Le plan pour l'emploi des seniors et ses zones d'ombre edit

12 juillet 2006

La faiblesse du taux d’emploi des seniors compte pour moitié dans le problème de l’emploi en France. Le plan pour l’emploi des seniors entend apporter une réponse à un diagnostic indiscutable. Y parvient-il ?

Avant de répondre à cette question, il est nécessaire de lever un tabou : les discriminations observées à l’encontre des travailleurs les plus âgés résultent d’un phénomène économique rationnel. Pourquoi investir dans la recherche et la création coûteuses d’un emploi qui ne durera au maximum que 2 ans pour un travailleur de 58 ans ? L’intérêt économique est faible tant pour l’entreprise que pour le travailleur. De la même manière, en cas d’arbitrage en matière de licenciement, les perspectives de profits futurs pour compenser une « mauvaise passe » sont par définition moindres sur des postes occupés par des travailleurs âgés. Ils sont donc spontanément les plus exposés aux licenciements. Les études récentes en témoignent.

Le plan pour l’emploi des seniors prévoit une multitude de dispositions (31 actions au total). Elles concernent trois types d’institutions.

La suppression progressive de la contribution Delalande d’ici 2008 constitue l’aveu d’échec d’une institution mise en place dès 1987. La taxe Delalande s’apparente à une contribution dédiée au financement de l’assurance chômage payée par l’entreprise en cas de licenciement d’un travailleur âgé de plus de 55 ans (dans le dispositif originel de 1987). Les études existantes concluent à la faiblesse des effets macroéconomiques de cette taxe. Cela tient à deux motifs. Si cette taxe supplémentaire conduit effectivement les entreprises à moins licencier les travailleurs de plus de 55 ans, elle tend non seulement à réduire les créations d’emploi pour les travailleurs de plus de 55 ans par un effet de coût anticipé, mais aussi à augmenter la fréquence des licenciements des moins de 55 ans. Face à une activité économique incertaine, un poste occupé par un travailleur de 54 ans deviendra en effet plus fragile du fait de la surtaxe, l’entreprise ayant intérêt à s’en prémunir en le licenciant avant qu’elle ne devienne éligible à cette contribution. Les différentes réformes de ce dispositif intervenues entre juillet 1992 et août 2003 visent précisément à contrecarrer ses effets pervers, en reculant l’âge d’éligibilité à 50 ans, et en exonérant de cette contribution les travailleurs embauchés après 45 ans. Ces ajustements tendent toutefois nécessairement à reporter sur des classes d’âges inférieures les effets pervers du système, en exposant les travailleurs de moins de 50 ans à plus de licenciements. Le plan senior présenté par le gouvernement entérine la suppression de ce dispositif.

Le « contrat senior » (CDD de 18 mois renouvelable une fois pour l’embauche d’un travailleur de plus de 57 ans) s’inscrit dans une logique opposée à celle de « Delalande » : en réduisant les coûts anticipés liés à la destruction d’emplois, ce CDD est favorable à la création d’emplois pour les plus de 57 ans. En revanche, des effets de substitution peuvent demeurer entre classes d’âge et remettre en cause l’effet macroéconomique de cette mesure. Pourquoi une entreprise embaucherait-elle un travailleur de 56 ans qui ne lui donne pas accès à la flexibilité du CDD senior ? Mieux vaut cibler un travailleur de 57 ans ou plus. L’augmentation du taux d’emploi des 57-59 risque donc de se faire au prix d’une diminution du taux d’emploi des 55-57 ans. Il est donc fort peu probable que ce type de mesure ciblée soit à la hauteur du défi posé, ce qui illustre une nouvelle fois le besoin d’une réforme généralisée du système de protection de l’emploi en France.

Le plan senior prévoit dans son volet réinsertion sur le marché du travail une offre de prestations spécifiques du service public de l’emploi : « l’accompagnement des seniors par le service public de l’emploi fera l’objet de parcours différenciés ouvrant droit à une offre de services adaptée à leurs besoins ». Encore faut-il que des demandeurs d’emploi s’adressent à ce service public de l’emploi. Depuis 1986 existent en effet des dispenses de recherche d’emploi (DRE) à partir de 55 ans ou 57 ans selon les cas, qui permettent aux demandeurs d’emploi d’être affranchis des démarches de recherche d’emploi tout en conservant les indemnités chômage et l’ensemble des droits sociaux. Ce dispositif concerne aujourd’hui 400 000 personnes, et il s’est en fait substitué à la diminution des préretraites de sorte que l’effectif total des retraits anticipés de l’activité du secteur privé reste stable, aux alentours de 530 000 personnes depuis 1994. Le dispositif DRE ne pèse pas seulement sur l’emploi des plus de 57 ans, mais aussi sur les âges inférieurs, par des effets d’anticipations qui contribuent à réduire l’effort de recherche des chômeurs et faire pression à la hausse des salaires. La suppression de ce dispositif n’est pourtant pas d’actualité.

Mais le plan ne se limite pas à des propositions sur l’emploi des 55-60 ans, il envisage aussi les plus de 60 ans. Il est clairement établi que tout dispositif favorisant des départs en retraite retardés, au-delà de 60 ans, est à l’origine d’un « double dividende » pour les caisses de retraite, en limitant les pensions versées et en augmentant les cotisations perçues du fait d’une stimulation de l’emploi des plus de 60 ans. Le plan senior prévoit différentes mesures allant dans ce sens : promotion de la retraite progressive, consolidation du caractère incitatif de la surcote, amélioration du régime de cumul emploi-retraite pour les bas salaires…

Ces aménagements sont également susceptibles de stimuler l’emploi des seniors dès 55 ans, via l’effet de la distance vis-à-vis de la retraite (horizon) sur le comportement à la fois des travailleurs et des entreprises. Les données OCDE mettent d’ailleurs en évidence l’existence d’une relation croissante entre le taux d’emploi des 55-59 et l’âge de départ en retraite effectif. En particulier, les entreprises seront d’autant plus enclines à recruter et maintenir en emploi des travailleurs de 55 ans qu’elles anticiperont une durée d’emploi de 7 ou 8 ans plutôt que 4 ou 5.

Les différents aménagements des fins de carrière proposés par le plan senior, nouvelle étape d’une remise en cause de l’horizon de sortie du marché du travail figé à 60 ans, constitue donc indéniablement un gage de pérennisation des comptes sociaux (et plus largement des finances publiques). Mais l’effet macroéconomique du CDD senior étant incertain et la réforme de l’assurance chômage tout bonnement absente, les ajustements complémentaires du système de retraite constituent finalement le point décisif du plan gouvernemental.

Certains invoqueront, en retenant une conception keynésienne de fonctionnement du marché du travail, que le maintien en emploi des seniors se fera au prix d’une baisse de l’emploi des jeunes, déjà confrontés à une situation critique. Si cette conception peut être pertinente dans certains secteurs et à très court terme, où l’objectif des entreprises est simplement d’honorer leurs commandes, à plus long terme la rentabilité de l’emploi est in fine ce qui détermine la demande de travail. Les pays qui ont le plus fort taux d’emploi des seniors sont d’ailleurs ceux pour qui le problème de l’insertion des jeunes se pose le moins. Le problème de l’emploi en France concerne les moins de 30 ans et les plus de 50 ans. Plutôt qu’opposer ces générations, la résolution des difficultés d’insertion des jeunes doit aller de pair avec l’augmentation de l’emploi des plus de 55 ans.