Le Fonds sans Rato edit

3 juillet 2007

Dans les heures qui ont suivi la démission surprise de Rodrigo de Rato, experts et officiels ont commencé à spéculer sur son successeur à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Comme la coutume veut que la présidence revienne à un Européen, la seule question semble être s'il (car il est peu probable que ce soit une femme) sera britannique ou français. Cependant, l'héritage de Rato pose des problèmes plus importants pour le FMI... et pour l'Europe.

Quand Rato est entré en fonction en 2004, la mission principale du FMI était indiscutablement la prévention et la résolution des crise financières dans les pays en voie de développement. Des crises asiatiques de 1997-98 à la débâcle argentine de 2002, le Fonds s’était dépensé sans compter pour secourir des pays en crise et le aider à restructurer leur dette, et les principaux débats quant à son rôle avaient porté sur l’opportunité de le transformer en une sorte de tribunal pour le règlement des défaillances financières d’Etats souverains, comme l’avait proposé en 2001 la future déléguée générale de Rato, Anne Krueger.

Au cours de son mandat, Rato a dû traiter des problèmes très différents. Il n'y a pas eu de crise financière significative dans les années récentes ; bien au contraire, de nombreux pays – à commencer par l’Argentine – ont remboursé leur dette, à telle enseigne que le FMI a dû commencer à chercher des ressources alternatives pour faire fructifier ses fonds. Il a dû se chercher de nouvelles missions et il a affirmé son intérêt pour la macroéconomie globale. L'an dernier, il accueillait ainsi des consultations entre les Etats-Unis, la zoner euro, la Chine, le Japon, et l’Arabie saoudite.

Il y a quelques jours, il a annoncé la première réforme depuis trente ans de sa surveillance des politiques des pays membres. Cette révision prévoit d’évaluer la « stabilité externe » (un concept nouveau et large signifiant que la balance des paiements ne risque pas de provoquer des ajustements disruptifs des taux de change) et de déterminer si les pays membres tentent de manipuler le cours de leurs monnaies, particulièrement « dans le but de maintenir un taux de change sous-évalué » afin « d’augmenter leurs exportations nettes ».

Traduction : le gouvernement américain a demandé au FMI de s’impliquer sérieusement dans la discussion sur le taux de change du renminbi, de dire aux Chinois que le moment est venu de laisser leur devise s’apprécier et, si Beijing ne cède pas à la pression, de déclarer officiellement que cette devise est manipulée.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Depuis plusieurs années, le Trésor américain tente – largement en vain – de persuader Beijing d’accepter une appréciation significative du renminbi et de passer à un régime de taux de change flottant. En décembre 2006, le Président de la Fed Ben Bernanke a suggéré que l'intervention de la banque centrale chinoise dans le cours de change équivalait à une subvention de ses exportations. Et aujourd’hui, le Congrès se montre de plus en plus réceptif aux propositions de lancer des représailles contre ce que Washington considère comme une manipulation du cours de la monnaie chinoise.

Pour les Etats-Unis, une intervention du FMI aurait plusieurs avantages. Dans la gestion de son différend avec Beijing, Washington oscille entre la fermeté et le désir de ne pas nuire à ce que Henry Paulson, Secrétaire au Trésor, a appelé « la relation économique la plus importante » pour les Etats-Unis. Le Fonds monétaire n’est pas partie prenante à ce différend et peut donc être considéré comme un organisme faisant autorité. Dores et déjà, il a accueilli des « consultations multilatérales » entre Etats-Unis, Chine, Japon, zone euro et Arabie saoudite sur les déséquilibres globaux. Par ailleurs, le FMI a un réel pouvoir, car s’il déclarait que la devise chinoise était manipulée, cela ouvrirait la voie à une plainte auprès de l'Organisation mondiale du commerce. Les accords du GATT prévoient en effet que les pays signataires « s'abstiendront de toute mesure de change qui irait à l'encontre de l'objectif des dispositions [du GATT] ».

D'un point de vue global, une surveillance plus ferme des politiques des Etats aurait également des avantages. Un « ajustement désordonné » des déséquilibres internationaux (pour employer l’euphémisme standard) impliquerait des risques économiques et commerciaux significatifs. Il est sage de s'assurer que la première institution financière du monde est suffisamment équipée pour traiter des thèmes de taux de change tant au niveau multilatéral que vis-à-vis de certains pays en particulier.

Enfin, pour un FMI dont le personnel est au chômage technique et dont les ressources diminuent par manque de crises financières, c’est typiquement le genre d’impulsion nouvelle dont il avait besoin. Mais le défi à relever n'est pas négligeable, pour deux raisons.

D'une part le Fonds devra, sinon dire explicitement, du moins laisser entendre ce que serait un taux de change approprié pour la devise chinoise. C’est une affaire politiquement risquée, et il y aura nécessité de persuader le gouvernement chinois que ce changement est dans le propre intérêt de la Chine. Mais c'est également risqué techniquement : les évaluations d’un taux de change équilibré du renminbi sont notoirement imprécises, comme cela a été reconnu par les chercheurs du Fonds.

En second lieu, l’Asie demeure suspicieuse. Au moment de la crise de 1997-1998, celui-ci avait été perçu dans la région comme un instrument des Etats-Unis et des Européens. A l’époque, il avait même été question de créer un « Fonds monétaire asiatique » - une idée que Washington s’est empressé de tuer. Perçu comme une institution dominée par l’Amérique et l’Europe, le FMI risque d'être considéré comme illégitime. Déjà, la banque centrale de Chine a émis des réserves quant à la décision récente et a appelé à un renforcement « de la surveillance politique sur les membres qui possèdent la plus grande réserve de devise » - autrement dit, les Etats-Unis. Une intervention biaisée en faveur des intérêts des Etats-Unis ne manquerait pas de provoquer de vives réactions dans la région.

C'est là qu’il y a un enjeu pour les Européens dans ce débat. Du point de vue des Etats-Unis, une manière de convaincre les Chinois et d'autres pays émergents que cette évolution n'est pas dirigée contre eux serait d'augmenter le nombre de leurs sièges au Conseil du FMI, aux dépens de l'Europe. La réforme des droits de votes est à l’ordre du jour et tout le monde sait que le but du jeu est de réduire le poids de l’Europe au bénéfice des pays en développement et des pays émergents – ce que les Européens s’efforcent désespérément de retarder. Pour l'Europe, une intervention du FMI sur la question du renminbi pourrait donc provoquer des dommages collatéraux.

Ceci ne devrait pas conduire l'UE à plonger sa tête dans le sable (il est trop tard de toute façons). Elle a, elle aussi, quelque chose à gagner à un ajustement du renminbi et à un FMI plus légitime, capable d’éviter que des divergences sur le change dégénèrent en différends commerciaux. Elle devrait plutôt insister sur le fait que la hantise des Etats-Unis envers la Chine est excessive et que s'il est juste de pousser à une réévaluation du renminbi, le Japon détient la clef de l’ajustement des devises asiatiques. Par ailleurs, elle devrait penser sérieusement à la consolidation des sièges européens au Conseil d’administration du FMI et à la possibilité d’échanger un peu du vaste pouvoir qu’il détient nominalement contre un peu plus d’influence réelle. Enfin, s’ils veulent conserver leur privilège, les Européens devraient profiter de l’occasion pour trouver le meilleur candidat possible à la succession de Rato et, au lieu de se livrer à des tractations discrètes entre diplomates, mettre en place un processus de sélection approprié et transparent.