Brexit: une interminable fin edit

4 janvier 2021

L’accord commercial sur les relations UE-RU post-Brexit a été signé. Il comporte trois volets : un accord de libre échange portant sur les biens, un pacte de non-régression normative en matière sociale, environnementale et fiscale qui sera régulé par une Cour d’arbitrage, un protocole sur les pêcheries. Il complète l’accord de retrait qui comportait aussi trois volets : un règlement financier, un statut des expatriés, et le backstop irlandais. Ainsi le pire, à savoir le retrait brutal sans compromis, a été évité et l’accord commercial a été négocié en un temps record. Johnson pavoise et Barnier célèbre l’union inentamée du pack bruxellois.

Symbole contre symbole

Boris Johnson s’y était engagé, c’est aux pêcheurs qu’il irait rendre compte de l’Accord sur le Brexit et du retour de la souveraineté britannique sur ses eaux territoriales. Selon lui c’étaient 80% des quotas de pêche que les Européens devraient rendre aux Britanniques d’emblée et c’en serait fini des droits de pêche perpétuels : les quotas seraient annuels et soumis à renégociation régulière.

Mais un autre symbole s’est imposé, celui de queues monstrueuses de camions bloqués à Douvres suite à l’émergence d’une nouvelle variété de virus Covid 19 et à l’arrêt du trafic décidé par le gouvernement français. Ce qu’illustraient ces queues c’était la dépendance du Royaume-Uni par rapport aux Européens pour tous ses approvisionnements. Le spectre du rationnement est revenu.

À l’arrivée, l’accord qui a été conclu est proche des demandes initiales européennes, notamment sur la pêche puisque les Européens ne rendront à la souveraine nation que 25% de leurs quotas antérieurs, sur une période de cinq ans et six mois.

Ces gesticulations suivies de capitulation n’étaient pas les premières.

Lorsqu’il s’est agi de négocier le Withdrawal Agreement, Boris Johnson avait pareillement fixé ses lignes rouges et avait dû y renoncer non sans avoir menacé de s’en prendre aux droits des résidents européens au Royaume-Uni.

Lorsqu’il s’est agi de préciser les modalités de sortie du marché unique et de conforter les droits des Irlandais à la paix civile, il avait accepté ultimement que la frontière commerciale entre l’Europe et le RU passe au sein du Royaume-Uni dans la mer d’Irlande.

Enfin après avoir affirmé haut et fort l’impératif de souveraineté britannique au mépris de la souveraineté européenne dans les règles de gouvernance de l’accord commercial comme dans la liberté normative post Brexit, il a dû pareillement renoncer et s’aligner sur les demandes européennes. Peu de temps auparavant il avait dû renoncer aussi à la remise en cause du protocole irlandais.

Le mélange d’arrogance brouillonne, de théâtralisation des enjeux, d’affirmations péremptoires n’a pas payé : le rapport de forces et l’intérêt économique bien compris l’ont emporté.

Car la géographie commande : l’économie britannique est très intégrée à l’économie européenne, la moitié de ses échanges se font avec l’Union, sa dépendance alimentaire et pharmaceutique est majeure, son insertion dans les chaînes de valeur automobile ou aéronautique l’est tout autant. Boris Johnson a eu beau décider que la politique ne devait pas dépendre du business, il a fallu qu’il en tienne compte.

Pour juger avec recul de la longue séquence de négociations qui a duré quatre ans et demi, il faut distinguer la perspective longue des rebondissements incessants.

Never closer union

La perspective longue, c’est le refus de l’ever closer union et les nécessites de la géographie. Le Royaume-Uni a toujours été un partisan de l’Union européenne mais d’une Union dont il s’excluait de facto, convaincu que son rôle aux côtés des Etats-Unis était de prêter son concours  bienveillant à ces nations querelleuses. Lorsqu’il s’est convaincu que l’Union allait se faire il tenta de lui opposer une AELE conçue comme un pur accord commercial visant à promouvoir le libre échange entre ses membres. Une fois réussie leur intégration dans le marché commun, une fois inventée une gouvernance économique durable et commencé à explorer de multiples domaines nouveaux de coopération, les Européens ont acquis une force d’attraction irrésistible et le Royaume-Uni fit acte de candidature. C’est le président Georges Pompidou qui leva l’interdit gaullien. Mais sitôt admis dans le club (1973) le Royaume-Uni a tout fait pour limiter les ambitions politiques de l’Union, pour affaiblir sa gouvernance et pour noyer le projet dans les élargissements successifs. Les opt-out, les clauses spécialement négociées pour atténuer la charge budgétaire… tout fut prétexte à émasculation du projet européen et à la défense d’une conception de l’Europe comme marché, comme simple espace de circulation de marchandises et de services financiers.

La perspective longue c’est aussi le combat, depuis Margaret Thatcher, des souverainistes conservateurs qui ne cessèrent de dénoncer une construction attentatoire aux pouvoirs de Westminster gouvernée par un « politburo » bruxellois. C’est le projet d’un Brexit conçu dans les franges du Parti Conservateur et qui finira par l’emporter.

La perspective courte ce seront les lignes rouges de l’interminable négociation qui seront abandonnées chaque fois que le symbole de la souveraineté pourra être apparemment sauvegardé.

Le Royaume-Uni ne voulait pas être engagé par les normes environnementales, sociales et concurrentielles (régime des aides publiques), il réclamait le droit souverain de diverger au nom de sa vision d’un Global Britain. Il a fini par être forcé de reconnaître que sa souveraineté s’arrête là où commence celle de ses voisins.

Une fois admis le principe de la non régression par rapport aux normes communautaires, encore fallait-il trouver une instance d’arbitrage des conflits naissant des inévitables divergences réglementaires. Là aussi avec une mâle fermeté le Royaume-Uni a exclu tout rôle à la Cour de Justice de l’Union européenne. Le principe d’une Cour d’arbitrage paritaire a donc été décidé, chaque partie gardant la liberté de nommer les arbitres. L’UE n’aurait-elle pas alors cédé en acceptant que cette Cour soit saisie des différents contentieux ex post ? On pourrait le craindre si à tout moment l’Union n’avait la possibilité de remettre en cause ce compromis et d’instituer droits de douane et quotas, d’autant que les clauses de rendez-vous sont déjà prévues pour faire évoluer l’accord sur les pêcheries.

Global Britain ?

Le problème n’est donc pas tant de savoir ce que Boris Johnson a pu finalement arracher à l’UE que de se demander avec le recul ce qu’étaient ses objectifs réels si tant est qu’il en ait eus.

Si sa perspective était de faire du Royaume-Uni un Global Britain, un Singapour sur Tamise, alors il devait pousser les feux de l’investissement dans la Tech, rompre avec les normes qui enserrent son économie dans le numérique et la finance, adopter un régime fiscal et social plus attractif. Il fallait surtout conclure rapidement des accords commerciaux avec les États Unis, la Chine, l’Inde. Or il n’y est pas parvenu.

Si son projet était de tirer parti des atouts du Royaume-Uni, il aurait dû alors négocier ardemment sur les services financiers qui représentent 7% du PIB britannique et non sur les pêcheries dont le poids économique est dérisoire (0,04%). Or il a d’emblée installé le débat sur les échanges de biens pour lesquels le Royaume-Uni est très déficitaire avec l’Europe ce qui était pain bénit pour l’automobile allemande ou l’agroalimentaire français. Les Britanniques exportent 47% de leurs produits vers le continent, quand l'UE n'écoule que 8% de ses marchandises de l'autre côté de la Manche.

Si son horizon était plus limité et concernait la libre circulation des personnes, des moyens moins coûteux étaient envisageables (pour autant qu’il ait été établi que le Royaume-Uni n’avait pas besoin de cette main d’œuvre venue des pays de l’Est, alors que tout prouve le contraire).

Et que dire de son refus d’envisager la coopération dans les domaines diplomatique judiciaire et militaire ! Les solutions bilatérales ne sont pas nécessairement les plus indiquées et ce d’autant que l’OTAN continue à exister et que le Royaume-Uni mène avec ses partenaires européens des actions communes.

Ce qui reste difficile à comprendre c’est la balance bénéfices-risques chez Boris Johnson. Pourquoi s’être engagé dans un processus de séparation, certes négociée, mais qui va coûter en termes de croissance, en termes de degré d’ouverture et même de coûts bureaucratiques alors que le Royaume-Uni a profondément marqué le fonctionnement de l’Union ?

Pourquoi avoir mis en avant la maîtrise des flux migratoires alors que les données sont cruelles, les flux de migrants entre la période pré-référendum et aujourd’hui sont équivalents la seule différence est dans les flux extra-communautaires dont la crue compense (et au-delà) la décrue des flux d’origine communautaire ?

Pourquoi enfin prendre le risque même minime de défaire le Royaume-Uni, pour le détacher de l’UE ? La demande d’un nouveau référendum par les Ecossais, la dynamique d’unification de l’Irlande sont des dangers autrement plus sérieux que les contraintes que fait peser l’UE sur le Royaume-Uni.

Une interminable séparation

Boris Johnson a fait le choix d’une négociation rapide qui lui permet d’afficher des trophées de guerre : accord de libre échange sur les biens, pas de rôle pour la CJE… En échange l’Europe a obtenu la préservation de la paix en Irlande et un bon accord sur la pêche. Cet accord a minima n’en souligne que davantage ce qui reste à faire : accord sur les services personnels, équivalence sur les services financiers, négociation à venir ou abandon provisoire d’un accord sur la sécurité et sur les relations extérieures.

Les négociations entre UE et Royaume-Uni sont appelées à se multiplier. Rien n’interdit à l’UE d’accorder à Londres l’équivalence réglementaire dans tel ou tel domaine de l’industrie financière comme elle le fait dans le cadre d’accords avec les Etats-Unis, le Japon ou la Suisse.

Ces négociations permanentes à venir peuvent compliquer la relation entre UE et Royaume-Uni, en ne présentant de l’un et de l’autre que la dimension procédurière alors que l’ensemble de l’Europe est confrontée à de redoutables défis. Ce sera sans doute là le legs de Boris Johnson.