Traité simplifié, 4. La place des services publics edit

4 juillet 2007

Le mandat de la prochaine conférence intergouvernementale présente deux avancées majeures pour ce que l'on appelle, dans le jargon communautaire, les « services d’intérêt (économique) général » (SIG/SIEG).


La première de ces avancées est la confirmation du texte de l’actuel article 16 du traité CE, dans sa formulation amendée par le traité constitutionnel. Rappelons que cette disposition, qui a vu le jour avec le traité d’Amsterdam en 1997, souligne l’importance des SIEG « parmi les valeurs communes de l’Union », notamment pour leur contribution à la cohésion sociale et territoriale et énonce surtout une responsabilité partagée des Etats membres et de la Communauté européenne pour veiller au bon fonctionnement de ces services, notamment au regard des principes d’égalité de traitement, de qualité et de continuité (dans le respect de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, comme le souligne la déclaration n°13 annexée au traité d’Amsterdam). Pour autant, cette disposition est restée cantonnée à la déclaration de principe et n’a pas été considérée par la Commission, notamment, comme une base juridique solide pour légiférer de manière horizontale dans la sphère des SIEG.

Pour pallier cette difficulté, le traité constitutionnel (article III-122) entendait modifier l’article 16 en prévoyant qu’une « loi européenne » devait être adoptée pour fixer les principes et les conditions dans lesquelles le bon fonctionnement des SIEG devait être garanti dans l’ensemble du marché intérieur. Cet ajout serait donc repris en tant que tel dans le traité simplifié, étant précisé que l’appellation « loi européenne » (pourtant plus claire et plus compréhensible) serait abandonnée pour maintenir celle de règlement européen. Pour notre part, la référence à la directive nous paraîtrait plus pertinente, en vue de laisser aux Etats membres une marge de manœuvre qui tienne compte de la diversité des situations nationales. C’est d’ailleurs en ce sens que le groupe PSE du Parlement européen, appuyé par le groupe des Verts, avait plaidé pour une directive-cadre en ce domaine (voir sa proposition de texte remise au président de la Commission européenne en mai 2006).

Il convient d’ailleurs d’ajouter, dans ce sens, que sera également préservée la référence formulée dans l’article III-122 à la réserve de compétence des Etats membres pour définir, organiser et financer leurs services publics. Cette délimitation des compétences respectives de la Communauté européenne et des Etats membres est par ailleurs confirmée dans un nouvel instrument juridique, sous forme d’un protocole.

C’est la seconde avancée significative du Sommet de Bruxelles, que l’on doit aux Pays-Bas, traumatisés par le bras de fer qu’ils avaient eu avec la Commission en 2005 à propos du financement de leurs coopératives de logement social. Ce Protocole sur les SIG est présenté comme un document interprétatif mais qui, devant être annexé à la fois au traité sur l’UE et au traité sur le fonctionnement de l’UE, aura la même valeur juridique que ces derniers. Le fait qu’il sera ainsi annexé au traité sur l’UE, lequel regroupera finalement les grands principes constitutionnels (qu’on le veuille ou non) alors que la référence au principe de la concurrence y disparaîtra (pour n’être maintenu que dans le traité sur le fonctionnement qui lui est en quelque sorte subordonné) ouvre clairement la voie à un rééquilibrage des objectifs de la construction européenne, voire à une prise ascendante des SIG sur l’objectif de concurrence.

Le Protocole comporte deux articles. Le premier de ces articles se préoccupe des SIEG. Il réaffirme le mandat politique de l’article 16 du traité CE tout en se montrant plus précis pour détailler le contenu des valeurs communes de l’UE qui sont associées aux SIEG : respect de la diversité nationale et locale, notamment dans la fourniture et l’organisation de ces services, niveau élevé de qualité, égalité de traitement, universalité et droits des utilisateurs, usagers de ces services qui se voient ainsi reconnaître une voix au chapitre au niveau du droit primaire (et plus seulement par « touches » dispersées dans le droit dérivé sectoriel). On peut dès lors se demander si l’idée, caressée un temps par la Commission, de proposer un accord interinstitutionnel sur les SIEG n’a pas du plomb dans l’aile, dans la mesure où le Protocole annoncé va plus loin et aura une force juridique supérieure.

Le deuxième article du Protocole vise les « services non économiques d’intérêt général » L’approche est inédite en soi car pour la première fois les services publics non économiques sont traités dans un texte de droit primaire, et plus seulement dans une communication de la Commission ou dans un texte de droit dérivé (comme la directive Services, qui exclut de son champ d’application les « services d’intérêt général non économiques »). Il est alors énoncé que les traités « ne portent en aucune manière atteinte » à la compétence des Etats membres relatives à la fourniture, à la mise en service et à l’organisation de ces SNEIG. Certes, la formule est subtile car le droit communautaire aura toujours son mot à dire sur la manière dont cette compétence est exercée et mise en œuvre Il n’en reste pas moins que l’accent est mis sur un point de débat essentiel : qu’est-ce qui relève respectivement de l’économique et du non-économique? La question du traitement des services sociaux en offre une illustration criante. La Commission, et la Cour, ne pourront donc plus très longtemps s’épargner un exercice de délimitation plus précis et circonstancié que celui auquel elles ont bien voulu s’atteler jusqu’à présent et qui donne plutôt l’impression que, finalement, tout est ou peut-être, économique, du moins dans la perspective de l’application des règles de libre prestation des services, celle des règles de concurrence ayant mieux identifié et préservé une sphère d’activités non économiques (lorsque sont mises en œuvre des prérogatives de puissance publique ou des fonctions exclusivement sociales).

Même si des zones d’ombre demeurent donc car la question du financement des SI(E)G qui n’est pas explicitement visée dans le Protocole, incontestable que le sort des services publics se trouve significativement amélioré dans le cadre de la révision annoncée des traités européens. Si l’on ajoute à cette avancée, celle du caractère contraignant donné à la Charte des droits fondamentaux dont l’article 36 pose le principe du droit d’accès de tous aux SIEG, et celle de la réaffirmation d’une Union basée sur une « économie sociale de marché » dans le cadre de laquelle l’objectif de concurrence n’est plus le seul à être pris en considération tout en ouvrant la voie à une réflexion solide sur la nécessité d’une vraie politique industrielle européenne, on peut sérieusement se demander si un tournant n’est pas en train d’être pris, pour ouvrir la voie si ce n’est à une Europe sociale affirmée, du moins à une évolution sociale en douceur de l’Union politique.