Trichet à la BCE : pas mal non plus… edit

10 décembre 2009

Cédric Tille a montré sur Telos il y a quelques jours que Ben Bernanke avait plutôt bien réussi à la tête de la Fed. On pourrait aisément porter un jugement comparable sur l’action de Jean-Claude Trichet à la tête de la BCE. Mis à part le « couac » de la hausse des taux en juin 2008, son parcours a été sans faute. Mais après avoir évité le pire, il lui faudra affronter deux dangers majeurs : retirer en douceur la liquidité avec laquelle le système financier vit sous perfusion ; et éviter une appréciation de l’euro.

Avec la reprise, les banques centrales vont progressivement devoir retirer les liquidités servies au système bancaire et financier, de peur de les voir alimenter l’inflation ou d’autres bulles d’actifs. Mais la question du timing entre retrait de liquidité et inflation avec une croissance n’est pas simple. La Fed a ainsi été accusée d’avoir toujours agi trop tard, sa politique monétaire trop laxiste ayant contribué à un excès d’épargne et à la récente crise. La BCE est probablement la banque centrale qui a le moins à encourir un tel reproche : elle a un objectif clair de stabilité des prix, les anticipations d’inflation sont basses dans la zone euro (d’autant que les craintes de déflation n’ont pas disparu puisque le chômage continue de se dégrader), et c’est elle qui a injecté le moins de liquidité dans le système. Trichet a bien précisé qu’il n’était pas inquiet sur l’inflation. C’est donc bien une volonté de rétablir une situation plus « normale » dans le fonctionnement du système financier qui l’a conduit à annoncer ces mesures.

En effet grâce aux mesures de provisions de liquidité le système financier a continué de fonctionner mais de façon bancale. Non seulement, la BCE sert d’intermédiaire financier, mais en prêtant l’argent peu cher et sans limite, elle permet aux banques de se refinancer auprès de la BCE à bas prix, pour ensuite re-prêter plus cher. C’est le but : permettre aux banques de reconstruire leur marge et nettoyer leur bilan. Cependant, un tel fonctionnement de marché ne peut être que temporaire. Les annonces de fin de ces mesures signalent donc non seulement que la BCE pense que le système peut progressivement fonctionner sans sa perfusion, mais surtout qu’il devrait retourner à un fonctionnement normal, non « aidé ».

Néanmoins, Trichet a annoncé une stratégie de sortie très progressive des mesures de crise, de crainte de perturber les marchés. Car le sentier est étroit entre l’usage « abusif » et le refinancement nécessaire via la liquidité de la BCE. La stratégie de sortie va donc commencer en 2010, avec un retrait très progressif des excès de liquidité, une remontée des taux encore plus lointaine, une stratégie de sortie qui pourrait durer plus d’un an. Cette prudence reflète deux craintes. D’une part le système financier ne pourra fonctionner sans la liquidité subventionnée de la BCE que si les banques ont confiance entre elles, et se prêtent de nouveau. D’autre part, un resserrement de la politique monétaire trop marquée en zone euro pourrait contribuer à renforcer l’euro.

La confiance des banques européennes entre elles est loin d’être assurée. Alors que les Etats-Unis ont publié des résultats de tests de résilience des banques, en imposant de la recapitalisation si nécessaire, les Européens ont effectué des tests secrets, sur les 22 banques principales seulement, et sans publier les résultats, ni imposer de recapitalisation. Même si l’annonce de sortie de crise suggère que ces tests ont eu des résultats favorables, leur non communication n’est pas propice au rétablissement de la confiance. Un doute sur la solvabilité d’une banque, une crainte sur la solvabilité d’un Etat, et c’est le système qui risque de se paralyser de nouveau. La présence des banques aux appels d’offre « illimités » de la BCE reflète certes une opportunité d’arbitrage (il n’y a pas de financement de court terme moins cher sur le marché), mais également le fait que la BCE est le fournisseur de liquidités et collatéraux de qualité le plus fiable du marché européen.

Une autre difficulté de cette stratégie de sortie concerne le taux de change. Alors que des voix (européennes) s’élèvent de plus en plus pour protester contre l’appréciation de l’euro, resserrer les boulons de la politique monétaire avant toutes les autres banques centrales pourrait bien conduire à renforcer l’appréciation de l’euro. En simplifiant, le taux de change dépend du différentiel de taux d’intérêt, des écarts de productivité et des besoins de financement relatif. Si les écarts de productivité et de besoins de financement entre pays sont faibles au sortir d’une récession globale remarquablement synchronisée, les écarts de taux d’intérêt implicites sont marqués. La Fed a mis en place une longue liste de programme de provisions de liquidité, tout en abaissant les taux au maximum, dans une bien plus large mesure que la BCE. On ne peut exclure que ce différentiel de politique monétaire, beaucoup plus « laxiste » aux Etats-Unis qu’en zone euro, soit une des raisons de l’appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. Ajouté au retrait de la liquidité, Trichet expose ainsi l’euro à continuer de s’apprécier par rapport au dollar… et freiner ainsi la reprise européenne, tirée par les échanges extérieurs.