Ego media edit

27 janvier 2007

Jusqu'à présent, les médias s'accommodaient plutôt bien d'un "Web contemplatif", nouvelle plateforme de distribution. Ils sont aujourd'hui court-circuités par un "Web contributif" de seconde génération, qui se développe autour d'un gigantesque partage d'informations. Le magazine Time a ainsi désigné "Vous, les lecteurs", ou plutôt vous, les internautes, qui "contrôlez l'âge de l'information", comme "Personne de l'année 2006".

Ce partage, à l'échelle du quartier ou de la planète, se fait grâce aux blogs, flux RSS, podcasts, wikis, agrégateurs d’informations, sites de partage de photos et vidéos ou de journalisme citoyen. Il modifie en profondeur les comportements, et fragilise les acteurs de la presse, drogués depuis toujours au “We talk, you listen”. Les digital natives, ceux qui ont grandi avec l’Internet, prennent désormais la parole. Ils n'écoutent plus les mandarins et s'approprient les outils des scribes. Ils deviennent lecteurs-auteurs, auditeurs-photographes, téléspectateurs-vidéastes-producteurs...

Cette prolifération inédite de nouveaux émetteurs ébranle autant la mission sociale, voire civique, des journalistes que les modèles économiques de leurs employeurs. Les médias traditionnels ne peuvent plus rester à l'écart d’une révolution qui désormais inverse la rareté. D'une poignée de journaux et quelques chaînes de télévision et de radios, l'offre médiatique est devenue surabondante, pleine de confusion, alimentée par une profusion de nouvelles technologies, faciles à utiliser et bon marché.

Cette révolution numérique offre de formidables opportunités aux médias en place. L'appétit pour l'information, et les médias en général, n'a probablement jamais été aussi grand. Les Américains passent ainsi près de 10 heures par jour à regarder la télévision, surfer sur l’Internet, lire des livres, des journaux et des magazines ou écouter de la musique. Ensuite, les canaux de distribution, donc les moyens de toucher le public, se multiplient : portails, sites web des journaux, moteurs de recherche, flux de syndication, blogs, d'ailleurs souvent bâtis grâce au labeur des journalistes.

A contrario, aucun grand média, ou presque, n'a encore trouvé la solution pour rentabiliser sur le Web ses contenus. Le public, et surtout les jeunes, entend désormais consommer où il veut, quand il veut et gratuitement. Pire, certaines des plus grandes signatures de la presse écrite, comme au Washington Post, quittent le navire pour lancer leurs communautés d'intérêts sur le Web.

Mois après mois, la diffusion de la presse écrite payante continue de chuter dans les pays riches. Certains prédisent la fin du support papier. Les recettes publicitaires diminuent et migrent vers l'Internet. Elles y sont toutefois encore insuffisantes pour faire vivre des rédactions, dont les ressources, aujourd'hui, rétrécissent. Les groupes de télévision sont déstabilisés par l’essor de la consommation à la demande.

Dans un tel chaos, né avant tout d'une rupture technologique et de nouveaux comportements, le salut ne peut venir que de l'expérimentation. Il n'est pas encore trop tard pour les grands médias, s'ils agissent rapidement. En Grande Bretagne, la BBC, et, de manière moins spectaculaire mais très efficace, le quotidien The Guardian, n’ont pas peur de tâtonner et multiplient les expérimentations sur le Web. Ils font aussi de plus en plus participer le grand public à leurs missions d’information. Aux Etats-Unis, CNN invite les téléspectateurs à envoyer leurs informations sous forme de photos, de textes ou de vidéos. Le vénérable New York Times, très actif sur l’Internet, réfléchit à utiliser des contenus produits par des non journalistes.

Sous la pression d’un phénomène déstructurant, les rédactions adoptent les nouveaux outils de cette révolution numérique. Les reporters de journaux partent de plus en plus souvent en reportage avec des mini caméras vidéo. Les rédactions jouent sur l’agrégation d’informations provenant de sources diverses, sur la personnalisation. Elles parient aussi sur la réputation, fondée ou non, de fiabilité et de sérieux des organes de presse qu’elles représentent : dans le bruit actuel, leurs marques sont des balises et des repères pour le public. Reste à capter son attention. Le temps disponible est bien devenu la denrée la plus rare aujourd’hui.

D'ores et déjà, la migration des contenus vers des supports variés (papier, PC, TV, mobiles) se généralise. Les Etats-Unis et l'Asie mènent la danse, et l'Europe bénéficie d'un meilleur haut débit. Mais tout ne va pas aussi vite que le souhaiteraient les grands acteurs technologiques. La haute définition pour la télévision et l’apparition de contenus pertinents pour les téléphones mobiles ne sont pas mûrs, en Europe ou aux Etats-Unis.

2006, année du Web 2.0, a vu la déferlante de tous les contenus sur le Web, y compris et surtout la vidéo, l'explosion des blogs et des réseaux communautaires, la sophistication accrue de Google, l'exigence de la consommation à la demande, notamment pour la télévision et via les podcasts pour les radios, l'expansion du haut débit et du wi-fi, un début d'utilisation des mondes virtuels comme Second Life. Pour la première fois, le temps passé en ligne par les Européens a dépassé celui consacré aux journaux et aux magazines.

2007 : le très haut débit devrait devenir monnaie courante, tout comme les capacités de stockage élevées et bon marché. La vidéo va continuer d'envahir le Web. De nouveaux business modèles pourraient apparaître pour rémunérer les producteurs de contenus, peut-être hors du cadre des médias traditionnels. L'usage des mobiles comme support de contenus, y compris vidéos, devrait s'accélérer, même si les utilisateurs restent hésitants. Il faudra avant tout suivre les usages des jeunes générations.