L’Europe et Israël edit

30 août 2013

A la veille du lancement des négociations avec Israël concernant le nouveau programme-cadre de recherche Horizon 2020 (2014-2020) – doté d’un budget de 80 milliards d’euros –  l’Union européenne publie un avis à la mi-juillet contenant les lignes directrices d’un futur accord. Pour la première fois, et en accord avec ses positions politiques, elle déciderait de limiter l’accès aux financements et à la coopération aux seules entreprises israéliennes non basées et n’opérant pas au-delà de la ligne verte, c'est-à-dire à Jérusalem-Est, dans le Golan ou dans les territoires palestiniens. L’entreprise israélienne Ahava de cosmétique par exemple, située sur la rive palestinienne de la mer Morte, en Cisjordanie, ou encore la compagnie Soda Club de filtration d’eau, ne seraient donc plus éligibles au prospère programme-cadre européen.

Or cette participation représente un enjeu de taille pour Israël au niveau aussi bien économique que technologique. Il a été le premier pays non membre de l’Union européenne, de l’Association européenne de libre-échange ou de l’Espace économique européen, à signer en 1996 l’accord cadre lui permettant d’intégrer les équipes de recherche scientifique européennes, au sein du 4e programme cadre de recherche. Depuis 1996 et jusqu’à 2011, les bénéfices financiers pour Israël sont estimés à 200 millions d’euros. Marcel Shaton, le directeur de l’ISERD (Israel Europe Research and Development Directorate) – organe interministériel israélien en charge de la coopération avec le programme-cadre européen –  estime l’apport de connaissance à 1,5 milliard. En 2011, le septième programme-cadre (FP7) constitue la principale source de financement publique et sélective pour les projets de recherche en Israël. Ce dernier est un des États non membres associés au FP7 les plus actifs au sein des projets de recherche européens. Si sa participation permet à l’Union européenne de bénéficier du savoir israélien, elle permet à Israël de faire exploiter ce savoir plus efficacement par l’industrie européenne. Le secteur scientifique constitue ainsi une des pierres angulaires des relations euro-israéliennes, avec les échanges commerciaux.

Dans ce contexte, comment expliquer la décision européenne. Quelles fins vise-elle ? Cette décision est loin d’être anodine, de même que sa temporalité ne relève pas du hasard. La raison principale est interne. Cette décision s’inscrit en effet au sein d’un effort croissant de la part de l’UE de rendre son action extérieure plus cohérente. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est non seulement à la tête du Conseil affaires étrangères, mais elle est aussi vice-présidente de la Commission européenne. L’objectif est ainsi de créer une meilleure complémentarité entre  les actions du Conseil et de la Commission, souvent critiqués pour leur manque de coordination. La haute représentante est assistée dans sa mission par le Service européen d’actions extérieures (SEAE) mis en place le 1er janvier 2011. Il résulte de la fusion des services chargés de la politique étrangère à la Commission et au Conseil, et de l’apport de diplomates issus de services diplomatiques des États membres. Au niveau institutionnel au moins, les États membres expriment donc la volonté de favoriser une meilleure coordination entre leur diplomatie respective.

Mais cette décision ne résulte pas uniquement de changements de type structurel affectant le fonctionnement de la politique étrangère commune. Elle s’inscrit au sein d’un effort soutenu de la part de l’UE – répondant à des critiques récurrentes – de rendre sa politique vis-à-vis d’Israël plus cohérente avec les normes politiques qu’elle soutient. Ces normes portent principalement sur la promotion de la solution de deux Etats, passant par la création d’un Etat palestinien, et de Jérusalem comme capital de ces deux Etats. Si les Etats membres demeurent récalcitrants à redéfinir entièrement leur diplomatie et leurs relations commerciales en fonction de ces normes, l’Union européenne se trouve plus directement contraintes par cette « soft law » européenne, qui déterminent par exemple la territorialité des accords commerciaux avec Israël.

Ainsi, suite au jugement de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 25 février 2010, l’entreprise allemande Brita, importatrice de biens produits par la compagnie israélienne Soda Club, s’est vue contrainte de payer des taxes aux douanes d’Hambourg malgré l’accord de libre-échange UE-Israël. L’entreprise israélienne ne se situait en effet pas à l’intérieur de la ligne verte, mais bel et bien en Cisjordanie. Depuis, la Commission européenne a publié un avis officiel à l’attention des importateurs européens, contenant la liste des codes postaux des villes, villages, ou de la zone industrielle situés en territoires occupés. Celle-ci doit permettre aux entreprises des Etats membres de savoir a priori quels produits israéliens ne pourront bénéficier du régime préférentiel lors de leur entrée au sein du Marché intérieur.

D’une certaine manière, l’avis adopté par la Commission européenne dans le domaine de la coopération scientifique, concernant le programme Horizon 2020, est donc le pendant de la publication de cette liste dans le secteur commercial.

Une question demeure néanmoins, concernant l’effet de ces mesures à l’extérieur des frontières européennes, et plus particulièrement vis-à-vis d’Israël. Dans quelle mesure sont-elles à même d’influencer sa politique sur le terrain ? Il n’est pas question ici d’élaborer de complexes prédictions géopolitiques portant sur le futur de la solution de deux Etats. Il s’agit plutôt de se demander si l’objectif de cohérence interne doit constituer une fin en soi dans le domaine de l’action extérieure européenne, et non un moyen afin de mieux influencer les acteurs tiers dans le sens des préférences européennes.

Si cette seconde hypothèse est porteuse de sens, alors ces décisions européennes, touchant aux relations scientifiques et commerciales, ne peuvent se suffire à elles-mêmes. Israël ne dépend pas des aides financières européennes, contrairement aux Palestiniens par exemple, et bien que l’UE demeure son premier partenaire commercial, avec les Etats-Unis, les échanges avec l’Asie – et principalement la Chine – ne cessent de croître. Entre 1998 et 2008, le volume de son commerce avec l’Asie, exportations et importations comprises, a ainsi augmenté de 764,7%. Par conséquent, l’UE ne peut agir uniquement par la contrainte afin d’exercer sa puissance envers Israël, au risque de perdre à terme tout levier d’influence. Elle doit aussi jouer la carte de l’attractivité. Alors que les négociations entre l’UE et Israël sur l’aspect territorial de leur accord sur le programme Horizon 2020 débutent au mois de septembre 2013 à Bruxelles, il serait stratégiquement opportun d’accompagner ces mesures contraignantes de signes d’ouvertures dans d’autres domaines de leurs relations.