Grèce : les bonnes intentions suffiront-elles ? edit

29 mars 2010

Les gouvernements européens ont enfin accordé leurs violons pour établir un plan de soutien à la Grèce, allant même jusqu’à y associer le FMI malgré la réticence de plusieurs pays. La crise est-elle donc passée et pouvons-nous souffler ? Rien n’est moins sûr, car le plan demeure bien vague. Quelles sont ses faiblesses ?

Avant d’évaluer le plan, il convient de se pencher sur la nature du problème. Bien que la Grèce ne fasse pas face à une attaque spéculative sur sa propre monnaie, comme elle est membre de la zone euro, les pressions sur sa dette publique ne sont pas sans rappeler les crises de taux de change familières aux économistes. Les travaux de recherche sur ces crises ont montré deux points. Tout d’abord, lorsque les politiques économiques d’un pays ne sont pas en accord (comme c’est le cas lorsque la banque centrale veut soutenir le taux de change tout en finançant les déficits publics), la situation s’avère insoutenable et le changement (comme le passage à un change flexible), lorsqu’il survient inéluctablement, se produit de manière abrupte. Les économistes ont montré que cette cassure entre une période relativement calme et une crise, loin d’être un symptôme d’irrationalité des marchés, est en fait un aspect inévitable car si les investisseurs patientaient jusqu’à ce qu’une transition douce se produise entre deux régimes, ils en feraient les frais.

La seconde leçon des analyses économiques et qu’un pays dont les politiques économiques sont cohérentes peut connaître une crise ou non selon l’humeur des marchés. Considérons le cas d’un pays fortement endetté. Si les marchés font confiance au sérieux des autorités, ils considèrent que le pays ne fera pas défaut. Ils ne demandent alors qu’un taux d’intérêt raisonnable et supportable par le pays. Les marchés pourraient toutefois changer d’avis et s’attendre à un défaut. Dans ce cas ils demandent une prime de risque, et le niveau élevé des taux force les autorités à choisir entre des coupes budgétaires douloureuses, ou un défaut. La seconde option validerait alors le changement d’humeur des investisseurs.

Si cette possibilité de sautes d’humeur des marchés semble plutôt arbitraire, elle n’est pas déconnectée de la situation fondamentale du pays. Un pays très endetté n’a que peu de chances que les marchés lui accordent sa confiance et ira donc vers une crise. En revanche, un pays à la dette modérée peut se permettre de payer un taux d’intérêt élevé en cas de saute d’humeur des investisseurs, et ces derniers réalisant cette capacité seront peu enclins à perdre confiance. La situation la plus incertaine est celles des pays dans une zone grise, où la dette est suffisamment faible pour ne pas conduire inéluctablement à la crise, mais suffisamment élevée pour mettre le pays à la merci de la confiance des investisseurs.

Or si la situation des finances publiques grecques est préoccupante, elle l’est aussi dans la plupart des pays industrialisés vu les efforts de relance budgétaires durant la crise. La pression subie par la Grèce comporte alors un élément d’arbitraire tel que décrit ci-dessus. Dans ce cas, il « suffirait » de rassurer les investisseurs pour diminuer la pression sur Athènes.

Le plan européen s’inscrit dans cette logique. Les gouvernements se sont engagés à intervenir si la Grèce ne parvenait plus à se financer sur les marchés, ou seulement à des taux prohibitifs. Cette intervention prendrait la forme de prêts gouvernementaux à des taux « non subventionnés ». Les efforts des États européens seraient substantiellement appuyés par le FMI. Le plan vise donc à montrer aux marchés qu’Athènes dispose d’une deuxième ligne de défense lui permettant de faire face à une montée des taux. Pour reprendre les mots d’un officiel français le mécanisme s’apparente à la dissuasion nucléaire dont la seule présence assure que l’on n’ait pas besoin de s’en servir.

Toutefois, le plan se résume pour l’instant à des intentions et bien des éléments concrets manquent. Comme la dissuasion nucléaire est rendue crédible par la présence continue de sous-marins lanceurs d’engins en mer, la crédibilité du plan demande que des informations plus détaillées soient fournies. Les montants concernés n’ont pas été indiqués. Les marchés peuvent alors être tentés de tester la volonté des gouvernements européens, déjà bien endettés, à allouer des montants substantiels au soutien à la Grèce.

L’absence de taux d’intérêts subventionnés prête aussi à confusion. Si Athènes ne peut se financer auprès des marchés qu’à des taux prohibitifs, les prêts accordés par les autres états le seront à des taux moindres. Qu’entends-t-on alors par taux non-subventionnés ? À l’évidence cela ne veut pas dire que l’aide européenne se fera au taux du marché (dans ce cas, on verrait mal la finalité de l’exercice), mais plutôt que le taux appliqué sera un taux « normal ». Toutefois, le flou règne sur le niveau de ce taux.

Si l’implication du FMI est un développement positif, étant donné son expertise et son indépendance, des questions demeurent quand à son rôle. Si les prêts sont assortis de conditions quand au redressement des finances grecques, ce qui sera vraisemblablement le cas, qui décidera par la suite si ces conditions sont effectivement remplies, et quelles seraient les sanctions si ce n’était pas le cas ? Si la décision repose parmi les gouvernements européens plutôt qu’au FMI, on peut craindre que ceux-ci se montrent peu enclins à la sévérité de peur de mettre la zone euro sous pression.

Les efforts des gouvernements européens sont épaulés par la Banque centrale européenne. Alors que celle-ci prévoyait de relever ses exigences pour la qualité des titres que les banques peuvent utiliser comme garanties lorsqu’elles empruntent auprès de la BCE, elle a décidé de différer cet ajustement. Ce changement est bienvenu pour les banques européennes (et pas seulement grecques) détenant de la dette publique grecque, car celle-ci risquait bien de ne pas satisfaire à des exigences plus strictes. Toutefois, cela représente un certain revirement par rapport aux plans antérieurs de la BCE, et implique un risque que la BCE ne se résoudrait pas dans le futur à maintenir des critères de qualité du collatéral qu’elle accepte lorsque ceux-ci représentent un problème pour certaines banques de la zone euro.

Le plan européen demeure donc ambigu. L’intention d’Athènes de faire appel aux marchés dans les jours à venir pourrait bien forcer les autorités à en clarifier les contours.