Changement climatique : des permis plutôt que des taxes edit

26 juin 2007

A côté de l'industrie (29 % du total des émissions de gaz à effet de serre en France), soumise au système européen d'échange de quotas d’émissions de CO2 depuis 2005, les autres sources majeures d'émissions sont les transports (21 %, dont 94 % par la route) et le bâtiment résidentiel et tertiaire (20 %). Pour lutter contre le changement climatique dans ces deux secteurs on a avancé l'idée d'une taxe carbone pour inciter à la réduction de la consommation de combustible fossile de préférence au marché de permis d'émission. Et si la deuxième solution était préférable ?

Si le but est de limiter les quantités de CO2 émises, pourquoi ne pas distribuer gratuitement des « droits » ou crédits à consommer ce carburant fossile, à hauteur de l’objectif total à atteindre chaque année ? Par exemple, pour commencer en année 1, cela donnerait en ordre de grandeur la distribution de droits correspondant aux 27 milliards de litres de carburant diesel ou essence consommés par les voitures particulières en France en 2005, soit par personne – enfant ou adulte résidant en France – des droits pour 450 litres par an. Sur la base d’une consommation moyenne de 8 litres au 100, cela équivaudrait à 5600 km en voiture par an, soit 22 400 km pour une famille de 4 personnes. Les familles disposeraient donc en « co-voiturant » de marges de manœuvre à proportion de leur taille, un couple de deux actifs pourrait arbitrer entre celui qui habite près de son travail et l’autre plus loin, des grands-parents économiseraient leurs droits pour les offrir à leurs petits-enfants qui pourraient ainsi partir en voyage de noces à l’autre bout du monde, etc. Le rythme de réduction des droits alloués chaque année serait annoncé sur plusieurs dizaines d’années, et ajusté périodiquement par une autorité régulatrice indépendante des gouvernements en place.

Combien cela coûterait-il ? Les opérations de consommation de droits (au prorata du contenu en carbone du carburant acheté) seraient validées au moment de l’achat à la pompe grâce à des cartes de « crédit carbone ». Cela nécessiterait d’abord la fabrication des cartes à puce, ou la modification des cartes bancaires existantes, au moment de leur renouvellement périodique. En outre, il faudrait modifier les logiciels embarqués dans les automates CB des pompes à carburant. L’achat de droits supplémentaires et la vente des droits inutilisés pourraient se faire par Internet, auprès de sa banque ou de commerces. Pour donner un ordre de grandeur, le coût de mise en place de la Carte Vitale II est estimé à 200 millions d’euros : est-ce trop demander pour une question aussi vitale (!) que les émissions de CO2 ? Une redevance minime, de l’ordre du centime d’euro par droit-litre acheté, pourrait largement financer ensuite le fonctionnement de ce système, sachant que nos propres travaux estiment qu’environ 2 milliard de droits par litre de carburant seraient échangés chaque année.

Ces droits à consommer du carburant devraient être échangeables sur un marché. Cela afin de permettre à ceux qui ne voudraient ou ne pourraient pas à court terme réduire leur consommation de carburant d’acheter des droits en complément de leur allocation gratuite. Celui qui choisirait d’habiter en ville, d’utiliser les transports en commun ou le vélo, en fréquentant les commerces de proximité, pourrait revendre ses droits inutilisés. De même pour celle qui achèterait une voiture moins puissante ou qui économiserait sur la climatisation en été. L’avantage palpable du fait de la revente des droits inutilisés serait pour chacun une incitation forte à économiser le carburant au-delà de son allocation gratuite, ce qui rend cet instrument plus efficient que la taxe. Bien évidemment, comme les transactions seraient opérées librement sur le marché, avec un prix connu de tous, il n’y aurait aucun risque de marché noir.

Mais alors, les riches pourraient s’acheter à bon compte le droit de polluer ? Soulignons tout d’abord qu’il ne s’agit pas de créer des « droits à polluer » mais de poser des restrictions à cette pollution, là où il n’en existe pas aujourd’hui. Parce que les riches consomment plus de carburant fossile que les moins riches (que ce soit en voiture ou par avion), une redistribution s’opérerait des premiers vers les seconds.

L’autorité régulatrice fixerait le prix maximum des droits, auquel elle vendrait des droits supplémentaires, pour éviter que le prix sur le marché monte à des valeurs inacceptables : ce prix jouerait également le rôle de taxe libératoire. Cette autorité aurait donc un rôle régulateur fort, en fixant la quantité de droits distribués et le montant de la taxe libératoire. En outre, ceux qui ne voudraient pas se soucier de ce système pourraient immédiatement revendre leurs droits alloués et acquitteraient la taxe libératoire lors de leurs achats de carburant à la pompe. Bien entendu, un système similaire devrait également être mis en place pour les entreprises en ce qui concerne le transport de marchandises et les déplacements professionnels de leurs collaborateurs.

En résumé, un objectif simple, concret, à savoir la réduction de la consommation de carburant fossile, serait fixé au secteur des transports. Une même quantité de droits serait distribuée gratuitement à tous les résidants en France. Les échanges de droits se feraient entre consommateurs de carburant, sans autre intervention de la puissance publique que son rôle de régulateur évoqué plus haut. Il n’y aurait pas de velléité de résoudre en même temps d’autres problèmes comme le coût du travail – le mieux est l’ennemi du bien –, pas de suspicion d’un Etat qui s’engraisserait au passage. Franchement, l’idée ne vaut-elle pas le coup d’être creusée et débattue ?