Royaume-Uni: il y a quelque chose dans l'air – et ça ne sent pas très bon! edit

6 mai 2021

Le gouvernement britannique n’a pas vraiment connu de bons moments depuis l’apparition de la pandémie de Covid, ni depuis que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, et plus récemment, il s’est retrouvé embourbé dans une série de fuites préjudiciables concernant la manière dont il mène ses relations avec certains intérêts commerciaux. Son seul succès a été le déploiement efficace d’un programme de vaccination Covid – qui doit lui-même plus aux efforts et au professionnalisme des employés du National Health Service qui ont administré le vaccin qu’aux actions du gouvernement. Trois domaines d’activité suggèrent que ce gouvernement ne restera dans l’histoire ni pour sa compétence, ni pour son honnêteté.

Tout d’abord, sa gestion de la pandémie. Si tous les gouvernements étaient généralement mal préparés à faire face à l’épidémie, le gouvernement britannique semble avoir fait pire que ses homologues européens.

Deuxièmement, même s’ils ont été largement éclipsés par la pandémie, il y a les problèmes qui ont surgi à la suite du Brexit. Ici encore on peut relever le manque de préparation du gouvernement britannique, même en tenant compte du caractère tardif de l’accord de dernière minute conclu en décembre 2020, quelques jours seulement avant la sortie de l’UE. Non seulement cela a fortement restreint la capacité du Parlement à débattre des conditions de sortie proposées, se limitant en pratique à un seul jour de débat, mais cela a également laissé les entreprises et la population dans son ensemble mal préparées et dans le flou quant à ce qui était nécessaire pour faire des affaires avec les pays européens ou les visiter.

Troisièmement, et cette question reste en grande partie irrésolue, la série de fuites concernant la manière dont les contrats gouvernementaux ont été passés pour l’approvisionnement en fournitures médicales liées au Covid, les modes de lobbying de certains intérêts, la volonté du Premier ministre Boris Johnson de laisser les gens mourir du Covid plutôt que d’imposer un nouveau confinement, et même qui a payé pour la redécoration de son logement à Downing Street.

En ce qui concerne la gestion de la pandémie de Covid par le gouvernement, la plupart des questions portent sur la manière dont il a réagi au cours des premiers mois. Bien que le gouvernement maintienne qu’il est encore trop tôt pour mener une enquête sur sa gestion de Covid, il reste des questions auxquelles il faut répondre. A-t-il réagi trop lentement aux premiers signes de la pandémie ? Pourquoi n’a-t-il pas mis en place des stocks suffisants des équipements nécessaires pour protéger les travailleurs de la santé et d’autres secteurs clés contre le Covid ? Un rapport de 2016 avait averti qu’une épidémie était prévisible, une variation du virus de la grippe par exemple.  Pourquoi la priorité n’a-t-elle pas été également donnée aux personnes vivant dans des maisons de soins (principalement les personnes âgées qui étaient les plus à risque de mourir de Covid), où les décès ont représenté par la suite près d’un tiers de tous les décès dus au virus ? Pourquoi a-t-on tant tardé à mettre en place le premier confinement (et les confinements ultérieurs) ? Des mesures ont-elles été mises en place pour s’assurer que les personnes censées s’auto-isoler le faisaient effectivement ? Pourquoi le système de suivi et de localisation des personnes susceptibles d’avoir été infectées par le Covid a-t-il été confié au secteur privé plutôt qu’à un système de santé publique local bien établi et efficace, et pourquoi le secteur privé s’est-il révélé aussi inefficace ? Pourquoi les enfants devaient-ils être scolarisés à domicile alors que des millions de personnes n’avaient ni accès à l’Internet, ni le matériel nécessaire pour l’utiliser ? Pourquoi les étudiants (plus d’un million d’entre eux) ont-ils été autorisés à aller à l’université à l’automne pour être renvoyés chez eux peu de temps après, puis ne pas être autorisés à revenir avant la mi-mai 2021, plusieurs semaines après que la majeure partie du reste du pays a été ouverte pour un retour à la normale ? La dernière question, mais non la moindre, sera de savoir comment la Grande-Bretagne s’est retrouvée avec le plus grand nombre de décès dus au Covid en Europe. Il y a d’autres questions qu’une enquête publique devra sans doute examiner, mais celles-ci donnent un aperçu au lecteur.

Ensuite, il y a les questions qui découlent du Brexit. Celle qui a suscité le plus d’attention est sans aucun doute l’effet du protocole sur l’Irlande du Nord : bien que le Premier ministre Johnson ait assuré aux gens qu’il n’y aurait pas de frontière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, en réalité il y en a une au milieu de la mer d’Irlande. Bien que le protocole ait été approuvé en 2019, on a pris peu de mesures pour gérer les conséquences de son entrée en vigueur le 1er janvier 2021. L’un des résultats a été que le commerce entre la Grande-Bretagne (principalement l’Angleterre) et l’Irlande du Nord a été gravement perturbé, ce qui a eu pour conséquence que les rayons des supermarchés sont restés vides de fournitures essentielles, et que les entreprises, grandes et petites, ainsi que les particuliers, ont dû remplir une documentation considérable avant d’envoyer des produits en Irlande du Nord. Le Parti unioniste démocratique, dont le gouvernement Johnson dépendait en partie pour faire passer des lois au Parlement avant les élections de 2019, a le sentiment d’avoir été trahi par le gouvernement britannique. Des violences ont éclaté dans les rues de Belfast et dans d’autres parties de la province, menaçant l’accord de paix de 1999 qui a contribué à apporter la stabilité et une certaine prospérité à la province après trois décennies de troubles entre nationalistes et unionistes. Le gouvernement britannique a décidé unilatéralement d’abandonner toutes les exigences frontalières entre la Grande-Bretagne et la province, rompant ainsi le traité de protocole, et l’UE a menacé d’intenter une action en justice contre le Royamue-Uni. Alors que les discussions entre les deux parties se poursuivent sur la façon dont le protocole pourrait être modifié pour minimiser certains des problèmes, on ne peut que se demander pourquoi ni le gouvernement britannique ni la Commission européenne n’ont entrepris un travail sur les ramifications possibles du protocole dans l’année qui s’est écoulée entre son accord et la sortie définitive du Royaume-Uni de l’UE. Mais en ce qui concerne l’importation et l’exportation de marchandises, etc. vers et depuis l’UE, de nombreuses petites entreprises ont tout simplement jugé qu’il était trop coûteux de continuer, tandis que d’autres ont décidé d’ouvrir des nouvelles entités dans l’UE et de réduire leurs activités au Royaume-Uni, ce qui a entraîné des pertes d’emplois dans ce pays. Les particuliers doivent également remplir des déclarations en douane lorsqu’ils envoient des objets dans les pays de l’UE, la plupart d’entre eux étant probablement simplement décrits comme des cadeaux de faible valeur pour éviter les droits de douane et les taxes à l’importation ou la TVA. Mais les plus gros problèmes ont été rencontrés par l’industrie de la pêche. Les pêcheurs, fervents partisans du Brexit, avaient accepté la promesse de Johnson de reprendre le contrôle de nos limites de pêche, mais ils ont découvert que l’accord final signifiait qu’ils avaient également été trahis, les pêcheurs de l’UE étant toujours autorisés à pêcher dans les eaux côtières britanniques.

Mais c’est le dernier domaine, laissant entrevoir une possible corruption et du copinage au cœur du gouvernement, qui a occupé la presse populaire, la radio et la télévision au cours du mois dernier. Trois questions sont préoccupantes. Tout d’abord, l’attribution des contrats publics pour les produits liés au virus, et si oui ou non ceux dont les intérêts commerciaux étaient proches des ministres ou du parti conservateur ont été privilégiés par le biais d’une voie VIP ou prioritaire. La défense du gouvernement est que, face à une pandémie, il devait agir aussi rapidement que possible pour résoudre les problèmes d’approvisionnement – mais certains de ceux qui ont reçu des contrats avaient peu ou pas d’expérience dans le domaine de la santé, tandis que d’autres qui en avaient n’ont pas obtenu de contrats. Deuxièmement, on peut s’interroger sur la manière dont certaines entreprises font pression sur le gouvernement, comme en témoigne la facilité avec laquelle l’ancien Premier ministre David Cameron a fait pression sur le ministre des Finances et ses fonctionnaires au nom d’une banque privée aujourd’hui disparue, même si ce lobbying s’est avéré largement infructueux. Cette situation a été aggravée par la révélation qu’au moins un fonctionnaire avait travaillé pour la même entreprise alors qu’il était encore en service, et par la facilité avec laquelle les anciens ministres et fonctionnaires obtiennent des emplois dans le secteur privé une fois qu’ils ont quitté leur poste. Enfin, on se demande qui a payé la redécoration de l’appartement du Premier ministre à Downing Street et quand, étant donné son coût contesté. Le Premier ministre a fermement affirmé qu’il avait personnellement assumé les coûts, mais des doutes subsistent quant à savoir si quelqu’un ou quelqu’un d’autre a assumé les coûts initiaux.

En fin de compte, toutes ces questions sont-elles vraiment importantes ? Les sondages suggèrent que l’électorat ne semble pas s’en soucier - ce qui leur importe, c’est la rapidité avec laquelle ils peuvent se faire vacciner et la rapidité avec laquelle les restrictions de confinement seront levées. Pour ma part, et je parle ici comme observateur de la politique britannique depuis plus de soixante ans, je peux affirmer sans risque de me tromper que de mon vivant je n’ai pas souvenir d’un gouvernement plus incompétent et inexpérimenté (et j’ose dire corrompu) de mon vivant - mais il se peut que le type de changement culturel que la Grande-Bretagne et d’autres pays ont connu au cours des quarante dernières années ait modifié ce qui était considéré comme les normes de la politique, un processus peut-être accéléré par la montée de la politique populiste basée sur des slogans associée à la montée de Trump et au processus du Brexit.