à un débat clair et net ne plaît pas aux Anglais », faisait remarquer Giles Merritt, le président des Amis de l’Europe, vendredi dernier. Les Britanniques se complaisent dans le brouillard qui flotte sur l’Union européenne depuis le rejet de la constitution, parce qu’il les dispense de se prononcer sur tout ce qui ressemble à une union politique plus étroite et dont ils ne veulent pas. Gageons qu’ils n’ont pas hâte de se retrouver autour de la table du Conseil européen avec M. Sarkozy. Là encore, rien de nouveau. Paris est dans son rôle habituel en dévoilant l’ambivalence, sinon la duplicité, britannique.

Mais il y a une autre raison pour laquelle les propos de M. Sarkozy sont moins en rupture avec la politique européenne française de ces dernières années qu’il ne veut bien le dire. Et elle est plus gênante. Le président de l’UMP sacrifie une fois de plus à la passion française pour les questions institutionnelles. Et, ce faisant, échoue à tirer les leçons du référendum de mai 2005.

Bien sûr qu’avec une Commission plus démocratique et un Parlement plus puissant, les problèmes politiques devraient être abordés différemment par l’Union européenne. Gageons que la ligne libérale, parfois dogmatique, de la Commission pourrait alors être tempérée par d’autres manières de voir, qui tiennent plus compte des enjeux de souveraineté et sociaux. Mais qu’on le veuille ou non, un système politique organisé à l’échelle d’un continent, comme l’est l’Union européenne, sera toujours « loin » des citoyens. C’est bien de vouloir démocratiser l’Europe. Ce qui est vraiment nécessaire, c’est d’européaniser le traitement des sujets politiques nationaux. On en est encore loin. Dans son discours, tout juste M. Sarkozy a-t-il évoqué une « convention sur la défense européenne » et suggérer que les partis politiques développent un programme sur « l’immigration, l’énergie, l’économie et la monnaie ».

Malgré la crise qu’elle traverse, l’Union a un agenda. Si urgence il y a, c’est de peser dessus. Prenons un exemple. Le débat parlementaire a exclu les services de santé de la très contestée directive services. Ces derniers relèvent, de par les traités, des compétences nationales. Néanmoins la Cour de justice européenne, fidèle à sa tradition intégrationniste, a estimé que le principe de libre prestation de services qui fonde le marché intérieur devait s’appliquer également à eux. Résultat, la Commission européenne, arguant d’un vide juridique, prépare un projet de directive européenne sur les services de santé, pour l’instant centré sur la mobilité des patients. On assiste là à un scénario qui s’est cent fois répété dans l’histoire de l’intégration et qui ramène petit à petit, par le biais de la jurisprudence et grâce à la puissance des principes de liberté des traités, un sujet national vers la compétence communautaire. Faut-il s’engager sur la voie d’une politique européenne concernant les systèmes de santé qui sont actuellement extrêmement disparates ? Voilà un sujet sur lequel il faudra concrètement se prononcer.