La fin du roi dollar? edit

2 novembre 2009

Le dollar baisse, apparemment inexorablement. La Chine, suivie par la Russie et un cortège d’autres pays, demande une monnaie internationale de remplacement. Un rapport des Nations-Unies s’est emparé du sujet. En France on n’a pas oublié le « privilège exorbitant », dénoncé par de Gaulle. Approchons-nous de la fin du roi dollar ?

Un certain nombre de gens pensent que la crise va donner un coup d’accélérateur à une évolution inéluctable. Le dollar a remplacé la livre britannique durant l’entre-deux-guerres parce que la Grande-Bretagne est sortie meurtrie de la Grande Guerre, parce que le Chancelier de l’Échiquier, un jeune ministre du nom de Winston Churchill, a commis une erreur massive en surévaluant la livre, et parce que le grand empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais était en bout de course. La crise financière est un de ces chocs qui peuvent bousculer la suprématie des monnaies. La faiblesse du dollar pourrait ainsi apparaitre comme un signe avant-coureur de la perte de son statut de monnaie internationale. Qui en effet veut continuer à détenir une monnaie qui s’affaiblit de jour en jour ? Les futures puissances économiques du monde, la Chine, l’Inde, le Brésil en particulier, ont clairement indiqué qu’elles ne voulaient pas que le statu quo se perpétue.

Ce raisonnement est plausible. Est-il aussi probable ? À long terme, dans vingt ou cinquante ans, oui. Pour que ce moment arrive plus vite, il faudrait qu’un certain nombre d’événements se produisent.

En premier lieu, il faudrait que la crise actuelle annonce vraiment le déclin des États-Unis et de leur monnaie. La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît. Le fait que ce soient des problèmes internes aux États-Unis – la crise du crédit hypothécaire – qui ont plongé le monde dans la récession pourrait indiquer que l’économie américaine reste, et de loin, l’économie dominante. Que ce soit l’effondrement des banques américaines qui aient amené le système financier mondial au bord de l’implosion nous rappelle que Wall Street domine totalement le monde de la finance, avec la City de Londres dans le rôle du distant second. Les chutes de Bear Stearns et de Lehman Brothers ont surtout profité à leurs concurrents de Wall Street qui sont aujourd’hui plus puissants que jamais. Le retour en force des bonus signale que les profits y sont à nouveau substantiels. Ça ne ressemble pas vraiment à un affaiblissement durable de Wall Street.

La deuxième question est celle de la faiblesse du dollar. Il est bas, mais pas historiquement bas. Il pourrait bien baisser encore et battre ses records. Le fera-t-il et sera-ce durable ? Il y a beaucoup de raisons de répondre oui, mais autant de raisons d’en douter. Si l’on croit la rumeur qui court sur les marchés, la baisse du dollar reflète la conviction que la Réserve Fédérale va maintenir son taux d’intérêt proche de 0% pendant bien plus longtemps que la BCE et que l’inflation va augmenter plus vite aux États-Unis qu’en Europe. Peut-être, mais peut-être aussi que la reprise y sera plus vigoureuse que chez nous et que les marchés chanteront bientôt les louanges du dynamisme économique américain. D’autres rumeurs mettent l’accent sur le déficit externe des États-Unis et concluent que seule une forte dépréciation de dollar y mettra fin. Peut-être, mais les grands déficits externes durent depuis 2001 et, depuis lors, le dollar connu des bas mais aussi des hauts. L’autre cause possible serait les déficits publics américains qui pourraient amener la dette du gouvernement à 100% du PIB. Mais la situation n’est pas meilleure en Europe. En matière de taux de change, une seule chose est sûre : nous sommes toujours surpris.

À supposer que les États-Unis et le dollar soient durablement mal en point, y a-t-il une monnaie concurrente ? Certains veulent croire en la bonne étoile de l’euro. Une monnaie internationale doit être stable avec un faible taux d’inflation. De ce point de vue, l’euro est bien placé, mais ça ne suffit pas (sinon le franc suisse serait devenu la monnaie internationale depuis bien longtemps). Il faut que la monnaie s’appuie sur une économie de taille. D’une taille comparable à celle des États-Unis, la zone euro peut rivaliser avec eux, mais ce n’est qu’un match nul, pas de quoi renverser une situation établie de longue date. Il faut enfin que les marchés financiers soient profonds, c’est-à-dire qu’on puisse y exécuter des ordres de taille importante sans secouer le marché. Dans ce domaine, la zone euro n’est pas compétitive. Ses marchés et ses produits-clés, les bons du Trésor, sont morcelés entre les pays membres. D’ailleurs la bourse de Paris s’est associée avec celle de New-York, pas celle de Francfort. Ce n’est pas un hasard, ni d’ailleurs une mauvaise stratégie.

Qu’en est-il de la puissance en devenir qu’est la Chine ? Elle est… en devenir. Sa monnaie n’est même pas convertible, ses marchés financiers sont lacunaires. Les autorités chinoises sont, pour l’instant, décidés à accrocher leur taux de change au dollar, c’est dire qu’ils ne se voient pas en concurrents. Il est difficile de trouver une autre monnaie qui puisse concurrencer le dollar.

C’est sans doute pour cela que ceux qui veulent détrôner le dollar défendent l’idée de développer les DTS, ces droits de tirages spéciaux émis par le FMI. C’est une idée qui (re)circule périodiquement depuis la création du FMI. Ses défenseurs citent le négociateur anglais à Bretton Woods, Keynes, qui avait proposé de créer une monnaie mondiale. Il a perdu cette bataille, en partie parce que les États-Unis étaient la puissance dominante, mais aussi parce que créer une monnaie mondiale est une entreprise exaltante mais extraordinairement difficile. Les DTS ne sont pas de la monnaie, ils ne circulent pas. Ils ne servent qu’à régler une (petite) partie des prêts (en devises, dollar en tête) du FMI, un peu comme les ECUs ne servaient qu’à régler des comptes au sein de la Communauté Européenne et n’ont jamais existé en tant que monnaie. Pour qu’une monnaie mondiale voie le jour, il faudrait créer une banque centrale mondiale, une autorité indépendante des gouvernements. Quand on voit les difficultés que nous Européens avons eues, et le temps qu’il nous a fallu pour créer la BCE, on peut commencer à imaginer les obstacles politiques qui se dressent devant un tel projet. De plus, le dollar s’appuie sur la puissance économique des États-Unis, l’euro sur celle de l’Europe, etc., mais une monnaie mondiale serait apatride de naissance. Établir sa crédibilité serait aussi difficile, sinon plus, que de faire trembler les dictateurs devant les casques bleus.