Vive la démocratie sociale ! edit

10 mars 2007

Ségolène Royal vient de recevoir les partenaires sociaux pour parler de démocratie sociale. Réfléchir aux moyens d'activer la démocratie sociale est indispensable dans un pays comme la France où le dialogue social est en panne. On peut néanmoins se demander si les partenaires sociaux tels qu'ils sont actuellement organisés sont les bons interlocuteurs.

Le plus apparent est la chute particulièrement marquée du nombre d'adhérents : le taux de syndicalisation, qui était de 30% en 1950, est aujourd'hui beaucoup plus faible (autour de 8,2 %). De plus nos organisations, particulièrement éparpillées, sont loin de représenter l'ensemble des salariés. Les taux de syndicalisation de la fonction publique (15%) et des entreprises publiques (15,6%) sont trois fois plus élevés que dans le secteur privé. Plusieurs caractéristiques de la législation ont contribué à la chute du taux de syndicalisation. Tout d'abord, l'extrême protection dont bénéficient les syndicats représentatifs grâce au monopole de la présentation des listes au premier tour des élections professionnelles ne les a sans doute pas incités à chercher à conquérir de nouveaux adhérents. Ensuite, l'ampleur des missions de service public assumées par les organismes paritaires pousse de nombreux militants à s'investir, à juste titre, au sein de ces organismes. Leurs carrières épousent alors une logique administrative, voire politique, délaissant ainsi un militantisme syndical de nature à susciter l'adhésion des salariés dans l'ensemble des entreprises.

Un autre dysfonctionnement, intimement lié à la participation des syndicats aux organismes paritaires, est le mode de financement des centrales. En 2004, une étude comparative de l'Inspection générale des affaires sociales a révélé combien, au regard des autres pays européens, le système français était peu adapté. En France, les syndicats vivent en grande partie de subventions de l'Etat et des collectivités locales, notamment sous la forme de mise à disposition de personnel. Au total, entre 20% et 57% de leurs budgets seraient assurés par les cotisations. Dans ce domaine, le conditionnel est de mise. Selon les termes policés du très instructif rapport de Raphaël Hadas-Lebel sur la relance du dialogue social remis au Premier ministre en mai 2006, il existe, en l'absence d'obligation de publication de leurs comptes, une " grande prudence des organisations syndicales en matière de communication et de transparence financières ". En deux mots : un financement quelquefois opaque, qui dépend peu du nombre d'adhérents et de la qualité des services rendus aux salariés.

L'attribution d'un pouvoir quasiment pérenne à chacun des cinq syndicats représentatifs entretient la division syndicale, car la recherche d'un consensus est d'autant moins nécessaire qu'elle n'est pas utile pour conserver le pouvoir. En outre, jusqu'à la loi du 4 mai 2004, les modalités de négociation des conventions collectives favorisaient, à l'évidence, la tendance à la division syndicale puisqu'il suffisait, en règle générale, qu'un seul syndicat représentatif signe une convention collective pour qu'elle s'applique, même en cas d'opposition des autres syndicats, représentatifs ou non. La loi de 2004 a très partiellement résolu le problème puisqu'elle a consacré le principe de la " majorité d'opposition " : les accords nationaux et les accords de branche sont valables à condition qu'ils ne fassent pas l'objet d'opposition de la majorité, en nombre, des organisations syndicales représentatives. L'accord d'entreprise est valable en l'absence d'opposition d'un ou des syndicats représentatifs majoritaires, c'est-à-dire ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelle dans l'entreprise.

Enfin, le rôle joué par les conventions collectives de branche ne favorise pas l'adhésion syndicale. Dans le système scandinave, l'adhésion à un syndicat est obligatoire pour pouvoir bénéficier des droits issus de la convention collective négociée par ce syndicat. En France, il n'est pas nécessaire d'être adhérent d'un syndicat pour bénéficier des dispositions des conventions collectives. En effet, la convention s'applique à tous les salariés d'une branche, même s'ils ne sont pas syndiqués ou si leur employeur n'est pas membre d'une fédération patronale. Il en résulte un taux de couverture des conventions collectives de 97%, un des taux les plus élevés parmi les pays de l'OCDE, alors que le taux de syndicalisation est le plus faible. A quoi bon se syndiquer si l'on peut bénéficier de l'action des syndicats sans en payer le coût ?

En fin de compte, les règles du jeu syndical et de la négociation collective cumulent les inconvénients. Elles aménagent une situation de monopole et l'opacité financière à des institutions en charge de missions de service public qui conditionnent l'efficacité du fonctionnement du marché du travail. Les avantages offerts par la " représentativité " n'incitent pas les syndicats à susciter l'adhésion de l'ensemble des salariés dans la mesure où leur pouvoir n'est qu'indirectement lié au nombre de leurs adhérents. Les salariés sont eux-mêmes peu incités à adhérer aux syndicats, puisqu'ils bénéficient d'une grande partie de leurs acquis qu'ils soient syndiqués ou non.

De telles règles sont incompatibles avec la démocratie sociale. Les syndicats, progressivement déconnectés des salariés du secteur marchand, et en particulier de ceux travaillant dans les petites entreprises, adoptent une attitude de plus en plus conservatrice. En particulier, ils sont opposés à tout changement qui remettrait en cause les prérogatives liées à leur participation au paritarisme, qui constitue aujourd'hui l'essentiel de leur activité. Impossible, dans ces circonstances, de réformer en profondeur l'assurance chômage en l'articulant avec un accompagnement cohérent des demandeurs d'emploi. Actuellement, retirer sans contrepartie la gestion de l'assurance chômage et de la formation professionnelle aux syndicats reviendrait à signer leur arrêt de mort.

Pour réactiver la démocratie sociale, il faut donner des moyens d'expression à l'ensemble des salariés, et en particulier à ceux du secteur marchand. C'est avec eux que le dialogue social doit se nouer. Pour atteindre cet objectif, il faut instituer des règles qui réorientent radicalement l'action syndicale. Il s'agit de réduire la participation des syndicats à la gestion de missions de service public qui devraient être la prérogative de l'Etat et de leur donner, en contrepartie, les moyens d'une meilleure représentativité dans l'entreprise. Cela suppose la remise en cause des extensions automatiques des conventions de branche, la suppression du monopole des syndicats représentatifs et une réforme en profondeur du financement syndical : il doit devenir transparent et lié aux nombres d'adhérents.