Constitution Européenne : une vie après la mort ? edit

15 mai 2006

Les gouvernements français et néerlandais n'ont aucun plan pour revenir sur les résultats des référendums, et l'Union Européenne ne peut donc mettre en oeuvre la Constitution. Celle-ci pourrait certes être renégociée, mais un nouveau texte n'agréerait probablement pas aux Etats-membres qui soutiennent vigoureusement le Traité actuel. Et ce pour une simple raison : les préférences des 10 (ou 12) nouveaux membres sont généralement moins fédéralistes, moins tournées vers l'Europe sociale et plus favorables au marché que celles des 15. Un texte renégocié n'ira pas donc pas dans le sens des anciens Etats-membres qui soutiennent aujourd'hui la Constitution. Personne ne sacrifiera donc son capital politique pour imposer une renégociation. En bref, le Traité Constitutionnel est mort.

Que faire alors ? Personne ne peut répondre à cette question avec certitude, mais je crois que toute réponse doit tenir compte de l'ordre des événements qui ont mené jusqu'à la Constitution - la voie de l'échec - et de la logique d'économie politique qui les a sous-tendus. Car cette logique est toujours opérante, et elle sera probablement à l'origine de la suite. Pour comprendre ce que peut être la prochaine étape, il nous faut analyser les problèmes auxquels la Constitution devait remédier, en distinguant soigneusement les questions urgentes et évidentes et les autres. Les premières forment l'agenda politique de l'Union pour les années à venir.

Il est très difficile de classer les questions de façon catégorique, mais le comportement des dirigeants de l'Union peut nous donner quelques pistes. Un raisonnement selon les "préférences révélées", pour reprendre le jargon des économistes, suppose que l'on ne connaît les convictions des gens qu'une fois prises les décisions importantes; les conversations qui précèdent n'ont en revanche aucune valeur. S'agissant de la Constitution, c'est d'autant plus vrai que les arguments avancés en safaveur furent nébuleux, et qu'ils ont intentionnellement dénaturés et brouillés par les partisans du non.

Je crois que la voie de l'échec commence en 1993 avec la décision de l'élargissement. Celui-ci imposait à l'UE d'entreprendre une difficile réforme institutionnelle. Les deux premières tentatives - le Traité d'Amsterdam et le Traité de Nice - ont échoué. Les dirigeants de l'Union Européenne ont admis publiquement le premier échec, mais pas le second: cela aurait retardé l'élargissement. Ils l'ont pourtant admis implicitement en 2001 dans la Déclaration de Laeken, qui crée la Convention avec comme mission de proposer des réformes institutionnelles pour corriger le Traité de Nice avant même avant que celui-ci ne soit complètement entré en vigueur. En outre, pendant la Conférence intergouvernementale de 2003, les dirigeants de l'UE se sont vu offrir le choix par la Présidence italienne de conserver les règles du Traité de Nice, mais ils ont fait le choix décisif de laisser la Conférence s'achever sur un échec. Ces choix révèlent que les dirigeants de l'Union, c'est-à-dire les hommes et les femmes le mieux placés en Europe pour savoir, ont cru que les réformes institutionnelles du Traité de Nice ne fonctionneraient pas (notamment en ce qui concerne les règles de vote au Conseil des ministres et la composition de Commission).

A mon sens, il ne faut pas voir le Traité Constitutionnel comme un pas important dans l'intégration européenne, un pas dont le refus constituerait un échec décisif. Avoir nommé "constitution" ce nouveau traité et l'avoir promu comme une étape décisive de l'intégration européenne fut essentiellement une question de marketing. C'était un rideau de fumée politiquement correct, qui aurait permis aux dirigeants de l'Union de réparer leurs erreurs de Nice sans les admettre. Enfin, ils n'ont jamais explicitement demandé une Constitution. Ce que Peter Norman a appelé une "Constitution accidentelle" dans un livre paru en 2003 est sorti de la Convention comme un expédient politique pour faire passer une réforme institutionnelle urgente et évidente, mais politiquement pénible, en l'emballant avec assez d'édulcorants politiques pour obtenir le soutien des 15 Etats membres qui avaient alors un droit de veto.

L'Europe est aujourd'hui confrontée à deux faits. Tout d'abord, la stratégie marketing a échoué; le rideau de fumée était si dense que les citoyens français et néerlandais n'ont pas pu voir pas voir pourquoi l'Europe avait besoin du Traité. Ensuite, la prise de décision dans l'Union est aujourd'hui régie par les règles du Traité de Nice que les dirigeants de l'Union avaient explicitement rejetées en 2003. Pire encore, ces règles continueront à s'appliquer jusqu'à ce qu'un nouveau traité les modifie.

Manifestement l'UE a besoin d'un nouvel outil pour réparer le cafouillage du Traité de Nice. Si l'histoire doit nous servir de guide, cet outil sera constitué des réformes institutionnelles urgentes et évidentes, mais politiquement pénibles, avec assez d'édulcorants pour obtenir le soutien unanime de l'UE 25 (ou 27). Comment obtenir ce soutien ? Après quelques années de difficultés dans la prise de décision, les dirigeants de l'UE auront moins de difficultés à réclamer une réforme institutionnelle. De plus, puisque seuls quelques-uns des chefs d'Etat qui ont signé le Traité de Nice en décembre 2000 seront encore en fonction, il sera plus facile de reconnaître que ses réformes ont échoué. La révision du budget, en 2008 ou 2009, sera l'occasion de trouver des arguments. Le temps sera venu alors de réparer les dégâts du Traité de Nice.