Les conséquences du Brexit pour le commerce et le niveau de vie edit

April 8, 2016

Quelles seraient les conséquences économiques d’une sortie de l'UE? Cette question est au cœur du débat sur le Brexit. Certaines études abordent cette question en analysant la façon dont les pays s'en tirent après avoir rejoint l'UE (voir Campos et al., 2014, ou Craft, 2016). Dans des travaux récents (Dhingra et al. 2016A, 2016b), nous adoptons une approche alternative qui évalue les conséquences de Brexit en modélisant directement les effets d’un départ de l'UE sur l'économie britannique.

Notre travail se concentre sur deux canaux: les échanges commerciaux et les contributions nettes au budget de l'UE. Nous présentons des résultats utilisant à la fois deux modèles différents. Dans les deux cas, nous constatons qu’une sortie de l'UE réduirait le niveau de vie au Royaume-Uni, mais l'ampleur exacte de la baisse est sujette à une incertitude considérable, puisqu’on ne sait pas quelles politiques adopterait le Royaume-Uni après un éventuel Brexit.

L'adhésion à l'UE a réduit les coûts des échanges entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, non seulement par la suppression des barrières tarifaires, mais aussi par la réduction des obstacles non tarifaires dans le cadre du marché unique européen, via l’adoption de normes européennes. La réduction des obstacles au commerce ont augmenté les échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l'UE. Avant que le Royaume-Uni ne rejoigne la Communauté économique européenne en 1973, les échanges avec la CEE représentaient un tiers du commerce extérieur britannique. En 2014, 45% des exportations et 53% des importations du Royaume-Uni se faisaient avec les pays de l’UE27. Les exportations vers l'UE représentaient 13% du revenu national du Royaume-Uni.

La croissance des échanges profite aux consommateurs britanniques, soit par la baisse des prix (concurrence et effets d’échelle), soit par l'accès à de meilleurs produits et services. Dans le même temps, les travailleurs et les entreprises du Royaume-Uni bénéficient de nouvelles possibilités d'exportations qui conduisent à une hausse des ventes et des profits et permettent au Royaume-Uni de se spécialiser dans les secteurs dans lesquels il dispose d’un avantage comparatif. Grâce à ces canaux, l'augmentation des échanges augmente la production, les revenus et le niveau de vie au Royaume-Uni.

Pour estimer l'effet d’un éventuel Brexit sur le commerce extérieur et le niveau de vie du Royaume-Uni, nous utilisons un modèle quantitatif du commerce global inspiré des travaux de Costinot et Rodriguez-Clare (2013). Notre modèle divise le monde en 31 secteurs et 35 régions. Les échanges commerciaux y sont pris en compte à la fois dans les inputs intermédiaires et la production finale des biens et des services. Le modèle intègre les effets d’un Brexit sur le commerce du Royaume-Uni avec l'UE, et avec le reste du monde.

Pour prévoir les conséquences d’une sortie de l’UE, nous devons faire des hypothèses sur la façon dont les coûts commerciaux évolueraient après le Brexit. Comme on ne sait pas exactement comment évolueraient les relations du Royaume-Uni avec l'UE, nous analysons deux scénarios: un scénario «optimiste» dans lequel l'augmentation des coûts du commerce entre le Royaume-Uni et l'UE est faible, et un scénario «pessimiste» avec une plus grande augmentation des coûts commerciaux.

Le scénario optimiste suppose que dans un monde post-Brexit, les relations commerciales du Royaume-Uni avec l'UE sont similaires à celles dont bénéficie actuellement la Norvège. En tant que membre de l'Espace économique européen (EEE), la Norvège dispose d'un accès au marché unique. Mais parce qu’elle n’est pas membre de l’Union douanière, la Norvège est confrontée à des obstacles non tarifaires qui ne sont pas applicables aux membres de l'UE, tels que les exigences des règles d'origine et les droits antidumping. Dans le scénario pessimiste, nous supposons que le Royaume-Uni n'a pas réussi à négocier un nouvel accord commercial avec l'UE et que, par conséquent, le commerce avec l'UE est régi par les règles de l’OMC. Cela implique une augmentation plus importante des coûts commerciaux que dans le scénario optimiste.

Dans les deux scénarios, nous adoptons une vue prospective. Nous supposons que l’intégration de l'UE se poursuivra au cours de la prochaine décennie et que le Royaume-Uni bénéficiera moins de cette intégration s’il quitte l'UE. Le scénario «pessimiste» suppose que l'intégration se poursuit au même rythme que durant les quatre dernières décennies, alors que le scénario «optimiste» suppose la vitesse d'intégration tombe à la moitié de son niveau historique.

Nos estimations prennent également en compte les transferts fiscaux entre le Royaume-Uni et l'UE. Comme tous les membres de l'UE, le Royaume-Uni contribue au budget de l'UE. La contribution financière nette du Royaume-Uni au budget de l'UE est d'environ 0,53% du revenu national (HM Treasury 2013). Un des avantages du Brexit pour le Royaume-Uni serait évidemment de réduire sa contribution au budget de l'UE. Mais le Brexit ne signifierait pas nécessairement que cette contributions tombe à zéro.

Car en contrepartie de l'accès au marché unique, les membres de l'EEE comme la Norvège font des paiements substantiels à l'UE. En raisonnant sur une base par habitant, la contribution financière de la Norvège à l'UE représente 83% de celle du Royaume-Uni (House of Commons, 2013). Par conséquent, dans le cas optimiste, nous supposons que la contribution du Royaume-Uni au budget de l'UE diminue de 17% (soit 0,09% du revenu national).

Dans le cas pessimiste nous supposons que la contribution du Royaume-Uni baisse davantage. Les données d'Eurostat montrent que, après prise en compte de l'argent que le Royaume-Uni reçoit de l'UE pour financer la recherche, les entreprises et autres organismes non gouvernementaux, la contribution britannique au budget de l'UE représente 0,31% du revenu national. Par conséquent, dans le cas pessimiste, le Royaume-Uni évite donc une dépense représentant 0,31% du revenu national.

Le tableau 1 résume nos résultats. Pour chaque cas, nous rapportons la variation en pourcentage du revenu par habitant. Le scénario optimiste prédit une baisse globale des revenus de 1,28%, largement due aux évolutions actuelles et futures des barrières non tarifaires. Les barrières non tarifaires jouent un rôle particulièrement important dans la restriction du commerce des services, un domaine où le Royaume-Uni est un grand exportateur. Dans le scénario pessimiste, la perte globale s’élève à 2,61%.

Dans les deux scénarios, les coûts d’une réduction des échanges l'emportent largement sur les économies budgétaires. En termes de trésorerie, le Brexit réduit le revenu moyen par ménage au Royaume-Uni de 850 livres par an dans le scénario optimiste et et 1700 livres par an dans le scénario pessimiste.

Tableau 1. Effets de Brexit sur ​​le niveau de vie au Royaume-Uni

Source: Dhingra et al. 2016A.
Remarques: Scénario optimiste: Augmentation des barrières non tarifaires dans les échanges UE / Royaume-Uni (+ 2%) + exclusion de la baisse future des barrières non tarifaires au sein de l'UE (-5,7%) ; économie de 17% sur un transfert fiscal représentant 0,53% du PIB. Scénario pessimiste: augmentation des barrières tarifaires et non-tarifaires dans les dans les échanges UE / Royaume-Uni (+ 6%) + exclusion de la baisse future des barrières non tarifaires au sein de l'UE (-12,8%) ; suppression du transfert fiscal net de 0,31% du PIB.

Après le Brexit, le Royaume-Uni ne serait plus lié par le tarif extérieur commun de l'UE sur les importations. Les partisans d’une sortie de l'UE soutiennent que le Royaume-Uni pourrait bénéficier de ce changement en retirant unilatéralement tous les droits de douane sur les importations. Pour étudier cette politique de libéralisation unilatérale, nous devons recommencer notre analyse avec l'hypothèse supplémentaire que le Royaume-Uni supprime tous les droits de douane à l'importation.

Le tableau 2 présente les résultats. Nous constatons que la libéralisation unilatérale réduit les coûts du Brexit de 0,3 points de pourcentage dans les deux scénarios. Mais l'effet global du Brexit est toujours négatif. La raison en est que les tarifs de l'OMC sont déjà faibles, de sorte que de nouvelles réductions ne font pas grande différence. Dans le monde d'aujourd'hui, l'intégration n’est pas une question de baisse des taux tarifaires. Elle demande des politiques, jouant par exemple sur les différences réglementaires dans la prestation des services, qui reposent sur un accord international et ne peuvent être atteintes de manière unilatérale.

Tableau 2. Effets du Brexit et d’une libéralisation unilatérale des échanges sur le niveau de vie au Royaume-Uni

Source: Dhingra et al. 2016A.
Note: Cela comprend la simulation du retrait unilatéral de tous les droits de douane sur les importations dans le Royaume-Uni.

Les estimations présentées dans les tableaux 1 et 2 sont fondées sur un modèle de commerce statique qui ne tient pas compte des effets dynamiques du commerce sur la productivité. Des recherches récentes concluent que les effets dynamiques peuvent doubler ou tripler la taille des effets statiques rapportés dans le tableau 1 (par exemple, Bloom et al., 2014, Sampson, 2016).

Une autre façon d'évaluer les conséquences de Brexit est d'utiliser les résultats d’études empiriques de forme réduite sur les effets de l'adhésion à l'UE. Baier et al. (2008) constatent que, après contrôle des autres déterminants du commerce bilatéral, les membres de l'UE échangent beaucoup plus avec d'autres pays de l'UE qu’avec les membres de l'EEE ou de l'AELE. Leurs estimations impliquent que, si le Royaume-Uni quitte l'UE et rejoint l'AELE, ses échanges commerciaux avec les pays de l'UE diminueront d'environ un quart.

En combinant ceci avec des estimations qui associent une baisse de 1% dans le commerce à une réduction du revenu par habitant comprise entre 0,5% et 0,75% (Feyrer 2009), on peut conclure que quitter l'UE et rejoindre l'AELE réduirait le revenu par habitant de 6,3 à 9,5%. Ces estimations sont beaucoup plus élevés que les coûts obtenus à partir du modèle statique, ce qui suggère que les gains dynamiques du commerce peuvent être importants.

Les conséquences économiques d’une sortie de l'UE dépendraient des politiques adoptées par le Royaume-Uni après un éventuel Brexit. Mais la baisse des échanges commerciaux associée à une moindre intégration avec les pays de l'UE est susceptible de coûter à l'économie britannique beaucoup plus que ce que le pays économiserait dans sa contribution au budget de l'UE.

Même en faisant abstraction des effets du Brexit sur les investissements étrangers ou l’immigration et en mettant de côté les conséquences dynamiques d’une baisse des échanges, nous estimons que les effets de Brexit sur le commerce et la contribution du Royaume-Uni au budget de l'UE conduirait à une baisse des revenus compris entre 1,3% et 2,6%. Et en incluant les effets à long terme d’une moindre intégration commerciale sur la productivité, la baisse de revenus est comprise dans une fourchette de 6,3% et 9,5%. Les avantages politiques ou économiques possibles du Brexit, comme une meilleure réglementation, devraient donc être considérables pour l'emporter sur de telles pertes.

La version anglaise de cet article est publiée par notre partenaire VoxEU.

Références

Baier, S. L., J. H. Bergstrand, P. Egger and P. A. McLaughlin (2008) ‘Do Economic Integration Agreements Actually Work? Issues in Understanding the Causes and Consequences of the Growth of Regionalism’, World Economy 31(4): 461-97.
Bloom, N., P. Romer, S. Terry and J. Van Reenen (2014) ‘A Trapped Factors Model of Innovation’, Centre for Economic Performance Discussion Paper No. 1261.
Campos, N., F. Coricelli and L. Moretti. (2015) ‘Economic Growth and Political Integration: Synthetic Counterfactuals Evidence from Europe’, mimeo.
Costinot, A., and A. Rodriguez-Clare (2013) ‘Trade Theory with Numbers: Quantifying the Consequences of Globalization’, CEPR Discussion Paper 9398.
Crafts, N. (2016) ‘The Growth Effects of EU Membership for the UK: A Review of the Evidence’, University of Warwick mimeo.
Dhingra, S., H. Huang, G. Ottaviano, J.P. Pessoa, T. Sampson and J. Van Reenen (2016a) ‘The Costs and Benefits of Leaving the EU: Trade Effects’, Centre for Economic Performance Technical Report.
Dhingra, S., G. Ottaviano, T. Sampson and J. Van Reenen (2016b) ‘The Consequences of Brexit for UK Trade and Living Standards’, Centre for Economic Performance Brexit Analysis 02.
Feyrer, J. (2009) ‘Trade and Income – Exploiting Time Series in Geography’, NBER Working Paper No. 14910.
HM Treasury (2013) ‘European Union Finances 2013’, 19th November.
House of Commons (2013) ‘Leaving the EU’, Research Paper 13/42, 1st July.
Sampson, T. (2016) ‘Dynamic Selection: An Idea Flows Theory of Entry, Trade and Growth’, Quarterly Journal of Economics 131(1): 315-80, 131(1): 315-380.