Les négociations à l'OMC et les élections américaines edit

20 novembre 2006

Après la suspension des négociations du Cycle de Doha en juillet dernier, les négociateurs espéraient une reprise des pourparlers début 2007. Après une brève période de récupération, il était en effet envisageable de voir reprendre le Cycle après les élections au Congrès américain. Ces élections étaient en effet interprétées comme interdisant aux négociateurs américains de faire en 2006 des concessions supplémentaires sur les subventions agricoles. Maintenant que les résultats de ces élections sont connus, peut-on s'attendre à une reprise et une conclusion des négociations du Cycle de Doha ?

Les élections ont donc vu le camp démocrate prendre le contrôle des deux chambres du Con-grès américain, et logiquement la présidence des comités clés du Congrès s’intéressant aux questions de législation en matière de politique commerciale. En raison des majorités étroites dans chaque Chambre en faveur de récentes mesures commerciales contestées, comme l’Accord de libre échange d’Amérique centrale (Aleac), les entrants au Congrès pourraient bien avoir un effet disproportionné sur les votes futurs. Nous avons conduit une analyse des attitudes envers la politique commerciale des 62 nouveaux élus et les avons comparées à cel-les des sortants. En raison de comptages tardifs des voix, notre analyse ne prend en compte que les résultats connus jeudi dernier à midi. Ces résultats sont parlants. Sur les 62 nouveaux membres du Congrès, 48 sont démocrates. La moitié de ces démocrates ont critiqué l’Aleac pendant la campagne électorale. Si les accords de libre-échange en général ont été sévèrement critiqués, seuls cinq démocrates ont évoqué l’OMC pendant leur campagne, ce qui suggère que les élus établissent une distinction entre accords bilatéraux et réformes de plus grande ampleur conduites dans le cadre de l’OMC. C’est une mauvaise nouvelle pour la Corée, la Malaisie, la Thaïlande et les autres pays ayant entamé des négociations en vue d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, ou qui ont déjà conclu de tels accords (comme le Pérou). Des doutes sérieux existent désormais quant à la ratification de tels accords par le nouveau Congrès, en tout cas quant aux termes dans lesquels de tels accords pourront être ratifiés. A l’opposé, l’OMC a été peu visée.

Les partenaires commerciaux des Etats-Unis pourraient être affectés, toutefois, par le fait que 20 des nouveaux élus ont fait campagne sur le thème de l’inclusion de clauses sociales et en-vironnementales dans les accords commerciaux. Les pays en développement s’y opposent de longue date et l’on se rappelle que la Ministérielle de Seattle a achoppé précisément sur ce point.

Sur la base de leur campagne électorale, nous avons calculé qu’au sein du Sénat six représen-tants favorables au libre-échange seraient remplacés par cinq sceptiques et un favorable aux réformes en matière commerciale. De même, au sein de la Chambre des représentants, sur les 22 représentants favorables au libre-échange, 16 ont été remplacés par des sceptiques ou de véritables opposants. Cela préjuge mal de mesures de libéralisation commerciale passées au Congrès avant 2008 et 2009.

Et c’est bien là le problème. Non seulement le Congrès devra décider d’approuver au non un quelconque accord concluant le Cycle de Doha, mais il devra aussi décider s’il accorde au président Bush une prolongation de sa capacité à négocier des accords de libre-échange. En-core pire, il y a d’autres éléments de la législation commerciale qui doivent être passés au Congrès en 2007 et 2008, incluant la normalisation des relations commerciales avec le Viet-nam, le renouvellement de l’accès préférentiel accordé aux pays en développement en général et aux pays des Caraïbes et d’Afrique Sub-Saharienne en particulier, sans parler des accords de libre-échange avec (au minimum) le Pérou et la Colombie. Peu d’observateurs réalisent la pression qui pèsera sur le calendrier législatif américain en matière de politiques commercia-les dans les deux dernières années de l’Administration Bush.

Les votes sur les questions commerciales sont devenus de plus en plus partisans sous la férule des républicains. Le nombre de démocrates enclins à apporter un soutien à la politique com-merciale du président républicain s’est réduit. De surcroît, ces démocrates libre-échangistes ont été critiqués au sein de leur propre parti, par les syndicats et certaines ONGs. Certains d’entrée eux ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas décidés à voter de trop nombreuses réfor-mes commerciales ; or c’est ce qui les attend précisément.

Les optimistes considèrent qu’une Présidence démocrate forte des Comités du Congrès en charge des questions commerciales, avec un argumentaire soigné, devraient suffire à faire passer les législations concernées. Une telle configuration se serait produite il y a trente ans, un tel argument aurait rassuré les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Depuis lors, toute-fois, le pouvoir de ces présidents de Comité s’est progressivement réduit, et de surcroît, le nombre de Comités en charge du sujet a augmenté. Un petit nombre de représentants, même bien placés, ne devraient pas pouvoir éviter la défaite cette fois.

D’autres optimistes pensent que le contrôle des deux Chambres du Congrès étant désormais assuré, les démocrates pourraient se sentir encouragés par l’opinion publique à coopérer avec le président Bush. A ce sujet, les démocrates devront mettre en balance l’impopularité d’une attitude partisane et la préparation de la présidentielle de 2008. Et surtout, les démocrates n’ont pas oublié que les républicains ont peu soutenu l’agenda commercial du Président Clin-ton dans les années 1990, et pourraient bien leur retourner la politesse. L’esprit de revanche, le positionnement électoral et l’ambition pourraient bien l’emporter sur les bénéfices politi-ques de la coopération.

Une force compensatrice importante pourrait bien être le soutien de la communauté améri-caine des affaires en faveur d’un accord à l’OMC. Jusqu’ici ce soutien est resté limité, parce que personne ne comprend ce qu’un agenda du développement signifie concrètement en ter-mes d’ouverture des marchés, au vu du projet de compromis sur la table en juillet 2006. Pire, beaucoup sont convaincus que s’il y avait un accord à l’OMC en 2007, ce serait une version édulcorée de ce que l’on a déjà vu. Cela signifie que le monde de l’entreprise a de bonnes raisons d’être partagé sur le sujet du Cycle de Doha, en dépit de sa perception de la menace sur l’édifice OMC que ferait peser un échec.

Les élections de la semaine dernière sont susceptibles d’avoir des implications significatives pour la politique commerciale américaine et les négociations du Cycle de Doha. Les accords commerciaux conclu avec les Etats-Unis sont susceptibles d’incorporer des règles plus strictes qui ne feront pas l’affaire de leurs partenaires commerciaux. De plus, les doutes croissants quant à la capacité du Congrès à signer quelque accord commercial que ce soit émanant de l’Administration Bush vont être déstabilisants dans les deux prochaines années. S’il change quelque chose, le contrôle démocrate du Congrès renforcera les contraintes pesant sur les né-gociateurs américains. Et avec elles la sombre perspective d’un échec du Cycle de Doha.