Europe : l’heure de vérité ? edit

29 novembre 2011

C’est entendu, l’Union européenne ne fonctionne pas et il faut la réformer. Mais si on veut prendre au sérieux cette proposition, on ne peut plus se contenter de formules ambigües qui permettent de ne pas choisir, comme « gouvernement économique » ou « fédération d’États nations »… Il ne s’agit plus de trouver des mots mais bien de se poser la seule question qui vaille : quelle souveraineté est-on prêt à abandonner à l’Europe ? Avec en corolaire, la question de savoir quel mécanisme de contrôle démocratique permettra de justifier ces transferts de souveraineté.

Un contrôle budgétaire accru au niveau européen signifie a priori un nouveau transfert de souveraineté. Le Traité ayant intégré le pacte de stabilité (Titre VIII et protocoles 12 à 18), tout est théoriquement en place pour garantir son respect. L’article 126 sur la procédure pour déficits excessifs est même un des plus longs du Traité. Les mécanismes sont donc bien là – et pas seulement depuis le Traité de Lisbonne - mais ils ne sont pas efficaces. La raison en est simple : les décisions sont entre les mains du Conseil, c'est-à-dire qu’elles dépendent des gouvernements nationaux. Même si le Conseil statue sur ces questions à la majorité qualifiée, les États membres préfèrent négocier plutôt que d’engager des procédures contre l’un des leurs. Pour faire respecter le droit de l’Union, la Commission dispose de la possibilité de saisir la Cour de Justice (procédure de l’article 258 du Traité) pour tous les domaines… sauf pour ce qui relève des questions de discipline budgétaire. Il faut donc faire un pas de plus ou renoncer à l’intégration européenne.

À ce stade les positions françaises et allemandes partent d’approches diamétralement opposées : d’un côté une Europe plus fédérale pour l’Allemagne et de l’autre une Europe fondamentalement intergouvernementale pour la France.

Ces deux visions sont d’abord portées par des traditions nationales. La France forte de son régime présidentiel ne croit pas aux assemblées délibérantes. La faiblesse du parlementarisme national se traduit sur le plan européen. À l’inverse son président est parfaitement à l’aise dans les sommets de chefs d’État et ne court jamais le risque de rébellion de sa majorité en rentrant à la maison. L’Allemagne est en revanche gouvernée par un Parlement dont le rôle a été rappelé par la Cour constitutionnelle allemande à la fois lors de l’adoption du Traité de Lisbonne mais également lorsqu’il a fallu entériner les décisions prises cet été pour le renforcement de la zone euro. Situation étrange pour un français qu’une chancelière devant rendre des comptes à sa majorité ! Ajoutons que l’Allemagne est elle-même une fédération alors que la France ne se conçoit que comme une République indivisible selon l’article 1 de sa Constitution.

Ces divergences sont profondes. Comment se traduisent-elles dans les esquisses de propositions qui sont présentées alors qu’il est clair que l’Allemagne est en position de force quand la France espérant sauver sa note AAA ne peut fanfaronner ? La position allemande part du constat que le pacte de stabilité ne pourra fonctionner que si de véritables mécanismes de sanctions sont en place. Le rappel par la Chancelière du rôle joué par le nouveau Président du Conseil italien Mario Monti lorsqu’il était en charge des questions de concurrence renvoie explicitement aux procédures de droit commun pour le droit de l’Union : la Commission saisirait la Cour de Justice en cas de non-respect des règles budgétaires.

Il semble que la France souhaiterait maintenir un rôle prépondérant pour le Conseil et garder une certaine maîtrise du processus de sanction. Il est cependant difficile d’imaginer comment on peut à la fois renforcer le mécanisme de sanction et ne pas abandonner de la souveraineté budgétaire. Il s’agirait alors de développer non pas un renforcement de l’Union européenne mais bien plutôt une nouvelle approche intergouvernementale. On s’éloigne bien de l’Union telle qu’elle a été conçue depuis les années 50. On voit mal ce que cette option pourrait apporter à la complexe architecture d’aujourd’hui. Il s’agirait d’éviter une trop forte intégration budgétaire européenne ; on en resterait probablement à une coordination minimale en espérant qu’une fois trouvées des solutions techniques permettant de passer la crise actuelle, cette coordination suffira. Sur le plus long terme, on voit en revanche se dessiner les prémices d’un délitement de l’Union : pas d’Europe politique donc peu de chance de voir se développer les politiques européennes qui aujourd’hui font défaut.

L’hypothèse fédéraliste suppose de reprendre le fil de l’histoire européenne interrompu par l’échec du Traité constitutionnel. La proposition de faire de la Commission le bras armé de l’orthodoxie budgétaire doit nécessairement s’accompagner d’un renforcement de la légitimité démocratique de l’Union. En effet, un pouvoir de sanction purement technocratique se verrait – à juste raison - rapidement contesté. Il faut donc franchir le Rubicon et prendre le risque d’une intégration européenne plus forte. A cet égard deux pistes méritent d’être considérées. La première est portée par Wolfgang Schaüble et suggère d’élire le Président de la Commission au suffrage universel. C’est assurément une manière à la fois de garantir une solide légitimité européenne mais aussi d’obliger les partis politiques nationaux à s’accorder au plan européen. L’autre option consiste - comme le propose par exemple Jean-Louis Bourlanges - de légitimer les choix budgétaires européens par une assemblée constituée des commissions budgétaires des parlements nationaux. Dans les deux cas, le modèle français doit s’adapter et s’orienter vers plus de parlementarisme. Les risques politiques sont clairs et on ne peut pas exclure que les peuples européens refusent d’entrer plus avant dans ce modèle fédéral.

Le débat est engagé en Allemagne avec des propositions ambitieuses. Pour l’instant la France semble bien timide et il est plus que temps que des initiatives soient prises. C’est le moment de faire un choix clair entre une Europe politique et plus intégrée et une Europe intergouvernementale.