Ségolène Royal : pourquoi elle a raison de ne pas diaboliser Blair edit

18 juillet 2006

A la recherche d'informations sur Ségolène Royal, j'ai commencé par quelques recherches sur Google. La première occurrence fut : « Achetez Ségolène Royal sur e-bay ». Je ne crois pas qu'elle soit vraiment à vendre, mais d'une certaine manière cela tombait fort à propos. E-bay est un bon exemple de la nouvelle économie, du progrès des technologies de l'information et de la mondialisation : des évolutions qui affectent toutes les sociétés occidentales, mais auxquelles la France a parfois du mal à s'adapter.

Elle n’en sera pas capable sans innover sur la scène politique, plus qu'on ne l’a vu ces quinze dernières années. La France est aujourd’hui l’exemple de que l'on pourrait appeler une « société bloquée ». C'est un pays qui s’est retourné sur lui-même. Des enquêtes récentes révèlent que moins de 10 % de la population française voit la mondialisation comme une force positive, un chiffre bien plus bas que dans autre pays de l’UE. Elle n'est pourtant pas incapable d’évoluer. Certaines de ses grandes entreprises, comme Danone, sont devenues globales et se sont montrées pleinement capables de répondre efficacement aux défis du marché mondial.

La classe politique, d’un côté comme de l’autre, a quant à elle eu beaucoup plus de mal à prendre la mesure du changement. Les gouvernements de Lionel Jospin et ceux de Jacques Chirac ont une chose en commun : aucun n'a été capable de traiter structurellement les causes des problèmes socio-économiques qui affectent le pays. Le chômage reste obstinément élevé, notamment celui des jeunes et de longue durée. Seuls 63 % de la population active sont au travail, contre plus de 70 % dans les pays qui s’en tirent mieux, comme la Suède, le Danemark ou le Royaume-Uni. On ne s’étonnera pas si le système social français est menacé, même à court terme.

Ségolène Royal a-t-elle la trempe pour changer tout cela ? Cela n’a rien d’évident. Malgré sa popularité, il lui manque encore une position politique claire, même si elle s’efforce manifestement d’en trouver une : son site Internet contient les premiers chapitres d'un manifeste politique interactif, permettant aux participants d'ajouter leurs propres contributions au volume qui sera publié en septembre.

Elle a émis quelques remarques que je trouve encourageantes et non-conformistes, au moins par rapport à l’orthodoxie de la gauche française. Elle a critiqué les 35 heures. Elle a reconnu que le crime et le désordre social doivent être traités ici et maintenant, réclamant l'introduction de travaux d'intérêt public et d'écoles spéciales pour s'occuper des délinquants endurcis. En même temps qu’elle affirmait les droits des femmes et des enfants, elle a soutenu la légalisation du mariage homosexuel et de l'adoption. Mais d'un agenda économique cohérent, on voit encore peu de signes. Comme Nicolas Sarkozy, elle souhaite une évolution du « modèle français » mais se montre sensible au besoin de protéger les emplois et d’augmenter la sécurité face à la mondialisation.

Au grand dam de nombreux socialistes, elle parle de son admiration pour Tony Blair. Il se pourrait pourtant qu’elle ne comprenne vraiment ni la nature du blairisme, ni ce qui a porté à Tony Blair au pouvoir et lui a permis de le conserver pendant neuf ans. Blair a souvent été décrit comme un dirigeant dépourvu d’une vision politique pour l'avenir – une créature de l'âge des média, tout dans la forme et aucune substance. On le voit aussi comme quelqu'un qui a louvoyé vers la droite, trahissant les principes de la gauche.

Les deux vues sont assez loin de la réalité. On ne peut pas gagner des élections, sans parler de mener des réformes, à l’aide de son seul charisme, et il serait bon que Ségolène Royal le comprenne. Dix ans d’un travail politique précis et d’échanges approfondis avec des universitaires et des spécialistes des politiques publiques ont précédé l'arrivée de Blair au pouvoir. Le parti travailliste n’a réussi dans son agenda politique que grâce à ce travail, qui continue toujours aujourd'hui.

Dans la gauche française, cet agenda est trop souvent caricaturé. Depuis que Tony Blair a pris ses fonctions, plus de deux millions de personnes ont cessé d’être pauvres. L'Etat a été renforcé, et les prélèvements obligatoires atteignent aujourd’hui presque 42 % du PIB, soit la moyenne de l'UE. Le chômage des jeunes et le chômage de longue durée sont très bas. Avec plus de 75 % de la population active au travail, de grandes quantités d’argent public ont pu être investies dans la santé et l'éducation. Un salaire minimal national a été créé et a crû sensiblement. La politique d’activation du marché du travail garantit aux salariés qui perdent leur emploi d’en retrouver d'autres. L'économie a fait mieux que la plupart des autres pays de l’OCDE depuis 1997, sans parler de ceux de l'UE.

Ce n'est pas trahir la gauche que de reconnaître, comme l’a fait depuis longtemps le parti travailliste, que la délinquance et l’ordre public sont des questions sérieuses, qui affectent en particulier les plus pauvres. « Tough on crime, tough on the causes of crime », la célèbre phrase de Tony Blair, a un contenu très réel dans la politique du parti travailliste. Les décrets sur les comportements antisociaux, qui permettent aux autorités locales de prendre des mesures contre les gangs juvéniles ou les voisins chahuteurs, sont vus par les critiques comme une entorse aux libertés individuelles et une politique droitière. En réalité, ils promeuvent ans une communauté la liberté des plus nombreux. De quelle liberté parle-t-on si je n'ose pas sortir la nuit à cause des gangs ? De quelle liberté jouit-on si l’on ne peut marcher dans un jardin public sans risquer de se faire agresser ?

Je ne suggère pas ici que Ségolène Royal ou les autres candidats possibles du centre gauche devraient copier l'agenda travailliste. L'histoire, et donc les besoins de la France et de la Grande-Bretagne sont sur certains points tout à fait différents. Le Royaume-Uni se rétablit de dix-huit ans de thatchérisme, pendant lesquels les services publics ont été mis à mal cependant qu’augmentaient les inégalités et la pauvreté ; avec des niveaux de chômage plus bas qu'en France.

La France a besoin de réformer son système social et son marché du travail pour parvenir à produire plus d'emplois ; elle doit prendre des mesures pour aider les petites entreprises, et avant tout réformer son Etat. La réforme du CPE était une faute, parce qu'on a essayé de concentrer l'insécurité économique sur les jeunes, en officialisant une situation qui existe déjà. C'est à la division du marché du travail français qu’il faut s’attaquer, puisqu'il est aussi mal organisé économiquement qu’injuste socialement. Le principe de « protéger les salariés, pas les emplois » est le seul compatible avec ces deux objectifs, comme l’ont montré non seulement le Royaume-Uni, mais aussi les pays scandinaves.

Si Ségolène Royal réussit à devenir candidate, puis présidente, elle aura besoin non seulement d'un agenda cohérent, mais de beaucoup de volonté et de détermination. Mais ne me faites pas dire, de grâce, qu'elle devrait être une madame Thatcher de centre gauche ! Mme Thatcher a vraiment fait beaucoup plus de mal que de bien à la Grande-Bretagne, tout comme le thatchérisme à travers le monde. Aujourd'hui, cette philosophie est morte. Si elle était à vendre sur e-bay, personne n’en voudrait.