Jérusalem : séparation improbable, statu quo intenable edit

5 mars 2013

Le rapport sur la situation à Jérusalem des chefs de mission des Etats de l’UE, basés à Jérusalem et Ramallah, a de nouveau fait l'objet d'une  fuite,  probablement organisée par des consuls européens frustrés par le blocage des négociations israélo-palestiniennes. Cette frustration est aisée à comprendre. Chargés de promouvoir la position commune européenne sur le statut de « Jérusalem capitale de deux Etats »,  ils observent chaque jour de nouveaux faits accomplis allant à son encontre. Même un observateur moins averti serait capable d’interpréter la stratégie israélienne : rendre une division de Jérusalem si coûteuse humainement qu’elle en deviendrait presque impossible. Dans leur rapport, les chefs de mission font inexorablement la liste des diverses activités menées par Israël visant à étendre de facto sa souveraineté vers Jérusalem-Est et au-delà.

La position israélienne officielle est assez claire: la loi fondamentale du 30 juillet 1980 déclare « Jérusalem unifiée » capitale d’Israël. Suite à la guerre des Six-Jours, Israël ayant alors conquis la partie Est de Jérusalem occupée par la Jordanie depuis 1949, les frontières de la municipalité n’ont cessé de s’agrandir. Pendant trois décennies, Israël a étendu et consolidé la présence juive à l’Est de la ville : en y implantant différentes colonies israéliennes parmi la population palestinienne, comme à Silwan et Ras al-Amud, ou encore en y édifiant des institutions israéliennes telles que le siège de la police municipale à Sheikh Jarrah. C’est cette politique systématique que dénoncent les rapports des chefs de missions européens.

Ils soulignent que le développement des colonies israéliennes à l’est de la ville – au sein de la frontière municipale définie par Israël – forme un arc de cercle intérieur coupant la ville du reste de la Cisjordanie, notamment les colonies de PisgatZeev au nord et Gilo et Har Homa au sud. D’autre part, notent-ils, Israël continue d’agrandir les colonies israéliennes de Cisjordanie – donc situées à l’extérieur de la frontière municipale de Jérusalem définie par Israël – formant un arc de cercle extérieur entourant Jérusalem-Est, constitué des blocs de colonies de GivatZeev au nord, Maale Adumim à l’est et GushEtzion au sud.

Le rapport de décembre 2012 dénonce aussi le caractère partisan des activités archéologiques menées par Israël à Jérusalem dans la mesure où elles favoriseraient avant tout l’histoire juive de la ville au détriment des histoires musulmane et chrétienne. Du reste, différentes activités culturelles ou sportives, telles que le marathon de Jérusalem qui s’est tenu ce 1er mars 2013, dont le tracé passe par l’Est de Jérusalem, démontrent nettement la volonté d’y affirmer symboliquement la présence israélienne.

Différents facteurs amènent à penser que cette tendance ne s’inversera probablement pas : le rapport de force entre Palestiniens et Israéliens, clairement en faveur de ces derniers ; la volonté durable des diverses administrations israéliennes de coloniser vers l’est ; la position molle des Etats-Unis et le flou de la position européenne sur la question de Jérusalem.

L’UE et les Etats-Unis, bien que ne reconnaissant pas l’annexion de Jérusalem-Est par Israël en 1967, et condamnant les activités de colonisation israéliennes, se trouvent dans une position politiquement délicate sur cette question. Aux Etats-Unis, le Congrès fait pression pour déménager l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, ce qui  induirait une reconnaissance de la loi fondamentale israélienne de 1980. Or, pour l’instant, les présidents américains jusqu’à Barak Obama ont refusé de signer le Jerusalem Embassy Act adopté par le Congrès en 1995 sous administration Clinton, qui prévoit le déménagement de l’ambassade. L’Union européenne, de son côté, du fait des différentes sensibilités en son sein, a adopté fin 2009 une position suffisamment floue pour obtenir le consentement des différents Etats membres : « Jérusalem capitale de deux Etats ». Ni la question de la frontière ni celle de la souveraineté n’étant clairement traitées dans cette expression, elle peut faire légitimement l’objet de diverses interprétations. Mais c’est peut-être de ce flou que pourrait émerger une solution à l’épineuse question de Jérusalem.

Toutes choses égales par ailleurs donc, l’évolution de la situation sur le terrain pourrait aboutir à une unification de Jérusalem sous autorité israélienne. Or, même pour Israël, cette option n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. D’un point de vue démographique d’abord : depuis 1967 la population arabe de Jérusalem a augmenté deux fois plus vite que la population juive et atteint presque 300 000 habitants, représentant ainsi 36% de la population de la ville. Si le taux de natalité est légèrement plus élevé au sein de la communauté juive, du fait de sa composante ultra-orthodoxe (4,2 enfants par femme contre 3,9 dans la communauté arabe), cette même composante ultra-orthodoxe fait fuir un bon nombre de juifs plus modérés à cause de son radicalisme, qui s’ajoute à des problèmes de logement et d’emploi à Jérusalem. Une étude israélienne indique que durant les 20 dernières années, quelque 300 000 juifs ont quitté la ville, et 200 000 seulement sont venus s’y installer.

D’un point de vue sécuritaire et politique aussi, l’annexion de Jérusalem-Est engendre certaines difficultés pour Israël. Malgré la part conséquente de la population arabe, la municipalité de Jérusalem lui consacre moins de 10% de son budget, tout y en empêchant l’établissement d’institutions palestiniennes. Lors des élections palestiniennes, il est en outre souvent difficile pour cette population d’accéder aux bureaux de vote gérés par l’autorité palestinienne. Cette situation fait de Jérusalem-Est un foyer de tension permanent, comme le soulignent les diplomates européennes dans un de leurs rapports. Un chercheur israélien remarque que pendant la seconde Intifada, la proportion de Palestiniens de Jérusalem-Est participant à des attaques terroristes sur le sol israélien était particulièrement importante.

Ainsi, la situation actuelle n’est clairement pas tenable dans le temps. Les Palestiniens de Jérusalem-Est se voient aujourd’hui délivrer par les autorités israéliennes des cartes d’identité bleues leur permettant de se déplacer librement, mais pas de voter aux élections nationales israéliennes, ni d’avoir un passeport israélien. Quel serait le statut politique de cette population dans le cas de son intégration véritable dans le cadre d’un accord? Comment s’intégrerait-elle au sein de l’« Etat juif et démocratique » défini dans la loi fondamentale israélienne ?

Il convient également de noter que la population palestinienne de Jérusalem-Est est particulièrement divisée sur la question de son appartenance politique si un Etat palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale venait à voir le jour. Dans un sondage réalisé en novembre 2011 par le Washington Institute for Near East Policy, à peine plus de la moitié des sondés palestiniens indiquent qu’ils préféraient la citoyenneté palestinienne à la citoyenneté israélienne. Néanmoins, moins de la moitié de ces derniers déclarent qu’ils seraient prêts à déménager afin d’en bénéficier. En outre, malgré les difficultés créées par l’administration israélienne de la ville à leur égard, le taux d’émigration des Palestiniens de Jérusalem reste peu élevé ces dernières années. Ces données indiquent un attachement évident des Palestiniens de Jérusalem-Est à leur identité hiérosolymitaine.

Une solution alternative consisterait donc en une véritable co-administration de Jérusalem, à travers un conseil municipal qui représenterait les différentes composantes de la population de manière proportionnelle, sachant qu’aucun Arabe ne siège aujourd’hui au sein du conseil municipal de Jérusalem, selon le site internet de la mairie. Cette option remettrait en cause le statu quo actuel des préférences aussi bien israéliennes que palestiniennes. Elle nécessiterait éventuellement la reprise d’une idée évoquée à plusieurs reprises au cours des négociations de paix, celle de la présence d’une force internationale, acceptée par les deux parties, dans les endroits les plus sensibles, tels que les lieux saints de la vieille ville ou encore le bassin historique, comprenant les alentours de la vieille ville dont la vallée du Cédron, la citée de David/Silowan et le cimetière juif, afin d’y éviter tout regain de tension.

Il est difficile de penser une solution à la question de Jérusalem qui satisfasse entièrement les deux parties. Elle constitue en effet un des problèmes les plus délicats du conflit israélo-palestinien, étant souvent à l’origine des confrontations. Néanmoins, le statu quo étant intenable dans le temps, il est dans l’intérêt de tous d’imaginer une issue possible.