Le taux de change des émergents : fixe ou flottant ? edit

8 juillet 2008

Les banques centrales des pays émergents se montrent peu enclines à suivre la politique monétaire des Etats-Unis depuis l’été passé : alors que la Réserve Fédérale a massivement baissé son taux d’intérêt, les banques centrales chinoise et indienne continuent de resserrer les conditions monétaires. Pourquoi une telle divergence entre les Etats-Unis et ces pays qui par le passé ont suivi de plus près la Réserve Fédérale ?  

Pour comprendre ce revirement de situation, il convient de revenir au cœur du problème, c'est-à-dire ce que les économistes appellent le “triangle d’incompatibilité” de la politique monétaire en économie ouverte dont les trois côtés sont  : la stabilisation du taux de change, afin de diminuer l’incertitude à laquelle les exportateurs et importateurs font face, la politique conjoncturelle, et enfin le maintien de la mobilité du capital, afin que les épargnants puissent diversifier leur portefeuilles, et que les entreprises puissent lever des fonds sur le marché mondial.

Notre banque centrale fait alors face à un problème majeur car elle ne peut atteindre que deux de ces trois objectifs. Une première option est de maintenir la mobilité du capital et de stabiliser le taux de change, mais il faut alors accepter que la politique monétaire soit totalement dévolue au maintien du taux de change sans possibilité de réagir à la conjoncture domestique.

Si la banque centrale veut garder les coudées franches pour réagir à la conjoncture locale, tout en maintenant un taux de change stable, elle doit alors limiter la mobilité du capital pour que les investisseurs ne puissent pas mettre la parité taux de change à l’épreuve.

Si les restrictions sur la mobilité du capital s’avèrent inopérantes, ou trop coûteuse, garder les coudées franche requiert alors de laisser le taux de change fluctuer librement. Cette dernière situation est celle dans la plupart des pays industrialisés à l’heure actuelle, une exception notable étant bien entendu la zone euro dont les membres ont irrévocablement fixé le taux de change entre eux, tout en gardant un taux flexible vis-à-vis du reste du monde.

Etablir laquelle de ces options est préférable a été, et demeure, un sujet de débat parmi les économistes. Toutefois, un certain consensus s’est dégagé qui reconnaît la dernière option, combinant un taux de change flexible une politique monétaire en phase avec l’économie domestique et la mobilité du capital, comme étant préférable.

Ce constat présuppose cependant que la banque centrale est suffisamment protégée de pressions politiques pour être à même de mener une politique indépendante. Par le passé cette condition s’est souvent avérée absente pour les pays émergents. Dans ce cas, la meilleure stratégie était de choisir des taux de change fixes et une mobilité du capital, le prix de ne pas pouvoir maintenir une politique monétaire indépendante étant alors plus théorique que concret. L’attrait de cette stratégie est que le pays importe la politique monétaire de la monnaie de référence, un pays fixant son change par rapport au dollar suivant par exemple la politique de la Réserve Fédérale américaine.

Tant que la Réserve Fédérale suivait une politique pas trop éloignée des besoins des pays émergents, cette stratégie s’est avérée payante, comportant en outre un bénéfice supplémentaire comme le taux de change fixe maintenait la compétitivité des exportateurs sur les marchés des pays industrialisés. Toutefois, cette stabilité cachait un coût. Dès que la politique monétaire de la Réserve Fédérale ne serait plus en phase avec les besoins des pays émergents, des pressions inflationnistes, ou déflationnistes, ne manqueraient pas de resurgir.

Ce coût est graduellement monté à la surface lors des dernières années. Les pays émergents connaissant une forte croissance, le niveau des prix tendait à converger vers celui des pays industrialisés, un phénomène bien compris des économistes et qui prend la forme soit d’une appréciation de la monnaie de ces pays, soit d’une poussée de l’inflation. En empêchant la première option, la stratégie de maintient du taux de change a conduit à des pressions inflationnistes dans ces pays, pour lesquels la politique monétaire de la Réserve Fédérale n’était plus appropriée. La situation est devenue d’autant plus marquée lors de l’année écoulée où la politique monétaire des Etats-Unis a pris un tour expansionniste suite à la crise financière. Si cela convient aux Etats-Unis, il en va autrement pour les pays émergents où la croissance reste forte.

La stratégie optimale pour les pays émergents aurait été de mettre à profit la période de stabilité conférée par le taux de change fixe pour mettre en place les institutions permettant à la banque centrale de conduire une politique indépendante. Comme c’est hélas bien souvent le cas dans tout les pays, conduire de telles réformes semble un exercice coûteux et inutile quand tout va bien.

Bien entendu, conduire ces réformes dans un environnement d’inflation est encore plus délicat. Si le public n’est pas convaincu par la capacité d’une banque centrale nouvellement indépendante de conduire la politique monétaire, abandonner le taux de change fixe pourrait aggraver la situation inflationniste encore plus. En outre, le maintient des changes fixes durant plusieurs années a conduit à une accumulation substantielle de réserves principalement sous la forme de bons du trésor américains. Une dépréciation de leur monnaie par rapport au dollar impliquerait pour ces pays une substantielle chute de la valeur de ces réserves, mettant alors les responsables économiques dans une position délicate vis-à-vis du public. Si réformer semble un exercice inutile par temps clair, cela devient une entreprise périlleuse lorsque les problèmes émergent.