L’euro trop fort : le début de la fin ? edit

6 décembre 2007

Il monte, il monte, l’euro. Le seuil de 1,5 dollars pour un euro est en vue, et sera sans doute franchi très bientôt. En octobre 2000, dans une période de faiblesse qui avait alors beaucoup frappé les esprits, l’euro ne valait que 0,85 dollars. Depuis le début de cette année seulement, il s’est apprécié de près de 15%, toujours vis-à-vis du dollar. Alors il souffle un vent de panique. Airbus a même indiqué que son existence était en jeu. Tout cela est-il justifié ? Non, pour deux raisons principales. D’abord, mesurer l’euro par rapport au dollar est un peu de la supercherie. Ensuite, rien ne dit que la situation va durer bien longtemps.

Commençons par la mesure de la valeur de l’euro. Ce n’est parce que le dollar est la monnaie international de référence que c’est le meilleur étalon pour juger de la valeur de l’euro ou des autres monnaies. Nos échanges avec les Etats-Unis sont limités. Certes, de nombreuses devises suivent le dollar, ce qui amplifie son importance, mais bien d’autres devises sont importantes. En tenant compte de ces aspects, en moyenne vis-à-vis d’un large de panier de devises, l’euro ne s’est apprécié que de 28% depuis son point bas en octobre 2000, et de moins de 10% depuis le début de l’année. Ce n’est pas rien mais, au vu de ces chiffres, le tocsin commence à sonner un peu creux.

Admettons que l’euro soit un peu trop fort. Avant de nous demander si c’est vraiment grave, il faut comprendre pourquoi il s’est apprécié. Il se trouve que la quasi-totalité des autres monnaies qui comptent se sont aussi appréciées vis-à-vis du dollar. Autrement dit, ce n’est pas l’euro qui a grimpé mais le dollar qui a sombré. Il a sombré parce les Etats-Unis connaissent depuis plusieurs années – en gros depuis l’arrivée de George W. à la Maison Blanche – un important déficit externe : les Etats-Unis dépensent plus qu’ils ne gagnent. Ce déficit n’est pas la conséquence d’une perte de compétitivité des entreprises américaines, bien au contraire. Il reflète deux phénomènes. D’abord la plongée du budget fédéral dans les chiffres rouges, le gouvernement dépense plus qu’il ne gagne. Partant d’un budget en excédent légué par Bill Clinton, Bush a réduit les impôts et gonflé les dépenses militaires.

L’autre phénomène, plus curieux de prime abord, est la quasi disparition de l’épargne chez les ménages américains. On ne sait pas encore très bien ce qui a remplacé la fourmi par la cigale outre-Atlantique mais deux explications semblent assez convaincantes. La première repose sur l’envolée des cours boursiers. Qu’ils possèdent des actions directement ou indirectement à travers leurs fonds de retraites capitalisés, beaucoup d’Américains se sont sentis devenir beaucoup plus riches. Cette impression a été encore accentuée par la spectaculaire hausse des prix de l’immobilier qui a pris le relais de l’envol des bourses. Ravis de la bonne aubaine, qu’ils croyaient permanente, les ménages américains ont considérablement réduit l’argent qu’ils mettaient de côté. L’autre explication est liée aux fameux subprimes. Les banques et institutions financières, qui ont aussi cru à la bonne aubaine, ont offerts des prêts hypothécaires, en apparence attrayants, à de plus de plus de gens qui avaient habituellement du mal à emprunter, et qui devaient donc épargner pour accéder à la propriété. Et voilà qu’ils pouvaient acheter la maison de leurs rêves en empruntant, et donc en s’endettant au lieu d’épargner. Ce n’est pas seulement Bush qui vivait au-dessus de ses moyens, mais toute l’Amérique, ou presque.

Une solution pour le résorber est de corriger ces errements. C’est le Plan A. Le Plan B est une baisse du dollar, ce qui rend les exportations plus compétitives et décourage les importations en les rendant plus coûteuses.

Le déficit externe est devenu tel qu’il a fini par inquiéter les marchés financiers. Faute de discipline budgétaire à la Maison Blanche et de retour de la fourmi dans les foyers américains, c’est donc le Plan B qui s’est imposé. Bien sûr, cela avantage les producteurs américains au détriment de leurs concurrents européens, d’où les complaintes des entreprises, qui sont arrivées à inquiéter certains gouvernements. Nicolas Sarkozy, en particulier, s’est montré très actif car il redoute un ralentissement de la croissance et une remontée du chômage à un moment où il a besoin de la confiance de son opinion publique pour mener les réformes qu’il a promises.

Faut-il s’angoisser ? Les monnaies montent et baissent. L’euro est fort en ce moment, un jour il baissera. La question est quand. Il n’est pas impossible que ce soit pour bientôt. En effet, on voit se mettre en place tous les éléments du Plan A. Du côté du déficit public, l’administration Bush semble s’être assagie. Mais surtout la crise immobilière qui s’installe aux Etats-Unis va amener bien des ménages à reprendre goût à l’épargne. Bien sûr, ce n’est pas gai de voir la récession s’installer aux Etats-Unis, car elle affectera le monde entier. Mais elle sera le signal que la consommation des ménages américains, si longtemps financée à crédit, retourne à un niveau plus normal. De ce fait, le déficit externe va commencer à fondre. La question sera alors de savoir combien de temps il va falloir aux marchés financiers pour conclure que le dollar peut remonter.

Dans un premier temps, les marchés vont interpréter la récession comme un signe de faiblesse de l’économie américaine. Ils vont vendre du dollar, qui va encore baisser. Mais au moindre signe de reprise aux Etats-Unis, ils se focaliseront alors sur la fin du déficit externe, proclameront le problème résolu et se précipiteront de nouveau sur le dollar qu’ils jugeront alors sous-évalué. Ce retournement de situation n’est pas exactement pour demain, mais on entrevoit la sortie du tunnel, pour la première fois depuis plusieurs années.

Et en attendant ? Il va sans doute falloir serrer les dents et faire preuve de patience. La récession américaine va se transmettre à l’Europe, en partie parce que cet énorme marché est aussi notre marché, en partie à cause du dollar faible. L’Asie risque de tenir bon, ce qui devrait atténuer l’impact de la récession américaine sur l’Europe.

Peut-on faire quelque chose pour rapprocher le moment où l’euro va commencer à faiblir ? La BCE pourrait baisser le taux d’intérêt. Ce n’est pas encore à l’ordre du jour, parce qu’elle a de bonnes raisons de redouter l’impact de la hausse des prix du pétrole sur l’inflation. Mais si la récession s’installe, le prix du pétrole va commencer à refluer et la BCE va changer de priorité et se préoccuper de la croissance économique. Alors, elle baissera le taux d’intérêt.

En attendant, on commence à entendre la suggestion selon laquelle les banques centrales devraient intervenir sur les marchés des changes. Il s’agirait pour elles d’acheter des dollars et de vendre des euros. Malheureusement, étant donné la taille désormais atteinte par les marchés, ces interventions sont devenues inefficaces. Ce serait particulièrement le cas si la BCE était la seule à la manœuvre. Déjà certains rêvent d’une intervention concertée, impliquant aussi les Etats-Unis et le Japon. Mais il s’agit probablement d’un rêve. Même si autorités américaines répètent à l’envi qu’un dollar fort est bon pour l’économie américaine, elles n’en croient pas un mot. Quant aux autorités japonaises, elles ont tellement pratiqué ces interventions, sans résultat, qu’elles semblent vaccinées. Si la pression politique monte, la BCE fera peut-être un geste symbolique, mais l’effet, si effet il y a, ne durera quelques heures ou quelques jours. Au bout du compte, tous ceux qui se désolent de voir l’euro trop fort ne peuvent que se consoler à l’idée que tout ce qui monte haut retombe un jour. En attendant, on peut se consoler en s’offrant des vacances pas chères aux Etats-Unis.