Plan Fillon : triple A ou triple 0 edit

8 novembre 2011

Le deuxième plan d’austérité est un contresens économique dramatique. Tout le monde à Paris semble convaincu que c’est le prix à payer pour éviter de perdre le AAA. C’est en fait le meilleur moyen d’y arriver. D’ailleurs les marchés n’ont pas réduit les primes de risques sur la dette française après l’annonce de ce plan.

Nul n’ignore que la situation économique se détériore en France et en Europe, et même aux États-Unis. Ce n’est pas surprenant. Depuis deux ans, chaque jour on entend parler de la crise de la zone euro et on voit bien que les choses ne s’arrangent pas. Les consommateurs sont effrayés, et ils coupent dans les dépenses. C’est logique et prévisible. Dans un monde rationnel, le gouvernement ferait tout ce qu’il peut pour réconforter les consommateurs et éviter la spirale récession-chômage qui se met en place sous nos yeux. Et bien non, le gouvernement fait exactement l’inverse, ils accroît la pression fiscale. On peut d’ores et déjà voir la suite : par rapport aux prévisions, la récession sera plus dure, les rentrées fiscales seront plus basses, les dépenses publiques (allocations de chômage et aides diverses) seront plus élevées et le déficit ne va pas diminuer, bien au contraire. Au revoir le AAA !

En fait, c’est le scénario le plus optimiste que l’on puisse faire. Le plus probable inclut une restructuration de dette involontaire et profondément désordonnée de la Grèce, puis du Portugal et de l’Italie, et nous aurons de la chance si l’Espagne ne s’ajoute pas à cette liste. Étant donnée l’exposition des banques françaises à ces pays, nombre d’entre elles, et pas les plus petites, vont alors se retrouver en faillite et le gouvernement devra alors les remettre à flot. Mais avec quel argent ? Au revoir le AAA !

La logique dominante du moment, à droite comme à gauche, est en contradiction parfaite avec cette analyse. Elle part d’une prémisse : il faut sauver le triple AAA. Il faut donc montrer aux marchés financiers – et donc aux agences de notation – que nous sommes des purs et durs, presque des Allemands. Alors on va couper dans les dépenses et augmenter les impôts. Simple et apparemment parfaitement convaincant. D’ailleurs, tout le monde fait pareil en Europe. Tout ceci est effroyablement à très courte vue. Ce contresens collectif est le miroir des erreurs commises dans la gestion de la crise des dettes publiques dans la zone euro. La preuve est en Grèce. On exige d’elle une austérité exemplaire et le PIB baisse tous les jours, empêchant toute amélioration des comptes publics. Alors on lui en redemande plus. Qui peut alors s’étonner de la panique politique et du gigantesque ras-le-bol qui s’empare de la population à qui on demande des sacrifices qui ne font qu’aggraver la situation. Le même scénario est en cours au Portugal et en Espagne. Français, préparez vous à prendre la relève.

Il aurait fallu faire l’exact contraire, à la fois pour éviter la récession et pour rassurer les marchés financiers. Les marchés comprennent parfaitement qu’une récession est mauvaise pour le chômage et pour l’équilibre budgétaire. Ils espèrent donc une reprise économique et donc que le gouvernement remonte le moral des ménages en réduisant la pression fiscale. Ils sont évidemment inquiets de la montée de la dette publique mais ils comprennent que ce n’est pas l’urgence du moment. Ce qu’ils veulent, ce sont des garanties solides que les déficits disparaîtront dès la reprise venue. C’est donc une action à double détente qui est indispensable pour éviter la catastrophe. Relance aujourd’hui, rigueur ensuite, pendant des années, en réalité pendant des décennies.

Comment promettre de manière crédible la rigueur sur trente ans tout en creusant le déficit aujourd’hui ? C’est beaucoup moins compliqué que ça ne paraît, mais à parfait contre-courant de la pensée dominante. Le point de départ est de se doter d’une législation anti-déficit robuste. Pas la funeste règle d’or qui est si complexe qu’elle est en deviendrait facilement manipulable, mais, par exemple, la règle allemande. D’ailleurs le sommet européen de la fin octobre prévoit que ce devrait être une obligation, mais qui en a parlé en France ? Personne, car la classe politique ne veut pas se lier mes mains. Or le seul objectif d’une règle budgétaire est de lier les mains de manière permanente à la classe politique qui n’a pas su atteindre l’équilibre budgétaire depuis 1974.

D’autres mesures sont également désirables. Par exemple, le gouvernement veut avancer d’un an le passage à la retraite à 62 ans. C’est bien mais dérisoire. Bien parce que les déficits futurs ne seront pas contenus sans un allongement progressif et continu (parce que la durée de vie moyenne augmente continuellement) de l’âge de départ effectif à la retraite. Dérisoire, parce qu’on exige des Grecs qu’ils passent à 65 ans et que la plupart des pays européens en sont à 67 ans. Une telle mesure n’est pas contractionniste (au contraire) mais de nature à rassurer les marchés financiers, qui verraient d’un bon œil de nombreuses autres mesures, par exemple parmi celles imposées aux Grecs.

Tout aussi important est de préparer la France au choc à venir. On parle de recapitaliser les banques françaises d’ici à juin 2012. Mais même si rien ne se passe d’ici là, des défauts importants sont hautement probables. La recapitalisation demandée ne suffira pas, et de loin, à absorber des remises de dettes pour la Grèce, le Portugal et l’Italie, et le gouvernement n’aura pas le moyens de remettre ses banques à flot. Même si l’on veut rester optimiste, il est essentiel de se préparer au pire. Cela signifie un toilettage en profondeur des banques françaises. Elles n’en veulent pas bien sûr, mais comment font-elles pour que la classe politique dans son ensemble feigne d’ignorer le risque majeur encouru par la France ?

La poursuite de la politique d’austérité va à l’encontre de ce que les marchés financiers réclament : un retour rapide de la croissance. Le refus de prendre des engagements budgétaires permanents est exactement ce qui inquiète les marchés. Le risque d’effondrement des banques va peser de plus en plus lourdement sur la notation de la France. La perte du AAA est en train de devenir inéluctable.