OTAN: les Européens plus que jamais dépendants des États-Unis edit

24 novembre 2010

La semaine passée, les dirigeants des 28 pays de l’Alliance atlantique se réunissaient à Lisbonne pour prendre d’importantes décisions sur l’Afghanistan, leurs relations avec la Russie, le bouclier antimissile et un nouveau « Concept stratégique » qui doit adapter l’organisation au XXIe siècle. Si la rencontre s’est conclue par l’annonce d’un retrait progressif d’ici 2014 des troupes de combat de l’OTAN sur le sol afghan et par des avancées notables sur le projet de bouclier antimissiles, le partage du fardeau de la défense occidentale reste l’enjeu décisif des prochaines années. Cette question, qui oppose les États-Unis à presque tous les autres membres, est aussi ancienne que l’alliance militaire fondée à Washington en 1949.

Le but premier de l’OTAN est d’assurer la défense de ses membres. Ce but est inscrit dans l’article 5 du traité de Washington, qui précise « qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs [des parties] survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties ». Le partage du fardeau, c’est la question de savoir dans quelle mesure chacun des États membres contribue financièrement et humainement à cette défense collective.

Historiquement, les États-Unis ont assumé le plus gros de la tâche et, ces dernières années, l’écart avec leurs alliés a continué de se creuser. Aujourd’hui, la contribution américaine se situe autour de 73% des dépenses totales de l’OTAN (3% pour le Canada et 24% pour l’Europe en incluant la Turquie). À Washington, on accuse les Européens (et à l’occasion les Canadiens) d’être les « passagers clandestins » de la défense collective, c’est-à-dire bénéficier de la sécurité collective sans y contribuer proportionnellement. Ces critiques ont atteint un pic auprès des membres républicains du Congrès américain au début des années 2000 lorsque l’OTAN discutait des gains potentiels qu’elle pourrait retirer de son élargissement. En clair, les États-Unis considèrent que la sécurité internationale réclame un effort budgétaire et humain plus soutenu de la part des alliés, désormais exposés à des menaces plus régionales et non conventionnelles.

L’enjeu du partage du fardeau traverse toutes les questions abordées à Lisbonne. Concernant l’Afghanistan, il est plus que jamais évident que l’essentiel des activités militaires menées par la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) sont en fait sous la responsabilité des Américains, qui déploient environ 100 000 des 140 000 soldats étrangers présents dans ce pays. L’intervention en Afghanistan fut la première de l’histoire de l’OTAN à être menée au nom de l’article 5, invoqué dès le 12 septembre 2001. À leur décharge, plusieurs membres de l’Alliance, comme l’Allemagne, y sont allés à reculons. D’autres, plus convaincus comme les Pays-Bas et la Canada, entament néanmoins dès maintenant un processus de retrait. Le résultat, c’est qu’il ne reste plus vraiment que les forces américaines dans le paysage.

Sans surprise, Barack Obama souhaitait obtenir à Lisbonne un meilleur partage du fardeau en évoquant un « partenariat de long terme », censé durer au-delà de la mission de combat proprement dite. Cette période de transition ne signifie pas le retrait d’Afghanistan mais son évolution vers un rôle de soutien, puis « de mentorat, de facilitation et enfin de pérennisation », tant pour la sécurité que la bonne gouvernance du pays. Là encore, les États-Unis n’entendent pas assumer seuls cet effort.

À plus long terme, c’est la diminution régulière des dépenses militaires européennes qui inquiète les Américains. Provoquée par la fin de la Guerre froide, cette diminution a été à peine freinée par les attentats du 11-Septembre. Depuis 2001, en dollars constants, les Européens ont diminué leurs dépenses d’environ 15%, avec des disparités importantes entre pays (baisse de 15% pour la France, stabilité en Allemagne et augmentation de 22% pour le Royaume-Uni). Les États-Unis dépensent aujourd’hui 550 milliards d’euros par an pour la défense, contre 250 milliards pour les Européens. Le « budget européen » est en fait une fiction puisqu’il est divisé en une trentaine de forces armées qui dédoublent inutilement leurs efforts. Les Européens développent par exemple 89 programmes d’armement distincts, contre 27 aux États-Unis.

Il n’est donc pas étonnant que Washington soit devenu le plus fervent partisan de la Politique européenne de sécurité et de défense. À l’instar de l’accord franco-britannique intervenu le 2 novembre dernier, qui vise une coopération rapprochée des deux seules puissances nucléaires de l’Union européenne, les projets de défense commune doivent permettre à terme aux Européens de partager leurs plateformes d’armement (porte-avions, avions de transport, missiles) et leurs forces expéditionnaires. La crise économique aidant, l’Europe de la défense perd de plus en plus sa dimension symbolique liée à l’intégration politique du continent pour devenir une affaire de rationalisation budgétaire.

Si la crise économique qui sévit en Europe oblige les dirigeants militaires et industriels à faire preuve d’imagination budgétaire, quitte à briser les tabous nationalistes, les possibilités de rééquilibrer le partage du fardeau dans l’OTAN sont faibles. À l’origine de la division fortement inégale des tâches qui caractérise l’Alliance depuis ses débuts, on retrouve en effet deux facteurs structurels qui ne sont pas près de disparaître.

D’abord, les 28 alliés adhérent à des « cultures stratégiques » différentes : si la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Grèce et la Turquie se démarquent un peu des autres Européens en termes de dépenses militaires, c’est parce que leurs élites politiques partagent avec celles des Etats-Unis une vision nettement plus musclée de la sécurité internationale. À l’inverse, la Belgique, l’Espagne et les pays neutres adhèrent à une vision nettement plus réservée de l’usage de la force, alors que la plupart des pays d’Europe occidentale et orientale doivent réformer leurs forces armées en profondeur. Les réformes de Berlin visant à supprimer le service militaire pourraient faire de l’Allemagne un allié plus utile mais on ne s’attend pas à une transformation radicale de la « culture de la réticence » qui domine depuis la fondation de la République fédérale.

Mais surtout, les Européens savent que, peu importe ce qu’ils consacrent aux dépenses et aux opérations militaires, les États-Unis ne pourront pas réduire leur propre contribution à la défense de l’Occident, à moins d’admettre l’inéluctabilité de leur propre déclin. Que la France ou l’Allemagne augmentent ou diminuent leurs dépenses militaires, la défense collective reposera tout de même presque exclusivement sur les Américains. Ainsi, les alliés d’outre-Atlantique sont assurés d’une belle « rente d’alliance » qui les place sous la protection du Pentagone. Tant que Washington ne menace pas de se retirer de l’OTAN, sa position hégémonique continuera d’offrir des incitations élevées pour les autres pays à en profiter. Or le sommet de l’OTAN de Lisbonne est formel sur ce point : si les États-Unis continuent de financer l’essentiel des opérations intensives en capital de défense, la participation humaine en termes de soldats est devenue un enjeu crucial des opérations militaires de l’alliance. Il n’y a donc rien d’étonnant à voir les pays de l’OTAN converger vers une nouvelle doctrine stratégique qui individualise davantage les coûts pour un bénéfice toujours commun.