L'université est aussi un marché edit

28 mai 2007

L'autonomie des universités semble devoir être un chantier prioritaire du nouveau gouvernement. Mais derrière ce terme se cachent plusieurs enjeux. L'un porte sur la revalorisation de la condition des enseignants et notamment la levée d'un tabou : leur rémunération sur une base personnelle tenant compte de leurs performances. L'université est aussi un marché. Thierry Madiès nous donne ici son point de vue.


L’absence de sélection à l’université qui a permis une démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur s’est accompagnée du sentiment pour nombre d’enseignants-chercheurs d’une dévalorisation de leur statut. A cela s’ajoute la question de leur rémunération. On ne peut pas parler d’économie de la connaissance et de stratégie de Lisbonne et continuer à sous-payer les enseignants-chercheurs Quel crédit donner à un système qui accepte de rémunérer aussi peu ses universitaires alors même qu’ils sont titulaires du doctorat, grade universitaire le plus élevé ? Cela constitue de surcroît un mauvais signal vis-à-vis des chercheurs étrangers où le niveau de salaire est souvent associé à la performance. Nos collègues allemands négocient des augmentations ou des moyens supplémentaires auprès de leur université dès lors qu’ils sont « appelés » (classés premiers) par une autre université.

La France est cependant tout en paradoxe : certains estiment que le système est à bout de souffle… et en même temps l’attachement à la fonction publique mais aussi sans doute à la liberté académique est tel que les jeunes enseignants-chercheurs les plus brillants préfèrent rester à l’université plutôt que d’aller enseigner dans les Grandes écoles. Ou alors l’explication est tout autre : la faiblesse des salaires oblige les enseignants chercheurs à trouver des activités annexes mieux rémunérées pour accroître leur niveau de revenu .Le revers de la médaille est évidemment le risque de désengagement en matière de recherche et d’encadrement des étudiants alors même que la « massification » de l’université requiert davantage d’encadrement.

Le modèle alternatif n’est pas nécessairement le modèle anglo-saxon. Je crois à la théorie du salaire d’efficience ou à quelque chose qui y ressemblerait : des salaires plus élevés pour tous augmentent la productivité individuelle et créent en même temps une pression du groupe plus importante sur chacun des individus. La contrepartie d’une telle politique est évidente : c’est accepter davantage de transparence et d’évaluation. La difficulté est évidemment de trouver un juste milieu entre les activités d’enseignement et de recherche. L’évaluation des enseignements par les étudiants doit être généralisée et permettre des comparaisons par rapport à une norme qui peut être celle de la faculté ou de l’université. Cette évaluation doit être effective et réalisée dans un cadre qui soit contrôlable et susceptible de faire l’objet d’un benchmarking. L’expérience montre cependant qu’il ne faut pas utiliser les évaluations des étudiants comme un outil trop fin mais plutôt pour déceler les enseignements où il y a de toute évidence un problème. L’évaluation est à la fois un outil d’amélioration des enseignements et une marque de reconnaissance de l’institution… car là est peut-être le problème du système français.

Le manque de considération se fait déjà sentir dans les procédures de recrutement puis de façon générale dans la gestion des carrières qui sous couvert d’équité dans les procédures administratives de choix des candidats aboutit à de véritables inégalités de fait. Les commissions de spécialistes n’accordent que très peu de temps au candidat pour présenter leurs travaux, alors même que l’enjeu est celui d’un recrutement à vie. La situation est toute autre dans les universités étrangères, qui disposent sauf exception d’une autonomie dans le recrutement de leurs enseignants-chercheurs. Cette maîtrise de la gestion des personnels s’inscrit très souvent dans le cadre d’une grande autonomie des universités qui concerne aussi la maîtrise de l’enveloppe budgétaire publique, la recherche de fonds tiers ou leur stratégie de développement. Il existe une véritable politique de recrutement qui commence dès l’accueil des candidats faisant partie de la fameuse short list. Les qualités scientifiques sont appréciées à l’issue d’une présentation des travaux par les candidats, voire aussi d’une leçon d’essai publique à laquelle sont conviés les étudiants et les collègues de la faculté. Un entretien personnel faisant une large place à la personnalité du candidat clôture généralement le processus de sélection où les questions des conditions matérielles sont aussi discutées, voire négociées.

La question de l’évaluation de la recherche pose moins de problèmes, du moins dans les disciplines où il existe un référentiel international. Les enseignants-chercheurs doivent enseigner et faire de la recherche. C’est la tradition des universités françaises. La publication régulière dans des revues à comité de lecture peut être guidée comme c’est le cas en sciences économique par un classement des revues qui laisse une large place à la liberté individuelle tout en faisant converger les standards de publication vers une norme internationale. La nécessité de publier pour rester affilié à un centre de recherche est une pression supplémentaire qui montre que les choses évoluent en France plus vite que dans les pays voisins. La pression du groupe vient alors se substituer à une incitation financière à publier…Il existe cependant des disciplines (tout particulièrement en sciences) où la compétition internationale en matière de recherche engage l’avenir même de notre pays alors même que les étudiants dans ces disciplines se font plus rares (en France comme ailleurs). Serait-il inimaginable de donner dans ces disciplines des signaux forts en termes de rémunération pour que les meilleurs étudiants y compris des grandes écoles s’engagent plus qu’ils ne le font dans une carrière de recherche ?

Soulignons pour conclure que la carrière des enseignants-chercheurs n’est pas linéaire (en termes de recherche en particulier) et que la haute fonction publique pourrait utilement accueillir ceux qui souhaitent évoluer dans leur carrière. Les résistances sont cependant fortes à un moment ou les carrières des hauts fonctionnaires d’Etat se réduisent comme peau de chagrin, mais l’efficacité économique y gagnerait.