Pour une Caisse européenne d’amortissement de la dette edit

22 novembre 2011

Le sigle Facilité européenne de stabilité financière a en lui-même de quoi faire fuir le lecteur. Apposer ce sigle sur un titre obligataire serait-il néanmoins de nature à attirer l’investisseur ? On n’en prend guère le chemin. Il est vrai que la mouture actuelle du European Financial Stability Facility n’est guère encourageante. Ses tentatives de levée de fonds ont été jusqu’ici anecdotiques et ses efforts pour démultiplier sa capacité d’intervention dérapent en circonvolutions dignes de la saga des subprimes. Essayons d’être un peu plus ambitieux.

Il est désormais clair que la dette de l’ESSF ne peut pas être mieux considérée que celle du plus mauvais de ses garants, et c’est bien au demeurant la position des agences de notation. Or les instances européennes ne doivent absolument pas admettre que l’on puisse émettre au nom de l’Union européenne une dette qui ne soit pas considérée comme « sans risque ». La dette émise au nom d’un ensemble politique doit être de meilleure qualité que celle de chacune de ses collectivités publiques (ou de qualité au moins équivalente à la meilleure signature susceptible d’être rencontrée dans cet ensemble). Ainsi la Ville, voire l’État, de New-York doit pouvoir faire faillite sans que cela ne remette en cause la qualité de la signature des États-Unis. Il serait donc sain que Commission, Parlement, voire Conseil, s’opposent à ce que la FESF embarque la signature de l’Union européenne dans des montages opaques et risqués. Faut-il pour autant la reléguer au rayon des fausses bonnes idées et prier pour que la BCE finisse par accepter, volens nolens, de soutenir toutes les dettes des États de la zone euro ? N’y-t-il que cette alternative, sachant qu’il n’y a aucune raison pour que la BCE soutienne prioritairement les dettes les plus dégradées ?

Et si on commençait par considérer que la FESF devrait céder la place à une véritable « Caisse européenne d’amortissement de la dette » (ci après « la Caisse »). Les titres qu’elle émettrait auraient vocation à être pleinement européens et effectivement « sans risque », de sorte que personne n’aurait l’outrecuidance (pas même le président de la Bundesbank !) de s’opposer à ce que la BCE puisse intervenir sans limite sur ces titres. Pour cela, il suffirait que la Caisse émette des titres de l’Union européenne, a priori d’échéance longue, dont les intérêts, voire une fraction des amortissements, soient payés par une ressource fiscale pérenne, concédée par les États décidant de recourir à cette facilité. Pour bénéficier d’un taux d’intérêt « sans risque » (à des commissions près) sur leurs émissions nouvelles, les États en difficulté financière auraient avantage à décider « librement » de faire émettre la Caisse à la seule condition qu’ils s’engagent à lui affecter une partie de leur recettes fiscales souveraines, propres à couvrir les intérêts, voire une partie des amortissements. La difficulté consiste à convaincre les investisseurs de la pérennité de ces rentrées. Un prélèvement sur les recettes de TVA des États demandeurs paraît approprié, la TVA étant une ressource certaine et européenne par excellence. Par ce mécanisme, on parviendrait ainsi à faire émettre des Eurobonds, en minimisant l’aléa de moralité : passant sous les fourches caudines de la Caisse, les États en demande d’aide financière devraient eux-mêmes commencer par garantir le service de la dette européenne dont ils sont la cause sur la part la plus fiable de leurs rentrées fiscales. Le mécanisme n’est pas non plus dénué de valeur politique : le consommateur citoyen des États concernés confisquerait ainsi au profit d’une instance européenne des ressources qui n’iraient plus financer les frasques budgétaires de ses élus nationaux. Et ceci serait bénéfique pour lui, car au total la charge globale d’intérêt de l’Etat Membre sera plus faible. C’est beaucoup plus efficace et acceptable par les opinions publiques que toutes les pénalités que les pères fouettards européens peuvent imaginer.

Sur ces fondements assainis, on peut alors aller un peu plus loin. Ajoutons que la Caisse puisse en outre bénéficier d’un revenu complémentaire (un abondement en quelque sorte), calibré de façon à rémunérer des fonds levés pour couvrir les risques bancaires, aujourd’hui évidemment liés à ceux des dettes publiques. Il est urgent que l’Europe se dote d’un moyen d’intervenir financièrement dans les opérations de recapitalisation et de restructuration des banques. La fonction stabilisatrice de la BCE en sortirait renforcée. Avec la création de la Caisse, la BCE pourrait être plus officiellement et sereinement associée à la gestion des crises. D’une part, tout en pouvant intervenir sans limite sur les titres de la Caisse, elle pourrait aussi être autorisée à intervenir sur les titres des États Membres dans des limites précises (un faible pourcentage du PIB de chaque États Membres), au-delà desquelles le recours à la Caisse deviendrait inévitable. D’autre part, elle pourrait, au nom de l’Eurosystème, requérir une intervention de la Caisse sur les banques qui se reposent trop lourdement sur sa fonction de prêteur en dernier ressort. Là encore, ce mécanisme n’est pas dénué de vertu politique : alors que les États Membres se font les premiers avocats de « leurs » banques, la BCE aurait les moyens de faire évoquer les situations bancaires problématiques par la Caisse, instance européenne dûment mandatée et dotée de moyens propres d’intervention. Qui peut douter qu’il s’en suivrait une saine émulation avec les États Membres ? Comment calibrer et collecter l’abondement nécessaire ? On peut bien sûr ajouter une marge aux recettes de TVA tirées des États ayant recours aux émissions de la Caisse. Mais comme les errements bancaires ne leurs sont pas tous imputables, et que l’esprit communautaire doit quand même souffler un peu, il serait normal de faire cotiser l’ensemble des États Membres au titre de l’abondement.

Peut-on aller encore plus loin ? Une fois créée, la Caisse pourra aussi être appelée à financer les programmes d’ « ajustement structurel », de « modernisation », de « compétitivité », ou de « productivité » que l’Union voudra imposer aux États en stress. Elle pourra aussi émettre des Eurobonds garantis par la pré affectation de recettes fiscales concédées à l’Union par les États Membres bénéficiaires, voire les autres États membres soucieux de ne pas voir s’effondrer l’économie d’un voisin avec lequel il font une grosse partie de leur commerce. L’Europe pourrait ainsi ajouter une dimension moins punitive à ses plans de sortie de crise.

Finalement, au terme de ce processus, personne ne sera dupe. Ce dont il s’agit ici, c’est de la création, sur des bases assainies, d’un embryon de Trésor européen. C’est exactement un schéma de ce type qu’il faut proposer à nos amis allemands, qui prétendent vouloir régler le problème par une avancée fédérale. C’est le seul moyen de parvenir à l’émission d’Eurobonds de façon crédible, sans aléa de moralité, et sans pour autant se montrer mauvais camarade ni traumatiser les opinions publiques. Ensuite, il faudra parler de la collecte de la TVA. Mais chaque chose en son temps.