Pourquoi le Japon devient-il ingouvernable ? edit

14 juillet 2010

En 2009, les élections générales ont mis un terme à presque 55 ans de domination politique par le parti libéral démocrate (PLD). Son challenger, le parti démocrate du Japon (PDJ) promettait alors une nouvelle gouvernance plus transparente et efficace, ainsi qu’un revirement social-démocrate pour faire face à la hausse des inégalités. Sur le plan international, le PDJ militait pour un certain rééquilibrage : une relation plus égale avec les Etats-Unis et de meilleurs rapports avec la Chine et la Corée. Appelant même à une union monétaire asiatique, le premier ministre Hatoyama n’hésitait pas à citer l'Union Européenne comme un exemple pour l’Asie.

Mais tout ceci n’aura pas tenu fort longtemps. Les élections sénatoriales du 11 juillet 2010 viennent de rendre le Japon ingouvernable. La chambre basse reste dominée par le PDJ jusqu'à 2013 (sauf élections anticipées) et la chambre haute est si fragmentée qu’aucune majorité ne s’en dégage. Comment en est-on arrivé là ?

La première surprise a en fait précédé l’élection. Fin mai 2010, le premier ministre Hatoyama a du donner sa démission, à peine neuf mois après sa prise de pouvoir. Trois facteurs principaux ont joué contre Hatoyama et le PDJ. Le premier et le plus important fut la crise politique autour des bases américaines d’Okinawa. En effet, le premier ministre avait promis à son opinion et aux citoyens d’Okinawa de résoudre le problème de la base détestée de Futenma (qui se trouve en plein cœur d’une ville d’Okinawa) en évitant de construire une nouvelle base sur la côte est d’Okinawa près d’une barrière de corail à Henoko, malgré l’engagement pris dans ce sens par le Japon avec les Etats-Unis en 2006. Hatoyama s’était engagé a résoudre le problème d’ici fin mai 2010. Et l’un des deux petits partis allié au PDJ, le parti social-démocrate du Japon, avait promis de ne rester dans la coalition qu’en échange de l’engagement formel d’Hatoyama de déplacer la base américaine.

Mais pour les Américains, il était hors de question de revenir sur l’accord de 2006. Coincé entre ses promesses et l’intransigeance américaine, il a jeté l’épongé fin mai, non sans avoir confirmé l’accord de 2006 avec Washington. Le PSD a alors quitté la coalition et Hatoyama s’est trouvé tellement fragilisé dans l’opinion qu’il a dû démissionner.

Trois autres facteurs ont également joué. Il y a eu tout d’abord les scandales de financements occultes des campagnes politiques et de trafics d’influence touchant avant tout le secrétaire général et parrain politique du parti, Ichiro Ozawa, et à moindre degré, Hatoyama lui-même. Ensuite, le gouvernement Hatoyama a été fortement affaibli par sa forte dépendance envers Ozawa, ancien parrain du PLD. Devant sa victoire électorale à Ozawa, Hatoyama lui avait confié le parrainage du parti, le contrôle du groupe parlementaire et progressivement tous les arbitrages difficiles du gouvernement : c’est comme si le PS au terme de sa victoire décidait de confier les clés des finances à M. Woerth, le découpage électoral à M. Hortefeux et le groupe parlementaire à M. Coppé, les trois réunis dans une même personne, après qu’ils aient changé de camp ! La déception de l’opinion ne pouvait pas tarder à se manifester. De même, Hatoyama s’est trouvé fortement affaibli par les deux chefs des petits partis alliés, Fukushima pour le PSD et Kamei pour le Nouveau Parti Populaire (NPP) qui tiraillaient son gouvernement et obtenaient des concessions exorbitantes. Pour finir, la révolution sociale-démocrate s’est heurtée aux dures réalités économiques du budget. Le Japon est hélas exsangue. Avec 200% de dette publique par rapport au PIB et un déficit budgétaire de l’ordre de 8%, les marges de manoeuvre sont nulles.

L’addition était donc lourde à la fin mai, malgré les promesses positives de l’automne. Certes, le PDJ a réussi à transformer les principes de gouvernance et à rendre les comportements de l’administration plus transparents. Il a pris de forts engagements sur la question du climat et a profondément réchauffé les relations du Japon avec ses voisins asiatiques. Mais le public ne prenait plus au sérieux Hatoyama et les siens.

Début juin, le gouvernement semblait prendre un second souffle. La démission d’Hatoyama fut accompagnée du limogeage d’Ozawa et de la nomination de Naoto Kan comme nouveau premier ministre. Le programme de l’automne pouvait repartir avec une plus grande crédibilité et un soutien public de l’ordre de 65%. Les premières semaines et la nomination du cabinet furent positives.

Las ! Ce soutien public s’est écroulé : de 30 points entre mi-juin et mi-juillet, suite à une crise budgétaire. En effet, fort de son nouveau départ, le premier ministre Kan a suivi les conseils du ministère des finances et commence à préparer le public japonais à la nécessaire consolidation fiscale qui a le vent en poupe a travers le monde depuis la crise grecque. Certes, 95% de la dette japonaise est aux mains d’investisseurs nationaux et nous sommes bien loin de la situation grecque. Il reste que les économistes et le ministère estiment que le marché obligataire pourrait atteindre la saturation. Voyant que le PLD allait dans le même sens de la responsabilité, Kan a cru pouvoir préparer le public à une probable hausse du taux de la TVA de 5% à 10% en quelques années. Erreur ! Le public ne veut pas en entendre parler et s’est rebellé.

Les résultats du 12 juillet sont ainsi sans appel. On votait pour renouveler la moitie des 242 sièges de la Chambre Haute. Les démocrates n’avaient que 54 sièges en jeu et espérer au moins les conserver, et au mieux, arriver à 60 sièges pour obtenir une majorité absolue seuls à la Chambre Haute. Les prévisions leur donnaient 50 sièges probables et les estimations du soir de dimanche étaient a 48-50. Pourtant, les résultats finaux ne donnent que 44 sièges aux démocrates, une défaite cuisante pour Kan. Le PLD se trouve tout d’un coup renforcé, ayant gagné 51 sièges. Un nouveau parti pro-réforme et rebelle du PLD, Votre Parti, a gagné 10 sièges, une grande victoire. Le reste est réparti entre différents petits partis.

Qu’en conclure ? L’électorat japonais vit un malaise depuis quelques années, faisant face à une classe politique plus concentrée sur les jeux tactiques de court terme que sur une offre sérieuse d’alternatives de fond. Ses partis restent des amalgames hybrides incapables de présenter des agendas et priorités politiques lisibles et crédibles pour les électeurs. De leur côté, les électeurs restent incapables d’accepter les décisions indispensables concernant les grandes questions fiscales ou étrangères.

Le revirement des électeurs face à des partis politiques instables entraîne une vraie paralysie. Le PDJ domine toujours la chambre basse et donc le gouvernement, mais il est aux prises à de graves divisions. Il est presque certain que le parti changera de chef et donc de premier ministre avant fin septembre. Par contre, pour passer toute loi, il faut un accord de la chambre haute et il manque 11 sièges au PDJ, même en comptant son allié, le petit parti de Shizuka Kamei. Aucun autre parti ne semble prêt à s’allier au PDJ. On s’oriente donc vers un bras de fer entre les deux chambres, qui n’augure rien de bon tant au plan interne qu’international pour le Japon.