Il faut sauver l’euro ! edit

25 février 2009

Bruxelles vient de lancer des procédures officielles de déficit excessif contre la France, l’Espagne, la Grèce, l’Irlande et Malte alors même que l’économie européenne est en manque de demande. Il ya pourtant à peine trois mois elle appelait à un soutien budgétaire de la demande. La Commission serait-elle schizophrène ? Non mais elle doit tenir compte de l’inquiétude des marchés face au risque de défaut de paiement des États. Cette crainte est-elle justifiée ?

L’inquiétude des marchés porte simplement sur la capacité de certains pays de la zone euro à rembourser leur dette, et ce pour trois raisons principales : certains pays ont « négligé » leurs finances publiques dans les périodes fastes, et se trouvent donc aujourd’hui avec un niveau de dette publique important, surtout en regard du vieillissement démographique qui va lourdement peser sur les dépenses des États à un horizon de moins de vingt ans. D’autre part, la crise financière a conduit les États à s’engager à garantir les dépôts des ménages et des entreprises non financières et à garantir les prêts entre banques ou des banques aux entreprises et aux consommateurs (dans certaines limites). Enfin, les économies de la zone euro semblent entrer dans une récession d’une ampleur inégalée depuis des décennies, ce qui va se traduire par des déficits de grande ampleur et donc va augmenter la dette au moins temporairement.

Les marchés ont fait leurs comptes : prenez un pays au hasard avec une dette publique de 60% du PIB. Ajoutez la hausse de dette publique moyenne observée dans les pays ayant traversé des crises bancaires similaires (et probablement de moins grande ampleur) à celle d’aujourd’hui : en moyenne 10 points de PIB en plus sur la dette (L. Laeven, F.Valencia, Systemic Banking Crisis : a New Database, IMF WP/08/224), on arrive à 70 % de PIB. Ajoutez à cela les garanties offertes par les États à leurs banques pour les prêts qu’elles effectuent à d’autres banques ou aux entreprises, en moyenne 20 points de PIB dans la zone euro (L. Fransolet, « EU Bank Guarantees », Barclays Capital Euro Weekly 5 Feb 09) et nous voilà déjà à 90 % du PIB. Ajoutez à cela les risques d’exposition des banques de la zone euro aux banques d’autres pays européens eux-mêmes à risque sur leurs capacités de remboursement. On pourrait aussi ajouter les garanties d’État aux déposants, encore plus élevées.

Sans dramatiser, de tels calculs ont en réalité trois implications pratiques : la première est que les besoins de financement de court terme des États (juste pour assurer leur fonctionnement opérationnel) ont augmenté. La seconde est que la question de soutenabilité de la dette se posera avec plus d’acuité à la sortie de la crise. La troisième est que tous les pays de la zone euro ne sont pas dans la même situation, à moyen comme à court terme, ne serait-ce que pour garantir leur fonctionnement quotidien (paiement des fonctionnaires par exemple). Les marchés s’inquiètent donc de la hausse dramatique des engagements publics, de leurs besoins de financement courants et de ce que cela va impliquer comme futures hausses d’impôts, baisse de dépenses, ou dérive de l’inflation pour que l’ajustement soit moins douloureux. Ce qui se traduit par des primes de risque toujours plus importantes, et différenciées selon les pays : pour certains, le coût d’endettement augmente, les conditions de financement du fonctionnement de ces États deviennent plus difficiles.

Les emprunts d’État peuvent-ils faire l’objet d’une « attaque » spéculative comme une monnaie ? Lors des précédentes crises du SME, un spéculateur s’endettait massivement pour parier sur un décrochage de la monnaie d’un pays. La clé de l’opération : pouvoir jouer sur un volume suffisamment important pour faire plier une ou plusieurs banques centrales. La réponse des banques centrales était de monter les taux courts à des niveaux record pour rendre le coût de tels emprunts supérieur aux gains escomptés. Aujourd’hui, avec l’euro il n’est plus possible d’attaquer un pays de la zone. Avec la crise, les spéculateurs ont également des capacités plus faibles d’endettement. Mais il y a les CDS souverains -ces contrats financiers qui permettent de s’assurer contre le risque de défaut d’une entreprise ou d’un pays: peu traités, ils ne coûtent pas cher et il suffit de peu de volume pour faire bouger le prix de façon spectaculaire et envoyer un signal (erroné) sur la solvabilité du pays.

Faut-il sauver les pays au bord du défaut de paiement ? Le Traité européen ne permet pas a priori de sauver un pays au bord du défaut de paiement, la logique étant que s’il le permettait certains pays pourraient être tentés de laisser filer impunément leurs déficits et dettes. D’où l’existence du Pacte de stabilité qui vise à encourager les pays à contrôler leurs finances publiques. Néanmoins, si un pays fait défaut, c’est sa capacité propre à se financer, indépendamment de celle des autres pays de la zone euro qui est remise en question. L’expérience montre alors que le défaut est suivi d’une crise économique prolongée. Cette crise est d’autant plus forte que le système bancaire est touché. Les tentations de sortie de la zone euro pour ces pays seraient alors fortes pour profiter des avantages (temporaires) d’une dévaluation. Une telle solution serait d’autant plus séduisante qu’en zone euro (hors grands pays) une grande partie de la dette souveraine est détenue par des résidents du pays. C’est alors l’avenir de la zone euro qui est remis en question. Le risque de défaut d’un pays apparait ainsi comme un test de la volonté de la zone euro à sauver d’autres pays et (à maintenir la cohésion de la zone)

Que risque-t-il de se passer en pratique ? Si le Traité interdit le sauvetage par le biais des institutions européennes, il n’interdit pas aux pays qui le souhaitent de venir à la rescousse d’un autre pays. À partir de là, différents scenarii de préemption du défaut sont possibles. Le premier est la mise en place d’une garantie par certains États de la dette des États menacés, le montant de la garantie étant définie par État, et chaque engagement étant indépendant de celui des autres. Une autre solution est l’organisation d’un prêt des États aux États menacés. Devant l’ampleur des prêts devant être éventuellement effectué, on peut imaginer un scénario avec ou sans FMI. L’avantage d’inclure le FMI est que l’institution a une capacité de prêt large, qui peut donc compléter les aides précédentes. Le FMI est en outre rodé à ce type de prêt et à l’assurance de leurs remboursements. Enfin, le FMI a un meilleur « track-record » pour imposer et obtenir des réformes structurelles visant à éviter la reproduction d’un tel scénario et rendant un ajustement structurel des finances plus crédible. L’inconvénient est évidemment de reconnaître que l’Europe n’a pas su faire face à ses difficultés, seule, mais cela vaut le prix d’être payé s’il s’agit d’éviter la fin de l’euro.