It's the trade stupid… ! edit

27 novembre 2006

Tout le monde connaît la fameuse phrase de Clinton, "It’s the economy stupid", par laquelle il voulait dire que c’était l’économie qui était au cœur des préoccupations de ses concitoyens. L’échec des républicains aux élections de mi-mandat serait-il lié à la crainte de voir l’emploi reculer ? Ce qui se passe aux Etats-Unis peut-il se passer en France ?

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Lorsqu’on compare les Etats où les démocrates ont gagné à l’évolution de l’emploi industriel, la relation est indiscutable. Entre septembre 2005 et septembre 2006, la Pennsylvanie a perdu (en solde net) 15 600 emplois industriels. Les démocrates y ont gagné trois sièges dont un siège de sénateur. L’Etat de New York a vu disparaître 17 500 emplois industriels pendant la même période : les démocrates y ont récupéré 3 sièges. Sur les 6 Etats où les démocrates ont repris un siège de sénateur aux Républicains (rappelons que chaque Etat compte deux sénateurs), cinq ont accusé une perte nette d’emplois industriels (Montana, Ohio, Pennsylvanie, Rhodes Island). Ce basculement s’explique naturellement par le rejet de la majorité en place. Mais il tient aussi au fait que les démocrates passent pour être moins libre-échangistes que les Républicains.

Public Citizen, une ONG américaine qui est très opposée à la politique libre-échangiste de l’Administration Bush, a analysé le track-record des sortants et les intentions sur le plan commercial de ceux qui se présentaient pour la première fois. Le track-record prend en compte la manière dont ces parlementaires ont voté sur les 18 textes relatifs au commerce international. Sur les 14 sièges de sénateur qui étaient ouverts cette année à la compétition, 12 ont été gagnés par des démocrates opposés au libre-échange. Peut-on pour autant parler de tournant protectionniste ? Doit-on considérer que le libre-échange est structurellement impopulaire ?

Sur le premier point, les choses ne sont pas tout à fait claires. Il est incontestable que le soutien politique en faveur des accords de libre-échange, tant bilatéraux que multilatéraux, s’érode très sensiblement. L’accord de libre-échange avec l’Amérique centrale n’a été ratifié qu à une courte majorité, et il y a de très nombreux parlementaires qui se sont même opposés à un accord avec un pays aussi modeste que le Sultanat d’Oman. Ce biais anti libre-échangiste est plus fort chez les démocrates dont l’électorat ouvrier est plus important.

Et on peut imaginer sans peine que si 22 représentants démocrates seulement ont voté en faveur d’un accord avec le Sultanat d’Oman, ils seront encore moins nombreux pour approuver des accords avec le Pérou, la Colombie ou la Corée. Le renouvellement du mandat de négociation du Président Bush pour clore les négociations OMC paraît bien compromis. Cette situation d’ensemble doit toutefois être nuancée par des facteurs locaux. En Californie ou dans l’Etat voisin de Washington par exemple les démocrates sont massivement libre-échangistes et donc anti-protectionnistes. Les chances d’un repli protectionniste massif des Etats-Unis sont faibles. En revanche le risque de voir la dynamique de l’ouverture se ralentir paraît probable.

Reste un second point : celui de savoir pourquoi le libre-échange est si impopulaire. La première explication qui vient à l’esprit est celle de la perte d’emplois. Or, comme nous l’avons vu, ces pertes sont réelles dans le domaine industriel. Mais tout est relatif.

Entre septembre 2005 et septembre 2006, l’industrie américaine a perdu, en termes nets, 15 000 emplois. Ce chiffre peut paraître considérable. Mais il faut le mettre en rapport avec un autre chiffre : celui de la création d’emplois nets dans l’économie américaine pendant la même période : 1,967 millions d’emplois ! Il y a eu donc, d’un côté, destruction nette de 15 000 emplois et, de l’autre côté, création de près de 2 millions d’emplois. Dans l’Ohio où les pertes d’emploi ont beaucoup joué dans la campagne, la perte nette de 6110 emplois doit être rapportée aux 17 700 emplois nouveaux créés dans ce même Etat. Prétendre donc que la mondialisation détruit l’emploi est par conséquent un non-sens. Elle détruit certains emplois mais en crée beaucoup d’autres. Mais si la mondialisation n’intervient que comme un processus de meilleure allocation des ressources d’un pays, pourquoi soulève-t-elle tant d’hostilité ?

A cela, il y a trois réponses : la première renvoie à ce que l’on pourrait appeler l’effet de loupe : localement des pertes d’emplois peuvent être significatives. Dire aux 17 500 New-Yorkais qui ont perdu leur emploi industriel que pendant le même temps, leur Etat a vu ses emplois augmenter de 74 000 ne les consolera pas. Il pourra même accroître leur acrimonie, sauf si des reconversions sont possibles. Il faut par ailleurs voir que ces pertes d’emploi interviennent dans un contexte où les salaires stagnent, et où la perte des emplois industriels est compensée par des créations d’emplois de service globalement moins bien rémunérés. Il faut enfin comprendre que les pertes d’emploi sont beaucoup plus traumatisantes aux Etats-Unis qu’en Europe dans la mesure où la protection sociale y est plus faible et où le portage des droits sociaux est mal assuré par les entreprises et guère garanti par l’Etat fédéral.

La seconde est ce que les politologues appellent l’effet de halo : on n’est pas forcément soi-même menacé, mais on craint de le devenir. L’effet de halo a bien été analysé en France à propos du vote Le Pen. On ne comprenait pas pourquoi des villages où il n’y avait ni chômage ni immigrés votaient pour l’extrême-droite. On a fini par comprendre que la peur de voir cet équilibre se rompre les incitait à voter pour M. Le Pen. Au demeurant, l’effet de halo n’est pas toujours irrationnel. Il y a bien des emplois non menacés qui peuvent le devenir.

Il y a enfin une troisième explication. Le commerce mondial obéit à des règles qui sont en fait totalement contre-intuitives. Ce qui est intuitif chez les citoyens, c’est le mercantilisme. Personne n’est contre l’idée de vendre des avions ou des produits chers, mais peu de gens pensent qu’il est pour cela nécessaire d’abandonner des pans entiers de notre industrie textile. Personne ne regrette de voir les prix de certains produits baisser, mais personne ne veut voir que ce résultat est aussi la conséquence de l’ouverture des marchés. Fondamentalement, le citoyen pense qu’il vaut mieux exporter le plus possible et importer le moins possible. Les hommes politiques renforcent d’ailleurs cette perception en brandissant le chiffre des emplois créés à chaque nouveau contrat de vente à l’étranger.

A tout cela s’ajoute encore un facteur de complexité : la difficulté à séparer ce qui relève des faiblesses intrinsèques d’un secteur et des contraintes de la compétition. Si on prend le cas de l’industrie française que constate-t-on ? D’un côté une forte pénétration des importations étrangères dans la demande intérieure (42 %) et de l’autre une très faible pénétration des importations en provenance des pays à bas salaires (11%). Ces chiffres en apparence contradictoires sont néanmoins cohérents entre eux : ils montrent à l’évidence que notre industrie a un vrai problème de compétitivité internationale mais que ce problème n’est pas fondamentalement lié aux pays à bas salaires. Autrement dit si nous avons un problème de compétitivité industrielle c’est moins parce que nous sommes concurrencés par des pays qui luttent contre nous à armes inégales que parce que notre appareil n’est pas armé pour affronter la compétition mondiale en général. Le fait que d’autres pays européens s’en tirent mieux que nous alors qu’ils sont soumis au même tarif extérieur commun confirme l’inanité de mesures protectionnistes. Ajoutons d’ailleurs à destination de nos protectionnistes, souvent mal informés et dont certains se recrutent même dans la droite dite libérale, qu’il n’existe aucun lien entre chômage et importations à bas salaires : nous avons en France à la fois un des plus hauts taux de chômage de l’OCDE et le plus bas taux de pénétration des importations à bas salaire. A contrario les Etats-Unis et le Japon sont inondés de produits à bas salaires (35% des importations industrielles pour les Etats-Unis ) ce qui ne les empêche pas d’avoir un taux de chômage bas. C’est pourquoi ceux qui pensent pouvoir régler les problèmes de l’emploi en France par plus de protectionnisme se trompent. Ils se trompent non pas parce que être protectionniste serait politiquement incorrect mais tout simplement parce qu’il n’y a aucune base sérieuse pour croire en une telle solution. Les problèmes de l’emploi en France sont avant tout liés à l’inefficacité de son marché du travail et au sous développement des relations sociales. La récente proposition de M. Sarkozy de soustraire au commissaire européen au Commerce la responsabilité des négociations commerciales internationales au prétexte que l’Europe serait une sorte de passoire montre à quel point la démagogie politique se porte bien.