Fin de partie edit

Feb. 22, 2019

What do we want? We don’t know!
When do we want it? Before March 29th!
Will we get it? We don’t know!
Oh merde alors!

Tels sont les slogans que pourraient entonner les Britanniques, s’ils décidaient de descendre dans les rues, à la manière des Gilets jaunes, sur le thème du Brexit. C’est aussi ce que pourraient chanter les députés, moins de 40 jours avant que le pays ne doive quitter l’UE. Il est encore impossible de dire clairement comment le processus du Brexit se déroulera, s’il se déroulera dans les temps ou si l’on verra des prolongations.

Le gouvernement conservateur continue de tergiverser sur ce qu’il cherchera précisément à obtenir en ce qui concerne les « alternative arrangements » sur lesquels le Parlement a voté de justesse il y a trois semaines, bien qu’aucune majorité ne se dégage en faveur d’une sortie sans accord. Cette victoire étroite pour le gouvernement a été remportée avec le soutien de certains rebelles travaillistes qui ont voté contre les instructions de leur parti, ainsi que celui des députés du Northern Irish Democratic Unionist Party (DUP, parti unioniste d’Irlande du Nord), dont le gouvernement dépend depuis les élections générales de 2017. D’autres propositions n’ont pas obtenu la majorité, y compris une motion multipartite visant à obtenir une prolongation du délai prévu à l’article 50.

Au Parlement le Parti conservateur est plus divisé que jamais, malgré certaines tentatives pour rapprocher les factions. Les hard brexiteers ne savent toujours pas très bien dans quelle mesure ils soutiendraient un accord, même en supposant qu’un tel accord permettrait de résoudre le problème du filet de sécurité irlandais, le fameux basckstop. Un grand nombre de parlementaires favorables au remain continuent à espérer un Brexit plus doux qu’il ne paraît possible. Le processus a rouvert au sein du parti des fractures qui existent depuis l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE et qu’il faudra des années pour ressouder, même si un résultat vaguement satisfaisant est obtenu.

La situation n’est pas plus brillante dans les autres partis. Le dirigeant travailliste, Jeremy Corbyn, a enfin cessé de faire l’autruche pour offrir à Theresa May le soutien de son parti en faveur d’un accord si elle acceptait un Brexit plus souple impliquant une union douanière et un accès au marché unique, ainsi qu’une législation pour protéger les droits des travailleurs et l’environnement. L’offre a immédiatement suscité l’opposition d’une partie des parlementaires travaillistes et des militants et responsables du Labour. Au sein du Parlement, une majorité de députés travaillistes reste favorable au remain, bien que nombre d’entre eux représentent des circonscriptions qui ont voté massivement pour le Brexit. Ils sont nombreux à craindre de perdre leur siège aux prochaines élections générales. À l’extérieur du Parlement, les membres du Labour sont également divisés. Il y a ceux qui n’accepteront pas que les parlementaires travaillistes votent en faveur d’un gouvernement conservateur, et d’autres qui continuent de souhaiter un deuxième référendum, même si cela semble maintenant moins probable qu’il y a quelques semaines. La presse suggère que le parti a perdu des membres en raison de sa position – ou de l’absence d’une position – sur le Brexit…

Le Democratic Unionist Party a clairement indiqué que son soutien à un éventuel nouvel accord dépendrait de la suppression du backstop… alors même que Mme May a reconnu publiquement lors d’une visite en Irlande du Nord (et aussi à Bruxelles) qu’il y aurait bien un filet de sécurité. Il est difficile de voir leur soutien se poursuivre sans une modification substantielle du backstop, même s’ils pourraient se laisser fléchir par une aide financière accrue à la province. Entre-temps, la législature décentralisée du Pays de Galles et de l’Écosse continue à être ignorée, tout comme d’autres partis comme les libéraux démocrates, malgré les tasses de thé qu’ils continuent à prendre à Downing Street avec le Premier ministre.

La stratégie de Mme May semble toujours consister à réduire le temps d’attente jusqu’au jour du Brexit dans l’espoir qu’une majorité de députés finissent par paniquer et se rallier à l’accord qu’elle a négocié avec les Européens plutôt que d’accepter une sortie sans accord.

Cette stratégie est renforcée par les tentatives de maintenir son parti uni tout en gagnant à sa cause certains députés travaillistes en offrant une aide financière aux circonscriptions économiquement défavorisées. Enfin, retarder davantage un vote significatif sur toute proposition qu’elle cherche à soumettre au Parlement contribue également à réduire l’éventail des choix.

Du point de vue de l’UE et de ses 27 autres membres, tout cela doit être exaspérant. L’UE semble disposée à examiner les nouvelles propositions de la Grande-Bretagne (Mais dites-nous précisément ce que vous voulez!), tout en indiquant que l’accord de retrait n’est pas ouvert à la renégociation et que les États-membres continuent à manifester leur solidarité avec le gouvernement irlandais sur le backstop. Cette exaspération a débordé chez Donald Tusk qui se demandait s’il y avait une "place spéciale en enfer pour ceux qui proposaient le Brexit sans aucune idée claire de la façon d’y parvenir", avec un commentaire de Jean-Claude Juncker notant que l’enfer est son travail quotidien. Les remarques de Tusk ont provoqué une vague de sentiment anti-UE parmi les Brexiteers, qui l'ont accusé d’être grossier et inutile. C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité, puisque les mêmes Brexiteers ont comparé l’UE à une bande de nazis ! En public, la réception de Mme May à Bruxelles pour rendre compte des demandes britanniques – arrangements alternatifs non spécifiés au backstop (?) ; un délai pour le backstop (?), ou la possibilité d’abandonner le backstop unilatéralement (?) – a été décidément glaciale, sans que des négociations soient en vue immédiatement.

On ne saurait minimiser l’incertitude qui règne désormais des deux côtés de la Manche (et ailleurs) avec ce manque de clarté et de progrès sur le Brexit. Un « No Deal » sera désastreux pour le Royaume-Uni et causera des difficultés au sein de l’UE, malgré tous les préparatifs en cours pour éviter un tel événement. Des entreprises comme Jaguar/Land Rover, Ford et Nissan décident de délocaliser leur production ou procèdent déjà à des licenciements. Les entreprises financières délocalisent leurs activités et leurs bureaux dans d'autres pays de l’UE. Le service national de santé et les universités ont du mal à retenir et à attirer leur personnel européen. Et si aucun accord n’est conclu, les denrées alimentaires pourriront dans les ports de la Manche ; les constructeurs automobiles perdront leur approvisionnement de pièces détachées en flux tendu, tandis que les exportations britanniques vers des régions éloignées du monde pourraient être confrontées à une augmentation des tarifs si elles arrivent après le 29 mars, même si elles ont quitté le Royaume-Uni bien avant cette date. Il y a enfin toutes les conséquences pour ceux, nombreux, qui ont un pied de chaque côté du Channel. Sur le plan personnel, mes enfants et petits-enfants basés en France cherchent à régulariser leur statut dans le pays où ils ont vécu, ont travaillé ou sont nés depuis plus de dix ans, tandis que je pars à la recherche d’un permis de conduire international de 1968 pour pouvoir conduire en France et continuer à visiter ma famille ! « Oh, s’écriait jadis Walter Scott, what a tangled web we weave »…