Comment contrôler les fonds souverains ? edit

16 janvier 2008

Des fonds souverains issus des pays émergents sont récemment entrés au capital de grandes banques occidentales, suscitant des craintes qui pourraient conduire à des dérives protectionnistes. Quelles règles de conduite et quel modèle de gouvernance pouvons-nous imaginer pour laisser ces capitaux accéder à nos marchés ?

Les fonds souverains ne sont pas un phénomène nouveau. Avec la Caisse des dépôts et consignations, la France en a créé un dès 1816 ! Mais leur nombre et leur taille ont connu récemment une augmentation sensible et dépassent les valeurs combinées des hedge funds et autres fonds privés. Cette croissance rapide est étroitement liée à la persistance de déséquilibres macroéconomiques globaux, et cela signifie que les fonds souverains ne vont pas disparaître du paysage avant longtemps. Même en supposant que les déséquilibres globaux se résorbent au cours des dix prochaines années et que les prix des matières premières et du pétrole reviennent à leurs moyennes de long terme, les fonds souverains continueront à détenir des biens financiers considérables sur le marché mondial.

L'émergence récente des fonds souverains a sans aucun doute plusieurs avantages, dont l'un s'est récemment révélé avec netteté. Dans le contexte d'un marché agité, les fonds souverains ont été une source de capital particulièrement bienvenue, qui a permis de consolider les bilans fragiles de certaines des plus grandes institutions financières du monde (UBS, Citibank, Merrill Lynch, etc.). Mais ils n'en ont pas moins suscité des controverses politiques, leur émergence rapide remettant en question certaines croyances consensuelles sur la façon dont fonctionne l'économie mondiale.

Tout ceci crée un certain nombre de défis nouveaux. Tout d'abord, depuis le début des années 1980, on a assisté à un mouvement politique aussi ample que durable pour déréguler et libéraliser les structures économiques, améliorer le rôle des forces du marché et tenter de réduire le rôle des États dans l'économie mondiale. Dans ce contexte, les considérables investissements internationaux dans les économies développées qui ont été mis en œuvre par des fonds souverains peuvent être perçus comme un défi aux forces libres du marché. En outre, de tels investissements risquent de déclencher des réactions protectionnistes dans les pays bénéficiaires.

Second point, une des prémisses fondamentales des marchés globaux de capitaux est l'idée que ces capitaux circulent librement dans le monde, à la recherche d'occasions d'investissements intéressantes. Le fait que de grandes entreprises financières contrôlées par des États fassent des investissements internationaux substantiels dans des entreprises privées conduit à douter de la validité de cette hypothèse. En particulier, un gouvernement pourrait être tenté d'utiliser son fond souverain comme un instrument financier dans la poursuite d'un objectif politique particulier. Le simple fait que ces questions se posent pourrait déclencher des politiques protectionnistes dans les pays bénéficiaires, ce qui minerait le bon fonctionnement des marchés.

Troisième point, en règle générale, les capitaux ont historiquement tendance à circuler du centre d'un système économique vers sa périphérie. Or, la tendance récente est clairement à l'inversion de ce mouvement. Les fonds souverains semblent jouer un rôle potentiellement important dans ce qui semble être un renversement des flux mondiaux de capitaux. L'idée que les capitaux circulent de plus en plus de la périphérie vers le centre suscite des réactions variées dans les pays qui reçoivent ces capitaux. Je crains que la plupart de ces réactions ne soient de nature protectionniste.

À mon sens, le seul défi vraiment important associé à l'émergence des fonds souverains est de s'assurer que les réactions politiques dans les pays bénéficiaires d'investissements réels ou potentiels par des fonds souverains ne dégénèrent pas en une forme de protectionnisme financier.

Quelle politique proposer face au défi posé par les fonds souverains ? Les propositions et initiatives sont assez diverses : appels à une plus grande transparence dans les positions d'investissements des fonds souverains, demandes d'une réelle réciprocité dans l'accès aux marchés... Mais l'idée en vogue est celle d'un ensemble de règles ou d'un code de conduite volontairement appliqué par les fonds considérés. Les efforts des autorités des plus grands pays industrialisés et des principaux fonds souverains pour définir ensemble ces règles de conduite est opportun et raisonnable. Il y a un risque, cependant, de voir ces efforts s'avérer contre-productif si les exigences des pays industrialisés sont trop fortes, ou si elles sont guidées par des motifs protectionnistes.

À mon avis, pour être efficaces, les futures règles ou le futur code de conduite devront couvrir deux problèmes centraux. Tout d'abord, pour apaiser les inquiétudes des pays bénéficiaires par rapport aux investissements politiquement motivés, un code de conduite doit contenir des prescriptions de gouvernance permettant de s'assurer que les positions du fonds souverain n'obéissent pas à des objectifs politiques. Le modèle institutionnel des banques centrales modernes peut offrir un exemple. Les banques centrales et les fonds souverains poursuivent évidemment des objectifs fondamentalement différents, mais ils partagent le risque de voir ces objectifs détournés par les gouvernements à des fins politiques. Dans le cas des banques centrales, ce problème a été résolu avec succès par l'adoption d'un modèle institutionnel fondé sur deux caractéristiques fondamentales: les banques centrales ont un mandat clair, et pour mener ce mandat on a généralement inscrit dans leurs statuts l'indépendance vis-à-vis des gouvernements.

Ensuite, si l'on souhaite éviter la résurgence de la propriété publique dans nos économies et calmer les craintes de voir les États se mêler excessivement des affaires des entreprises, les règles des fonds souverains doivent prévoir les limites supérieures à leurs investissements individuels dans des entreprises étrangères. Ces limites devraient être significativement au dessous du seuil typique d'une minorité de contrôle - sans parler bien sûr d'une majorité absolue.

Tant que les pays bénéficiaires seront certains qu'un fonds fonctionne conformément à ces deux règles, il n'y a aucune raison d'exiger des niveaux élevés de transparence dans le portefeuille des fonds souverains. La transparence n'est pas à même de résoudre les problèmes que j'ai essayé d'esquisser ici : je crains même que, dans certains cas, de fortes exigences de transparence pour les portefeuilles des fonds souverains ne finissent par susciter des réactions protectionnistes dans les marchés des pays développés. Il y a bien sûr de nombreuses autres raisons pour défendre l'idée d'une plus grande transparence des fonds souverains, et on peut citer en particulier les exigences d'une bonne comptabilité. Mais l'histoire des banques centrales suggère que plus elles sont indépendantes dans l'exercice de leur mandat, plus il devient clair que leur devoir institutionnel est de rendre des comptes et donc d'être transparentes. Cela peut s'avérer vrai pour les fonds souverains.


Il y a plusieurs questions difficiles qui devront être résolues avant que des règles de conduites pour les fonds souverains ne puissent devenir opérationnelles. Qu'entendons-nous, par exemple, par un mandat d'investissement apolitique ? Comment estimons-nous le degré d'intervention politique dans la poursuite d'un tel mandat ? Aurons-nous besoin d'un arbitre pour savoir si un fonds souverain se conforme aux règles de conduite ? Qu'arrive-t-il si un fonds s'engage à respecter un code de conduite mais ne se conforme pas à ses règles par la suite ? On voit que beaucoup de travail reste à faire et le calendrier est tendu. Idéalement, une première série de règles devrait faire l'objet d'un accord entre les pays du G7 et les plus grands fonds souverains, lors des réunions du FMI et de la Banque mondiale au printemps 2008. Si elles sont bien conçues et qu'elles font l'objet d'un accord, ces règles pourraient servir de base pour s'assurer que les fonds souverains continueront à bénéficier d'un plein accès aux marchés des économies développées.

Ce texte est un résumé de la conférence intitulée "The Challenge of Sovereign Wealth Funds" prononcée au Centre d'Etudes Monétaires et Bancaires à Genève le 18 décembre 2007. L'auteur remercie Benoît Cœuré, du Trésor français, pour ses commentaires (voir Cœuré, 2007).

Références

Bernanke, Benjamin S. 2006, "Global Economic Integration: What's New and What's Not?", Speech held at the Federal Reserve Bank of Kansas City's Thirtieth Annual Economic Symposium, Jackson Hole, Wyoming, August.

Coeuré, Benoît, 2007, "Faut-il avoir peur des fonds souverains?", forthcoming, Les Cahiers, Le Cercle des économistes.

Cox, Christopher, 2007, "The Role of Governments in Markets". Speech at Harvard on 24th October 2007 (http://www.sec.gov/news/speech/2007/spch102407cc.htm).

Jones, Matthew T. and Maurice Obstfeld, 2000, "Saving, Investment, and Gold: A Reassessment of Historical Current Account Data", in Calvo, Guillermo A., Rudiger Dornbusch, and Maurice Obstfeld, eds., Money, Capital Mobility, and Trade: Essays in Honor of Robert A. Mundell, Cambridge: MIT Press, 2000.

Obstfeld, Maurice and Alan M. Taylor, 2003, "Globalization and Capital Markets". In Michael Bordo, Alan M. Taylor and Jeffrey G. Williamson, Globalization in Historical Perspective, Chicago, The University of Chicago Press.