N'en déplaise à certains l'immigration favorise la croissance edit

10 juin 2006

L'immigration favorise la croissance, peut aider à résorber à court terme certains types de déséquilibres sur le marché du travail et n'a pas d'impact significatif sur les finances publiques, même si cela va à l'encontre de certaines idées reçues.

L'immigration a un effet incontesté sur la croissance globale. Sans immigration la population de plusieurs pays européens, parmi lesquels l'Allemagne ou l'Italie, déclinerait depuis plusieurs années. Au Canada, plus de 70% de la croissance de la population active au cours des années 1990 est imputable à l'immigration, un chiffre qui pourrait atteindre 100% d'ici la fin de la décennie. Compte tenu de la surreprésentation des cohortes les plus jeunes, les immigrants contribuent également à modifier la structure par âge de la population, mais dans des proportions qui sont toutefois insuffisantes pour compenser les effets du vieillissement démographique, comme cela a été démontré par le rapport des Nations Unies sur les « migrations de remplacement ».

L'impact de l'immigration sur la croissance du produit par tête est en revanche théoriquement incertain. C'est l'effet de dilution du capital physique qui est ici en cause. Pour autant, celui-ci est pour partie compensé par l'apport en capital humain associé à l'immigration. Dans la plupart des pays de l'OCDE, la proportion d'immigrés diplômés du supérieur est en effet plus importante que celle enregistrée pour les autochtones. De ce fait les immigrants contribuent à l'accumulation totale et par tête du capital humain, alimentant par là même une source potentielle de croissance endogène. Entre 1960 et 1985 l'apport qualitatif de l'immigration aurait diminué de moitié l'effet de dilution du capital imputable à l'apport migratoire dans les pays de l'OCDE. La question se pose toutefois de savoir comment ces compétences sont valorisées dans les pays d'accueil.

D'un point de vue historique l'exemple des grandes migrations transatlantiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle a largement démontré le rôle de l'immigration sur la formation du capital et la croissance. Plus récemment dans le cas la Suisse on estime qu'environ 10% de la croissance du produit par tête entre 1960 et 1980 est imputable à l'apport de main-d'œuvre étrangère. Pour ce qui concerne le Royaume-Uni, l'immigration aurait contribué à augmenter le PIB de 4 dixièmes de points environ entre 2001 et 2002 (soit 16% de la croissance totale) et le PIB par tête de 0,15 %. Aucune étude de ce type n'est à notre connaissance disponible dans le cas de la France, ce qui est certainement dommageable et pour partie symptomatique.

Il est des fois où « le bon sens » est à contre sens. C'est le cas par exemple en ce qui concerne l'amalgame entre immigration et chômage, d'abord largement manipulé dans le contexte de la première crise pétrolière depuis relayé par les représentants de la droite nationaliste. Cet amalgame nécessite d'être sans cesse réfuté. D'où vient d'ailleurs cette idée ? Qu'il y aurait qu'un nombre fixé d'emplois dans l'économie d'une part et que les nouveaux immigrés concurrenceraient directement les autochtones sur le marché du travail ou s'ajouteraient mécaniquement aux effectifs de chômeurs. Aucune de ces assertions n'est en réalité supportée ni par la théorie économique ni par les résultats empiriques.

En premier lieu, les nouveaux migrants n'apportent pas que leur force de travail. Ce sont en effet avant tout des consommateurs dont les besoins pour être satisfaits nécessitent de développer l'emploi. Ils participent ainsi à accroître la demande de biens (logement, alimentation) avant même d'accroître l'offre de travail, et ce d'autant plus qu'ils entrent aux titres des familles ou humanitaires.

En second lieu, sauf dans des cas très particuliers, comme celui des rapatriés d'Algérie en France en 1962, des « retornados au Portugal dans les années 1970 ou l'afflux de Cubains à Miami en 1980, les effectifs des flux sont extrêmement faibles par rapport à la population active présente dans le pays.

Enfin, la majorité des études qui ont procédé à des estimations empiriques concluent à l'existence d'une relation de complémentarité plutôt que de substituabilité entre la main-d'oeuvre étrangère ou immigrée et la main-d'oeuvre autochtone. Il s'avère en réalité que ce sont les personnes issues des vagues migratoires antérieures qui sont le plus directement en concurrence avec les nouveaux arrivants sur le marché du travail. Même d'un point de vue théorique, l'effet de l'immigration dépendra de la structure du marché du travail.

Rappelons qu'en France les travailleurs immigrés comptent pour moins de 10% des entrées de long terme annuelles (environ 7 000 ressortissants d'Etats tiers en 2004). On évalue néanmoins à près de 100 000 nouvelles entrées d'étrangers sur le marché du travail chaque année (directes, indirectes et différées), soit un peu plus de 10% des entrées annuelles totales sur le marché du travail. Par ailleurs, on comptabilise en France environ 440 000 demandeurs d'emploi nés à l'étranger (17,8% des chômeurs) pour un effectif total qui avoisine 6 millions de personne nées à l'étranger.

L'impact de l'immigration sur les salaires est quelque peu plus ambiguë. Les travaux récents de Borjas appliqués aux États-unis semblent en effet attester d'un effet négatif de l'immigration sur la rémunération du travail alors que d'autres études ne trouvent pas d'impact ou mettent en évidence une corrélation positive. Une méta-analyse récente de l'ensemble de littérature dans ce domaine conclut qu'une augmentation d'un point de pourcentage de la proportion d'immigrants dans la population active réduit en moyenne le salaire de 0,1 %. Un effet certes avéré mais négligeable et susceptible d'être inversé à moyen-long terme.

Dans les pays où la mobilité géographique et sectorielle de la population autochtone est limitée, la main-d'oeuvre étrangère peut apporter une flexibilité accrue au marché du travail. C'est le cas notamment dans les pays de l'Union européenne où la mobilité intra régionale reste faible, en dépit de la libre circulation et installation des travailleurs. La main-d'oeuvre étrangère nouvellement arrivée est souvent plus mobile que la main-d'oeuvre autochtone, parce qu'elle a relativement moins d'attaches matérielles et familiales et qu'elle est plus jeune.

Le recours à de nouveaux flux d'immigrants pour pallier les pénuries sur le marché du travail constitue une possibilité qui est régulièrement évoquée en période de reprise économique. A quelles conditions le recours à l'immigration peut-il se justifier pour désamorcer les tensions sur le marché du travail en complément d'autres formes d'ajustement ?

Pour répondre à cette question, il convient cependant de distinguer les pénuries selon leur nature. On parlera de pénuries absolues de main-d'oeuvre lorsque la compétence recherchée n'est pas disponible dans l'immédiat ou qu'elle n'existe pas. Certains manques de main-d'oeuvre actuellement constatés sur les marchés du travail des pays de l'OCDE, en particulier pour les spécialisations liées aux nouvelles technologies où au secteur de la santé, peuvent être classés dans cette catégorie. On parle de pénuries relatives de main-d'oeuvre ou de difficultés de recrutement lorsque des incitations comme par exemple des augmentations de salaires et/ou une amélioration des conditions de travail pourraient permettre de révéler une offre de travail disponible. Le recours à l'immigration dans ce contexte est évidemment beaucoup plus difficile à justifier.

La nature du lien entre immigration et marché du travail dépend également du cycle économique. En période de croissance lente, comme c'était le cas au cours de la décennie 1980, sauf pour les pays asiatiques de l'OCDE, l'équilibre sur le marché du travail est plus facile à rétablir, et les anticipations des agents économiques s'ajustent progressivement. En période de croissance rapide, l'équilibre peut être plus difficile à atteindre. Par exemple, certains travailleurs révisent leurs anticipations et leurs exigences et ont tendance à se détourner des activités les plus pénibles et les moins bien valorisées. Dans ce cadre, l'immigration peut, à court terme, contribuer à atténuer les difficultés de recrutement.

La question de l'impact de l'immigration sur la fiscalité est complexe. On sait néanmoins qu'à mesure que la durée de séjour s'allonge leur contribution fiscale deviendra positive. Dans le cas du Royaume-Uni, en 2000 on estimait que les immigrants contribuaient pour plus de 31 milliards de livres aux recettes fiscales alors qu'ils recevraient environ 29 milliards de livres, soit une contribution nette de 2,6 milliards de livres.